C'est bon? Vous avez digéré les précédents récits? Allez, je vous en ressert une plâtrée!
C’est l’histoire d’un projet qui n’a pas totalement abouti. Mais c’est aussi l’histoire d’un beau sommet dans un cadre idyllique – encore et toujours en Haute Maurienne - d’un décollage qui fait trembler dans les chaumières, d’une bonne dose d’adrénaline et surtout d’une péripétie partagée entre amis. Et c’est ce que l’Histoire retiendra de cette aventure…
Le projetJe sais plus comment j’avais eu c’t’idée à la con, mais j’avais vraiment envie d’aller faire deux sommets en Haute Maurienne, la Pointe Charbonnel et l’Albaron. Je voyais le temps passer et avec lui s’en allait la perspective de pouvoir les réaliser en 2021. Un éclair de génie me traversât le cerveau (faut dire que y en a de la place là-dedans !) et je me dis, pourquoi ne pas enchainer les deux sommets sur une même journée ? J’appellerai ça le Charbaron, ça ferait un bon titre de récit ça, tiens ! Et dans ce sens, car l’Albannel, ça serait un peu plus compliqué dans la réalisation…
Sitôt l’idée émise, j’ai empoigné le PC, un peu de carto, les itinéraires etc. La conclusion ? Ben, ça se tente… Côté vol, la meilleure saison serait l’automne, pas trop de vent de vallée, donc pas obligé de démarrer trop tôt la rando ni de pression sur l’heure du final, ça laisse plus du temps même si les journées sont moins longues qu’en été. Côté nivologie, la meilleure saison pour l’alpi pour moi, c’est quand même juin avec des glaciers bien bouchés et pas de glace vive. Mais bon quand j’ai eu c’t’idée, on était déjà en août…
Pour un projet comme ça, il faut un bon cocktail :
- un poto sympa pour partager l’idée à la con. Comme j’en ai trouvé un bien gratiné qui a la bougeotte et a accroché direct (ou presque) alors je l’ai pas lâché ! Bien sûr faut avoir les mêmes disponibilités ce qui complique un peu la tâche,
- la bonne météo avec le bon vent, pas question de décoller dans des conditions scabreuses,
- une bonne forme physique parce que rien que le Charbonnel c’est déjà 2000m de D+ bien raide et il faut ensuite rajouter environ 1500m pour l’Albaron, donc faut avoir un peu la caisse. Mais en cette fin de saison où j’ai bien crapahuté, même si je ne suis pas rapide, je peux dire que je suis en meilleure forme qu’à la sortie de l’hiver ou mon endurance consistait en une alternance raclette/tartiflette/pinardo. Quant au poto, il est égal à lui-même, constant dans l’effort, 1000m/h sans transpirer, été comme hiver,
- des conditions nivologiques idéales : point trop de neige mais point trop de glace et pas trop de crevasses (ça fait un peu princesse de vouloir tout ça mais bon…).
Bref, vous l’aurez compris, une fois que la liste est faite et qu’il faut réunir tout ça, les jours pour réaliser ce projet se comptent sur les doigts d’une main.
Une fois l’idée lancée, nous échafaudons des plans. Il y en a toute une série allant du plan A : on décolle de Charbonnel et on pose quelque part en altitude on enchaine avec l’Albaron – tous les atterrissages possibles et imaginables sont envisagés (au-dessus de la Buffaz, à la Buffaz, dans le ruisseau, etc.) constituent des plans B, C, D, etc. – en terminant par le plan Z : déco de Charbonnel et on pose en bas à Bessans, point final.
Finalement, ça sera le plan Z comme les Zouaves que nous sommes. Certains diront que c’était déjà ambitieux. Pour ma part, une petite déception de ne pas avoir vu ce projet aboutir. Mais aucuns regrets car il ne faut jamais en avoir : en arrivant là-haut, j’ai été immédiatement attirée par la crête qui mène à la pointe de Tierce et que je n’aurai pas pu survoler si nous avions dû aller poser de l’autre côté de la vallée pour faire l’Albaron. J’ai donc pu profiter pleinement de ce vol et comme ça, le repérage pour le projet Charbaron est fait ! (Qui a dit que j’avais de la suite dans les idées ?)
