X-Alps : récit de Max Pinot
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aerotibo:
Citation de: Flyin Matmute le 19 Février 2020 - 08:35:44

Citation de: M@tthieu le 19 Février 2020 - 06:12:09

Des sur-hommes  :bravo:  karma+  un autre monde du parapente que l'on pratique loin de toute considération sécuritaire :prof:  tout pour la performance !  :vol:


Je ne suis pas d’accord avec toi M@tthieu. Même si ses marges et sa pratique n’ont rien à voir avec les nôtres, Maxime laisse des indications dans son récit montrant tout de même une certaine considération sécuritaire (sur l’emplacement des cellules notamment et leur évolution avec un suivi météo à la minute près).


Tu as fait d'accord ! Vu son niveau technique théorique, analytique et physique mis en rapport à son niveau d'engagement, je pense même qu'il a bien plus de marge réelle qu'un certain M@.... qui ferait mieux de ne pas trop parler de marges :)
Flying Koala:
Saisissant l'écart entre le ressenti des suiveurs comme moi rivés sur les petites ailes qui enroulent sur Google Map et les conditions dantesques acceptées par les compétiteurs lors de simples fléchettes perçues comme anodines...

Merci Max de nous faire vivre l'envers du décor à 8 mois d'intervalle...

Je frémis encore plus à la lumière de ce récit en imaginant alors les conditions apocalyptiques qu'a dû affronter Toma Coconea le dernier jour à Cheval Blanc lors de son vol stratosphérique qui restera pour moi "le vol" de cette édition.

Vivement la suite Max  :pouce:

FK.
Canyon:
Je ne pensais pas qu'ils avalaient autant de dénivelé journalier, et savoir garder la tête froide au moment de se mettre en l'air, chapeau bas et merci pour ce beau récit (sur)humain  :bravo:
samepate:
Red Bull X-Alps, partie 3 et fin:

"5h, il faut reprendre la route. Je rêve d'une longue journée de vol pour laisser mon corps se reposer un peu, et mon esprit reprendre quelques couleurs après trois jours à lutter contre les éléments.
Mais sur le chemin de notre petit site fétiche de Praz Vechin, les indications météo se confirment : la stabilité entre dans le jeu.

Arrivé au sommet avec Jerem, je décide au vu de la fatigue cumulée de ne pas me lancer dans un glide suivi d'une nouvelle montée à pieds. Un choix difficile alors que Paul remonte dans notre dos, que Chrigel file de plus en plus vers le goal.
Je m'endors quelques minutes sous le soleil qui commence à chauffer les faces est, en espérant récupérer un peu d'énergie. Monaco est comme un la vision d'une oasis en plein désert, si loin si proche, ou un mirage. On ne sait ce que la course nous réserve encore.

10h, dans le thermique de Praz Vechin. Je laisse mes amis au sol et espère les voir le plus tard possible.
Je dis au revoir à la belle pyramide du Charvin, la Tournette et la maison. Et j'entame la descente des faces est des bauges. Je suis presque heureux de m 'engager sur cet itinéraire, espérant un peu de répit.

Mais rapidement c'est l'alerte : Dent de Cons, Belle Etoile, Parc à Mouton... La stabilité baigne les faces et je descends lentement, rebondissant de temps à autre dans une bulle famélique.
Néanmoins je survie dans le petit pied convectif de très basse couche, sous les 1000m, en avançant. Je m'engage en direction de l'Arclusaz. C'est la première partie où il m'est interdit de faire une erreur. Le premier décollage est bien loin de là.

Paul se rapproche et moins de trente kilomètres nous séparent : les Aravis ont été généreux avec lui. Mais je ne suis pas très inquiet, le vrai passage à niveau approche.
Je me réfugie à Montlambert. Je connais la leçon : tu t'accroches dans la combe, tu montes ce que tu peux, tu te jettes sur la face est de la Galoppe dès que possible et ça devrait le faire.

