EPILOGUE (mais c'esr pas fini...)
Le parapente a repris résolument sa marche en avant dans la course à la performance.
C’est remarquable car aucune autre activité aéronautique n’a connu de tels développements en si peu de temps (hors ciels de guerre…).
Je n’ai plus beaucoup de temps pour voler et je l’ai accepté.
Peut-être est-ce pour cela qu’ à chaque fois que j’en ai la chance, j’éprouve un besoin impérieux de savourer…
De prendre le temps de marcher pour m’imprégner de la troisième dimension que je vais rejoindre, sentir monter la respiration de l’air qui s’anime, écouter le bruit du vent avant d’y déployer mon aile, le bruit du tissu, entendre que mon aile « gratte » un peu dans la turbulence, ressentir les variations des efforts aux commandes, les mouvements chaloupés de ma sellette, et d’en apprécier d’autant plus les chuintements et ces silences si étonnants, lorsque la glisse s’interrompt au sommet d’une ressource avant de reprendre, sentir les odeurs de la nature, puis tout faire pour retarder l’instant tout aussi magique où mes pieds rejoindrons le sol avec toute la progressivité et la douceur que je pourrais y mettre.
Fondamentalement, j’ai tout ce qu’il me faut comme matériel et au rythme où je vole, il durera au moins dix ans.
Car, même si je suis curieux de ceux-ci, je n’ai pas besoin des progrès que m’apportent les derniers produits sortis sur le marché. D’autant que ceux-ci me déroutent, comme certains « must-have » du marché de l’électronique grand public.
Pour raison professionnelle, je passe près de la moitié de ma vie à travailler assis devant un ordinateur. Mais il ne me viendrait pas à l’idée de remplacer mon téléphone portable vieux de 12 ans par un smartphone de dernière génération ; j’aurais trop peur qu’il ne m’empêche de prendre le temps d’apprécier choses et êtres qui m’entourent, de les voir, de les sentir, les toucher.
Et de les écouter aussi, chose que j’ai de plus en plus de mal à faire. Je vis avec ma surdité et mes acouphènes (eh oui, l’âge est là…) et refuse pour l’instant d’être appareillé. C’est un choix que j’assume pour l’instant mais je suis conscient que cette perte d’audition influence ma vie.
Est-ce pour cela que je suis si sensible à la communication avec mon aile ? Peut-être
Mais depuis que j’ai constaté l’irruption de ce que j’appelle les « bords d’attaque programmés », et ai goûté à ceux-ci, je m’interroge quand je rentre dans une boutique spécialisée ou feuillette le dernier Parapente Mag : je ne suis pas toujours sûr d’aimer ce que l’on nous vend avec force marketing.
Est-ce parce que je deviens un vieux c… nostalgique de ses jeunes années, du type de ceux qui ne cesse de répéter que « c’était mieux avant » à qui veut bien l’écouter ?
Peut-être aussi… un peu… « mélomane du parapente »
Car j’ai conscience d’avoir, avec quelques autres de ma génération, la chance de pouvoir témoigner d’une histoire.
Une petite histoire qui s’inscrit intimement dans celle du parapente dont j’ai survécu aux débuts, comme une génération a survécu à des substances « rigolotes »… au début… mais qui n’avaient en fait rien d’amusantes quand on compte les vies perdues.
De vieux érudits, amateurs de rythm & blues et de rock, qui ne sont pas prêts à lâcher leurs vinyles et auxquels on cherche maintenant à expliquer que le mp3… c’est de la musique !!!
Et, comme il arrive à certains à la fin de leur vie, voici maintenant que je me sens investi du devoir d’essayer d’expliquer à ceux qui découvrent l’activité en « version compressée » qu’il y a une autre façon de vivre « leur » vol libre.
Et que je prédis qu’il vont tôt ou tard avoir envie de « monter le son », par simple manque de sensations !
Tout leur semble si évident et facile aujourd’hui… Est-ce un bien ou un mal ? je ne saurais conclure. Et c’est bien là le problème ! Merveilleuse époque...
Mais ce dont je suis tout aussi sûr, c’est qu’avec les « Shark Nose » et consorts nous avons « perdu des octaves » dans la communication avec nos ailes et je m’inquiète que nous soyons si peu à en être conscients et à nous en préoccuper,
Avec la généralisation de l’emploi de ces « bords d’attaque programmés », quand on n’a pas la chance d’habiter à côté d’un site et pouvoir voler tous les jours que le ciel offre de volables, la progression la plus raisonnée (e.g. du « bon père de famille ») que l’on puisse suivre aujourd’hui semble se résumer à calquer celle que l’on a vu s’instaurer avec les mini-voiles.
Soit, pour la pratique « parapente », à voler les mêmes ailes (EN-A ou EN-B1) sous des charges alaires de plus en plus élevées : de 3 kg/m² en initiation, 3.5 kg/m² en école puis en vol thermique en sellette assise, puis jusqu’à plus de 4.5 kg/m² en cross en conditions alpines en passant au harnais semi-couché pour le confort et la performance, ou en harnais renforcé & double secours pour l’acro.
Avec l’altération que nous constatons dans la communication avec nos ailes –particulièrement sur le contrôle de l’incidence- et l’incroyable élargissement de leur champ d’action, comment lutter contre la tentation quand la majorité d’entre nous –aiguillonnés par la démonstration de cette performance si facile et valorisante- ne se satisfont plus de vols locaux en conditions calmes.
Dommage collatéral, la sureté des vols ne repose plus désormais que sur peu d’éléments :
- l’interprétation de l’information météorologique disponible, l’anticipation, l’imagination et la lecture de l’aérologie au cours du vol ;
- notre capacité à résoudre de plus en plus rares -mais aussi souvent plus graves- incidents, lorsque l’énergie de la turbulence rencontrée surpasse l’incroyable potentiel de stabilité de nos ailes modernes… sous lesquelles nous nous endormirons bientôt !
Ré-ouvrons alors les yeux et les oreilles et réfléchissons à ce qui est le mieux pour nous.
Car il y a d’autres voies, tant dans le développement personnel que dans le choix de son matériel. Des choix qui vont au-delà du « light » comme tendrait à nous le faire croire le marketing qui nous vend maintenant du « light perfo » pas toujours durable mais avec le frisson de l’X-Alps !
Il faut expliquer ces alternatives et les valoriser pour les préserver.
L’ont brillamment démontré, notamment, Xavier Demoury avec Nervures, le suisse Alexandre Paux avec MCC et Sky Paragliders mais aussi plus récemment Pierre-Yves Allois chez Sup’Air qui a délibérément choisi , comme quelques autres, de ne pas doter sa Leaf d’un shark nose et de favoriser ainsi la communication entre l’aile et son pilote.
Je les salue ici avec respect car il n’est simple économiquement de se survivre en nageant à contre-courant, surtout noyé dans un banc de « shark nose » toutes « dents commerciales devant !
Il ne dépend que de nous de sauvegarder par l’orientation de nos porte-monnaie cette diversité si enrichissante.