Le Charbonnel késako ?D’après cet article-là :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9764100r/f9.item la pointe Charbonnel est le plus haut sommet de Maurienne et culmine à 3760m. Selon Wikipédia (source qui peut être discutable certes), la Grande Casse (3855m) appartient à la vallée de la Maurienne (rahlala ces mauriennais alors, ils veulent tout s’approprier ! quand ce n’est pas le Grand Pic de la Lauzière, c’est la Grande classe…. Euh Casse!) et le Charbonnel (3752m) occupe la seconde place. Bon nous, on s’en fout, nous ne sommes pas là pour la médaille et toute cette hauteur, ça nous dépasse un peu… L’idée c’était surtout de vous dire que vindiou qu’c’est haut c’t’affaire et qu’une fois perchés tout là-haut, la vue va être démente !
Sur le plan géologique, le Charbonnel c’est plus simple que la Parrachée, c’est un empilement de schistes lustrés, point barre (et ça j’aurai même pu vous le dire sans avoir à regarder geo-alp, et ce malgré mes faibles connaissances en géol). Sur le plan morphologique, c’est un mastodonte qui finit en toit, une sorte de pyramide tronquée. Enfin, sur le plan alpinistique, nous envisageons la facilité, à savoir la voie normale, avec quelques 2000m de dénivelé au départ du parking des Vincendières et une cotation donnée PD. Pas d’acrobaties donc et point trop de matos.
Le Charbonnel subjugue. Il se cache dans la vallée d’Avérole mais depuis les plateaux de Bessans, il s’impose. Difficile de ne pas le remarquer, il n’y en a que pour lui ! L’an passé, nous l’admirions avec Valérie depuis la pointe de Tierce, nourrissant l’espoir d’y aller un jour. Tout l’hiver, j’ai fait une pause dans mes sessions de ski de fond pour l’admirer (et reprendre ma respiration !) et envoyer des photos aux copains d’la Yaute. Finalement, cette expédition se fera sans eux mais je les ai tout de même emportés avec moi tout là-haut dans mon cœur.
Le grand départFinalement après en avoir parlé et rêvé pendant longtemps et alors que je ne l’espérais plus, la journée parfaite pour la mise en œuvre de ce projet se profile ce dimanche 17 octobre. D’après les images satellite, je vois qu’il a neigé un peu ce qui pourrait tourner à notre avantage, au moins pas de glace vive ! Bruno est dispo et toujours partant alors l’agenda est bloqué. La veille, dernier check météo, itinéraire et matos pour être sûrs de ne rien laisser au hasard. Et puis dodo.
J’ai transpiré toute la nuit et bien que je me sois couchée tôt, je n’ai pas l’impression de m’être vraiment reposée. J’ai tourné en rond une bonne partie de la nuit et quand le réveil a sonné à 4h, je commençais tout juste à m’endormir pour de bon. C’est toujours pareil… Je me lève et tente de rester discrète pour ne pas réveiller le copain qui dort mais le parquet trahi mon passage dans un couinement horrible (« la prochaine fois tu dors dans le lit de la chambre à côté » qu’il me dit toujours. Mais je m’entête, rien que pour le plaisir de l’embêter). Il met la tête sous l’oreiller et retourne dans les bras de Morphée pendant que je sors de la chambre de moins en moins discrètement. Maintenant qu’il est réveillé, tant pis pour le bruit... Le poêle est froid et le thermomètre affiche 13°C dans la maison. Ambiance hivernale !
Je m’habille avec les vêtements préparés la veille. J’ai tellement peur de me cailler que j’ai prévu plusieurs couches. Dans l’immédiat, je ne mets que la première, un collant fin de course à pied, mes chaussettes merinos, un T-shirt à manches longues et mon bonnet à pompon (et non, je ne vous donnerai pas de détails sur mes sous-vêtements, c’est pas la peine d’insister !). Les couches supplémentaires finissent dans le sac que j’emporte avec moi. J’achèverai l’habillage ultérieurement.