C'est simple en apparence, mais il faut des nerfs d'acier. Un petit 1300m me permet de basculer sur la galoppe, où j'entame de nouveau un long travail de sappe. J'attrape le sommet, puis la longue attente du cycle commence... Un premier thermique me permet de mieux scruter la transition clé sur la chartreuse. Il s'effondre. C'est trop bas, je ne peux pas me lancer. Demi-tour, il faut trouver mieux.

Je centre et recentre une nouvelle bulle, qui me laisse à 1900m. Allez, c'est maintenant ou jamais !
Je me lance dans les 11 kilomètres qui mènent à la Chartreuse. Je mange, bois mais surtout rassemble ma concentration pour le raccrochage.

Je rejoins tout juste la première marche de Bellecombe, à moins de 600m. Je ne vais avoir quarante cartouches pour sortir de là, et mon apnée commence. La frontière entre le bon et le mauvais choix est si ténu. J'essaye un bout de face sud sous le vent de la brise qui ne donne rien.
Maintenant, c'est soit je fuis vent arrière dans l'espoir d'allonger mon spectre de prospection, soit j'ovalise au vent.

J'ovalise au vent, tenté par les infimes frémissements de ma brave Zéo, par la forêt sous moi, légérement en pente qui pourrait décrocher d'éventuelles bulles. Le suspense est insoutenable, et je sais qu'il est le même pour les copains au camion.
Je laisse ma voile chercher, sens une aspiration. Allez ma belle ! Et je rentre dans une bulle étroite mais salvatrice, qui me permet de récupérer les faces est menant à St Hil sous les ouf de soulagement de toute l'équipe.

Je ne peux tout de même de m'empêcher de râler dans les appuis finalement peu généreux de la forêt. Jerem me rappelle vite fait à l'ordre en m'encourageant à attraper mon barreau plutôt que de me répandre en mots d'oiseaux.

Je passe St Hil en vol sous la clameur d'un petit groupe bien installé au déco nord. Il me faut maintenant rassembler toute mon énergie pour me sortir de la stabilité des basses couches et rejoindre Belledonne. Pas question de passer par le classique St Genix et consort. Je file au Manival, et verrai bien comment la suite se profile.

Le pied de la Dent de Crolles me voit multiplier les aller-retour, pestant et rageant contre cette oppressante soupe de chaleur. Je commence à me battre contre moi-même, plus qu'avec les éléments.
Mais bientôt je peux sortir la face ouest. Mon thermique plafonne à 2400m. Je contemple la vallée du Grésivaudan, qui n'attend qu'à me happer de nouveau. Mais je dois me lancer plein est direction Prapoutel et de la grande faille du Pas de la Coche, porte des hauts massifs, sur Belledonne.

La transition est gigantesque : 13 kilomètres de rien. Le temps de se poser et reposer la question « est-ce que ça va le faire ? ». Je réceptionne un zéro sur les premières buttes qui me permet d'analyser la situation l'espace de quelques secondes, d'identifier les zones de raccrochages potentielles, d'échaffauder les plans A et B. Il n'y aura pas la place pour plus, ça va être très chaud !
Je me rattrape à une centaine de mètres du sol sous Prapoutel. La pente est faible, et je surfe un morceau d'éperon tel un funambule. Un pas de travers et je serai posé.
Je peine à m'introduire dans ces bulles trop petites, mais néanmoins elles me gardent en l'air.
L'une d'elles, plus puissante, me ramène au niveau de la station.

Après maints recentrages, quelques mètres de gagner, je peux me laisser glisser sur la face sud-ouest menant au col. La pente gagne quelques degrés d'inclinaison, je vois la brise enfin secouer l'herbe de la prairie. Je me glisse dans le thermodynamique et m'en vais patiemment percer l'inversion.

De retour au plafond à 2600m, j'annonce aux copains que je peux enfin me jeter vers l'Alpe d'Huez. Un cum trône sur Vaujany. Le raccrochage est facile et je peux exulter dans un excellent 4m/s qui m'emmène valser à 3200m ! Bye bye les Alpes du Nord !