Bruno, avec qui je commence à avoir fait quelques sorties, en a marre de devoir s’arrêter toutes les demi-heures pour que je mange alors j’ai assuré le coup : la veille double ration de lasagnes et ce matin, plâtrée de pâtes au beurre pour le petit déjeuner. J’avais préparé la dose et je ne mange finalement que les trois quarts, le reste finit dans une boite et je finirai mon repas sur le trajet en voiture. Quelques étirements pour réveiller mes muscles froids et préparer le dos au portage du paquetage de 10kg (beaucoup d’eau, de bouffe, du matos pour le glacier, des vêtements supplémentaires et bien sûr de quoi décoller, mais ce n’est pas ce qui pèse le plus lourd dans l’histoire). Je récupère mon sac que j’avais, telle une bonne élève, préparé la veille avec plus d’assiduité et de soin que lorsque petite, je préparais mon cartable les veilles de jour d’école.
« Départ 5h pétante » qu’il avait dit. Je sors à 4h55 de chez moi et il est déjà là à m’attendre, le coffre ouvert pour que je n’ai plus qu’à y jeter mes affaires. Ce que je m’empresse de faire avant de me jeter moi-même vers la chaleur de l’habitacle. Et hop, nous voilà partis dans la nuit. Au fur et à mesure que nous remontons la vallée, le thermomètre descend. Arrivés au parking des Vincendières à 1818m, il affiche -3.5°C. C’est « moins pire » que ce que j’avais imaginé. Je rajoute néanmoins les couches de vêtements prévues (pantalon de rando intérieur polaire, buffs, gants, polaire, doudoune) par-dessus la première couche, avant de sortir de la voiture pour affronter le froid sec et mordant qui me saisit le bout du nez, quasiment la seule partie de mon corps encore visible. Je lève la tête et découvre une multitude d’étoiles. Je me perds un moment dans tant d’immensité avant de revenir à la réalité. Fini de rêver, il va falloir avancer !
5h45, nous attaquons la rando par la route sur quelques mètres avant d’obliquer à droite sur une piste. Après 200 ou 300m, c’en est terminé du plat, et ça monte sec d’entrée de jeu. Alors nous nous calons à un rythme régulier qui permet d’enquiller les bornes et le dénivelé tout en papotant. Les bords enherbés sont recouverts d’une pellicule de givre qui forme des cristaux éphémères. J’en shoote quelques-uns au passage pour le plaisir du bruit que cela engendre et de la sensation que cela procure. Je les filme, les admire. Le tout en essayant de garder le rythme du mec de d’vant et de ne pas m’arrêter tous les cinq mètres pour m’extasier sinon je risque de mettre sa patience à rude épreuve.
Comme d’habitude, je fais la conversation et il écoute. Il s’en tire toujours bien… Puisqu’au final, c’est moi qui m’essouffle le plus alors que c’est lui qui tient la meilleure forme et devrait faire la causette. Il est malin, mais promis, je ne me ferai plus avoir ! (Jusqu’à la prochaine sortie… et je vous le donne en mille, j’ai encore fait la causette… je suis aussi bavarde en vrai que dans mes CR !).
La sente est bien marquée sur la première partie et nous avançons à la lumière des frontales. Le seul hameau du coin, celui des Vincendières, n’étant pas éclairé, nous sommes dans le noir absolu sans repère visuel pour évaluer le dénivelé réalisé. Mais je sais que nous montons, c’est une certitude qui pique les mollets ! Nous montons…, nous montons…, nous montons… et ça fait un moment que nous tirons à droite. J’ai l’impression que nous nous égarons. En tous cas, c’est sûr que le sommet est bien plus à gauche même sans lumière,
ça se sent. Petit coup d’œil à la carte numérique où notre position est matérialisée par un petit point bleu (y a pas à chier, parfois la technologie, c’est bien). Effectivement, nous avons dû manquer un croisement et sommes légèrement trop à droite mais pas encore trop loin pour rectifier le tir en tirant droit à gauche pour retrouver la sente qui nous ramène sur le droit chemin de gauche (on s’y perd un peu entre la droite et la gauche mais sachez que nous avons trouvé le bon chemin !).