Mais ma joie est de courte durée. Les Grandes Rousses ne délivrent qu'un suradiabatique qui me permet difficilement de me hisser au niveau des crêtes. Toute cette caillasse et pas un thermique digne de ce nom !
Je m'en vais par la face sud, en direction du plateau d'Emparis. Je commence à retrouver les vautours qui semblent aussi désemparés que moi. A grand coup d'appuis dynamiques et de jetés en bonne et due forme, je passe Emparis dans le plus pur style Fosbury !

Mais je peux me réceptionner aux pieds des belles faces menant au col du Lautaret.
J'approche de Briançon. Au loin, je vois quelques cumulus paver le ciel de belle manière. Je me prends à rêver d'un hold-up final, le passage du Viso aux dernières lueurs du jour alors que Chrigel est coincé dans les fortes brises d'Ubaye. Après 8h de vol, cette idée me rebooste.

Je remets le mode vitesse à l'approche des faces impressionnantes du col. Ca monte le long. Je veux atteindre cette vallée de Briançon le plus vite possible et m'y satteliser. J'ai fait cette partie sur Google Earth des dizaines de fois. Monétier, Briançon, Cervières, la grande face sud-ouest menant au col Agnel dans les brises du soir, la balise du Viso et un posé à la nuit... J'ai tout dans la tête. Tout.

Mais je n'anticipe pas que l'ouest se jette dans le col du Lautaret et je ne trouve pas vraiment d'appui dans les faces sud-ouest. Je sombre. Je tente chaque combe, chaque arête, recoin. Mais rien n'y fait.
Je touche maintenant la brise de Briançon. Je joue mon va-tout en vallée, en espérant trouver la confluence des deux flux opposés. Je ne trouve que des miettes inexploitables. La terre n'a plus qu'à recueillir ma colère.

Je rentre dans une fureur noire, décuplée par la fatigue. Je fais déguerpir le pauvre Christopher, le cameraman sympa qui nous suit depuis un bon moment. Je pourrais balancer tout ce qui se trouve à porter de mes mains.
Rapidement, les copains prennent le relais pour prendre soin de mon matos que j'aurais envie de faire brûler ici. Sous la chaleur, je regarde désespérément les deux derniers cumulus présents dans le ciel. Le sol tangue encore sous mon corps, après 9h de vol.

La colère et la frustration passent petit à petit alors que je refais quelques réserves de glucides avec les pâtes de Clem. Les locaux, Christophe en tête, sont venus nous rendre visite avant que nous ne reprenions la route du Viso.
Luc Alphand passe nous faire lui aussi un petit coucou dans Briançon, avant que nous nous enfoncions vers le col de l'Izoard. Le soleil s'en va en laissant de longues traces oranges, roses et violette dans le ciel. Toujours aucune gêne musculaire pour moi, même si je ne peux plus vraiment me dépouiller quand il faut accélérer le rythme. Ce qui me semble plutôt normal.

Nous nous posons à Cervières pour la nuit. Laurent est optimistes quant aux prévis pour le lendemain. Nos rêves sont faits de Méditerrané, et de repos mérité.

Jour 8, et le soleil brille. Laurent confirme un début de convection poussif, mais une bonne amélioration et de gros plafonds dans un vent d'ouest tout de même marqué.
Nous profitons d'une montée au col de L'Izoard pour décompresser un peu. Ca sent la mer. L'un de nos gros dilemme est quand activer notre dernier Nightpass disponible, et il se pourrait que si tout se passe vite et bien, nous devions l'activer aujourd'hui (avant 12h, comme le veut la règle). Nous remettons la décision à plus tard.

Nous patientons au décollage, lorsque Luc nous apporte un autre éclairage météo bien moins optimiste : ça sent l'énorme stabilité.
À une trentaine de kilomètres, le Viso nous nargue. Je laisse mes amis pour m'envoler un peu après 10h.

Je me bats pour prendre 200 pauvres mètres, avant de me lancer sur les faces idéalement exposées en direction d'Abries et de la frontière italienne. J'ai bon espoir de pouvoir remonter le Vallon de Guil en vol jusqu'au Viso.
Mais les conditions ne s'installent pas vraiment et chaque saut de crête est suivi d'une très lente remontée. Les faces est délivrent juste de quoi me permettre de survivre.

Je m'enfonce toujours plus à l'est. Les pentes s'adoucissent et bientôt mes appuis fondent. Puis rien. Un long glide et me voilà posé dans les pentes ouest au-dessus d'Abries pour rejoindre au plus vite un décollage.

Nous marchons avec Jérem, essayant de rester dans de bonnes dispositions mentales pour la suite. La journée de vol est encore longue mais nous décidons malgré tout de ne pas activer le nightpass car trop d'aléas semblent sur notre chemin vers la mer.
Au sommet de la crête de Gilly, la brise souffle et regonfle notre motivation. Me voilà de nouveau en l'air à la première heure de l'après midi. Mais il n'y a que du vent. Les thermiques ont déserté ce ciel laiteux, poisseux. Je vole dans une soupe de laquelle rien ne s'échappe. Encore moins moi et ma pauvre petite voile.

Je saute de bout de soaring en bout de soaring vers le fond du vallon. Une belle combe bien orientée me permet de sortir à 2700 dans le vent d'ouest. Mais toujours pas l'ombre d'un thermique. L'italie baigne sous une mer de nuage impénétrable. Au fond du vallon, la route s'arrête et je sais que toute l'équipe devra faire un long détour pour me retrouver. Je suis seul.

Tout le flux finit par emprunter le canal principal : le cœur du vallon. Mes reliefs, pourtant d'imposantes faces sud, ne sont plus que turbulences inexploitables tant le vent les fuit. Et je suis contraint de poser sur le sentier menant au col de Valante et à la balise, 6 kms plus loin et 1000m plus haut.
samepate:
J'essaye d'accélérer le rythme sur le plat pour rejoindre au plus vite la partie raide du col. Mais les 500 derniers mètres de dénivelé croulent sous la neige. Après chaque pas j'enfonce jusqu'aux genoux. L'enfer sur Terre dans un paysage si magnifique ? Le Viso m'écrase de toute sa majesté alors que j'avance à pas de fourmi, pendu sur mes batons.

Arrivé au col de Valante, je peux être soulagé d'effacer enfin la balise du Viso mais le Queyras ne me laissera pas partir comme cela. La mer de nuage s'insinue par chaque faille, comme un virus, et je sens l'air humide remonter jusqu'à moi. Je cours jusqu'au col de Losetta où je peux enfin donner quelques news aux copains après plusieurs heures de stress pour tous.

Je m'arrache du sol et glisse dans la mélasse pour poser au pied du col Agnel où je pense remonter.
Ju et Nans sont là, et me récupère affamé. Désemparé aussi. Presque en colère contre tout ceux qui m'ont depuis toujours venté les mérites de Queyras qui ne veut finalement pas de nous.
Luc avait raison. La masse d'air est inerte.

Après des dizaines de minute à se concerter, il apparaît que remonter au col Agnel n'a aucun sens sur cet fin d'aprem. Il faut rejoindre le col de Longet pour basculer en Ubaye.
J'effectue donc un tout petit vol sous la mer de nuage qui s'épaissit de plus en plus pour poser au pied du col. Bien sûr du mauvais côté de la rivière. Je dois redescendre pour attaquer ensuite la montée.

Me voilà en train d'attaquer les 1000m sous un ciel de novembre. 1000 mètres à l'entrainement ce n'est rien. Après 8 jours de X-Alps, c'est un long cheminement. Le corps et l'esprit commencent à vouloir résister. Cela demande de la volonté de se mettre en marche, de compter pas après pas jusqu'à ce que la tête veuille bien se focaliser sur autre chose que la fatigue et l'appel du confort. C'est une sorte de retour à un état primaire. Il faut duper l'esprit, lui faire croire que c'est vital de monter là haut. Alors que l'on pourrait tout poser ici, arrêter.
Je débouche enfin au-dessus des nuages. Je vois le Mont Viso, qui aurait bien voulu ma peau mais qui me laisse finalement repartir de son territoire désolé mais magnifique. Le col n'est pas encore tout à fait là.