Tiens, d’ailleurs le jour arrive et nous commençons à le voir. Qui ça ? Beh le sommet pardi ! Un coup d’œil tout là-haut, ah ouéééééé !!! y a encore du chemin… Le Charbonnel nous écrase de toute sa hauteur, BAM ! Un coup d’œil en bas vers la vallée que nous voyons enfin… Quoi ? nous ne sommes que là ? Bon, serait p’tet’ ben temps de passer la deuxième ! Je m’alarme un peu mais Bruno jette un œil à sa montre et me rassure, la vision est trompeuse, la pente est raide, nous sommes déjà haut et avançons honorablement vers notre objectif. Ouf, je suis un peu rassurée mais faudrait pas ralentir non plus.
Au fur et à mesure que nous montons, l’ambiance devient plus minérale. Nous passons quelques ruisseaux gelés qui s’illuminent à la lumière de nos frontales et forment des cascades brillantes aux formes féériques et complexes. La Reine des Neiges peut aller se rhabiller avec ses gants, nous n’avons pas besoin d’elle ici ! Le tout étant de poser le pied au bon endroit car la glissade pourrait être fatale.
Nous montons par une petite cheminée où j’ai fait une grande démonstration de toute ma grâce et de mon agilité (grand écart à 45°, dur dur) tuant ainsi tous préjugés sur la soi-disant souplesse des filles… Démonstration également de mon mental d’acier et solide à toute épreuve (« euh oué tant qu’on y est je veux bien que tu balances un bout de corde, je vais la mettre autour de la taille, c’est juste pour le mental à deux balles, hein ! »). Quelques petits pas bien placés et nous arrivons sur…, euh ben sur quoi… ? Alors, c’est moins pentu que tout à l’heure…, mais y a trop de pente pour que ça soit un plateau…, bon vous voyez le topo ? Parce que là, j’peux pas faire mieux…. C’est des pentes mais pas trop raides quoi, un peu d’imagination, mince ! Bon d’ailleurs, on aurait même pas dû se retrouver là, la trace est normalement plus à droite.
Nous sommes aux alentours de 2800-2900m. La neige recouvre les pentes par plaques d’entre lesquelles des touffes de végétation type toundra apparaissent. Nous apercevons enfin les séracs tout là-haut. Un bon vent catabatique froid provenant du glacier nous cingle le visage et nous refroidi. Mais tant que nous restons en mouvement, tout ira bien, j’aurai chaud.
Sauf que voilà, le moment tant redouté arrive : il faut s’arrêter pour s’équiper. Et bien sûr, c’est toujours pareil avec l’alpi, ce moment-là arrive précisément à l’instant le plus froid du jour, avant le lever du soleil, dans un endroit pas du tout abrité du vent. Nous ne pourrions pas faire ça en plein milieu de l’après-midi au soleil, pardi ? D’abord il faut enlever le sac qui me tenait chaud au dos. Maintenant qu’il est par terre, je sens bien que j’ai le T-shirt trempé de transpiration. J’enfile rapidos le baudrier, les crampons, vite la corde, le nœud, j’attrape le piolet et avale une barre de céréales. Je remets le sac sur le dos qui vient appuyer le T-shirt mouillé et froid contre la peau de mon dos me déclenchant un frisson. Je n’ai pas trainé mais en moins de 10 minutes, je suis comme une conne-gelée, et je ne sens plus mes doigts. Ils reviendront quelques temps plus tard dans d’atroces souffrances. Première onglée de la saison, c’est parti pour l’hiver ! Mais, avec ma mémoire de poisson rouge, j’aurais oublié ce passage douloureux en moins de deux et quand on me proposera une belle sortie dans le froid et l’ombre du petit matin, je dirai « mais oué trop bien, allez on y va ! »… que voulez-vous, la mémoire de poisson rouge, ça a aussi ses avantages !