Mais je passe enfin la succession de petits lacs qui marque le plateau du col. Mais le plateau est long, très long. Je décide donc de monter sur les crêtes pour poser un glide qui me permettra de le passer.
Après une nouvelle journée à 4000m de D+, je suis étonné que mes jambes acceptent encore ce petit supplément. Enfin, j'étale ma voile et décolle aux lueurs du soir.

Je peine à trouver le bon positionnement, en essayant un côté du vallon puis l'autre, pour optimiser mon plané. Et c'est à ce moment qu'un aigle vient me montrer le placement parfait, au milieu, et ma finesse se stabilise autour des 11. Un peu de bienveillance me fait chaud au cœur et je remercie mon ami ailé qui s'en va comme il est venu.

Mon vallon se termine par un étranglement très marqué et ma finesse se détériore de nouveau. Est-ce que cela passe pour économiser quelques kilomètres ? Un énorme torrent coule au fond et il n'y a aucun posé. Je fais mine de tenter, puis me ravise pour m'écraser dans le dernier champ envisageable. La garce de fatigue a failli m'avoir !

Je redescends un petit chemin à flan de montagne. Nous sommes pas vraiment à la plage, comme nous l'espérions aux premières heures du matin. Il n'y a jamais rien de très prévisible sur cette course, il faut simplement parer aux aléas, prendre des décisions rapides et claires. Ce qui n'est pas toujours simples tant le spectre peut être large.

Je retrouve avec joie Ju, Mathias, Jerem, Nans et Damien qui est venu nous rendre visite avec son fameux : « en 15 ans dans le Queyras, je n'ai jamais vu une telle stabilité ! ». Merci Damien pour le réconfort !
Un local super sympa nous propose la douche après notre repas dans son petit village de Maljasset, où nous passerons la nuit. Mais je suis tellement fatigué, que la douche n'aura pas mes honneurs, au grand dam des copains surement.

Nans m'accompagne au petit matin pour notre première montée. Mon corps ne répond plus très bien à l'effort, je ne peux plus vraiment accélérer et cela me rend irascible. Le vent qui descend de la montagne n'arrange pas mon état d'esprit. Mais Nans reste optimiste, me montre ce qui semble être pour lui le spot parfait pour notre premier glide. J'acquiesce sans entrain.

Des chamois au-dessus de nous font rouler des pierres en prenant peur et nous nous cachons derrière des rochers un peu plus gros pour ne pas nous faire assommer. Les gars, il s'agirait de ne pas en rajouter.
Enfin, nous débouchons au décollage pointé par Nans : il est parfait, el guido, de son surnom, avait raison. Je décolle et lance un grand merci à Nans qui lui va aussi pouvoir redescendre en volant auprès de Ju.

Mon glide est très rentable et me voilà aux portes de St Paul en Ubaye où Mathias prend le relais pour la deiuxème montée. Il m'annonce la couleur : 7 kms, 1200m de D+. A l'annonce, je manque de défaillir mais me ressaisit. C'est parti pour mon 35 000m de dénivelé de la course...
Mon esprit a envie de lâcher, plus que jamais. Mais il n'y a pas d'autres voies. Mathias, malin, utilise la technique suivante : « tu vois le sommet est juste là ». Et une fois arrivé au sommet de la bosse, « non mais c'est encore un peu plus haut ». Et ainsi de suite. Il découpe l'objectif. Je me cale dans ses talons et essaye de ne plus réfléchir.

Je m'assois enfin sous le sommet du Paneyron. Les veines de mes jambes commencent à être bien trop visibles.
Nous recevons les dernières infos météo de Luc et Laurent : c'est encore assez stable, tout de même moins que la veille, avec de l'ouest marqué.

Au fond de moi, je sais que tout le challenge est de passer au vent de la Blanche. Après je serai dans mon second jardin. Et je sais que si j'arrive là-bas, il n'y aura plus de fatigue, plus de lassitude. Je serai heureux.
Je quitte Mathias et me lance à l'assaut de l'imposante face est de la Tête de Vallon Claous. Je remonte le long de toute la caillasse surchauffée par les rayons du matin. Mais je tape sous l'inversion à 2600m.

Je glisse sur le plateau de St Anne de Condamine pour me récupérer sur Pointe Fine, et déboucher dans la vallée de Barcelonette.
Ma remontée à l'ouest vers le Grand Bérard est vite stoppée par le vent. Et je n'ai d'autre choix que de transiter sur Praloup. Je me bas tant bien que mal sur le village mais la stabilité de basse couche me force à poser pour remonter le plus vite possible au décollage de Péguiéou.

Nous forçons le train avec Nans, et Bubulle le local parti en éclaireur. Nous forçons autant que je le peux. Il faut arriver avant que l'ouest n'envahisse les faces sud.
Les cycles sont toujours vigoureux et je me jette au plus vite dans la bataille.
Je sors le Peguieou, et entame le mythique verrou de la blanche. Je commence par forcer la Grande Soléane. Ma voile jamais n'abdique face aux coups de boutoirs de la masse d'air et je me jure de ne lâcher la barre que si je prends tout sur la gueule.

Je passe au vent de la Soléane pour entrer dans Lavercq. Le flux est toujours trois quart face, mais j'ai bon espoir qu'il y ait un effet de rotation dans le fond du vallon pour passer le col de Vautreuil. Je force tant qu'est plus, en arrache ma sellette mais petit à petit, je sens le flux doucement changer de direction. La masse d'air se met à porter, puis à me pousser. Le col est de plus en plus bas dans mon champ de vision. Je reste concentré jusqu'au dernier coup de Trafalgar que pourrait m'offrir la Blanche. Mais il n'y en aura pas. Me voilà sur la longue crête rassurante, en terrain connu. Je crie ma joie aux copains. Elle est véritable.

L'espace de quelques instants, je suis plongé dans une sorte de torpeur. Je glisse dans un dynamique doux le long des faces ouest encore tièdes. Il n'y a toujours personne dans le ciel, sauf les planeurs et les vautours. Toute la tension accumulée commence à disparaître et tout ça sent la fin.
Carton est endormi. Cote longue beaucoup moins. Je passe la balise du Cheval Blanc et enquille Lambruisse, puis les antennes sans mal.
Alors que je passe au-dessus du décollage de St André où personne ne vole, je me fais happer par l'émotion. Cela semble irréel d'être ici après être parti du fin fond de l'Autriche. J'ai beaucoup de peine à retenir mes larmes tant cela revête un sens profond, qu'il serait vain de vouloir décrire. Mais c'est le ventre qui se serre, et la sensation de partir. Un peu.

La douce voix d'Antoine me sort de la marmite alors que j'aligne la crête des Serres. Il me donne quelques indications et encouragement. Ainsi que Luc qui commence à bien exciter mon portable avec ses conseils précieux. Je suis bien entouré.

Vauplane n'est pas extrêmement généreux et Luc me pousse à avancer sur Soleilhas. « Tu devrais trouver une confluence par ici ». Deux minutes plus tard, m'y voilà ! Merci maître Luc !
Je retrouve la crête menant au Col de Bleine. La stabilité s'intensifie dans l'humidité de la côte. Je ne distingue pas encore la mer dans l'atmosphère laiteuse.

Après avoir exploité une bulle poussive, je peux me jeter sur Gréolières. Mais les brises se meurt et je suis forcé de poser sur le chemin menant à Coursegoule.
Nous faisons rapidement un point par téléphone avec Jerem et Luc. Si je veux être dans la vallée du Var à 21h, je dois encore placer deux vols. L'un à Coursegoule, l'autre... sur un décollage potentielle qu'a repéré Luc sur Google Earth. La course contre la montre commence.

Sous la chaleur, je cherche mes dernières gouttes d'énergie. Le chemin pour Coursegoule me paraît interminable et c'est presque avec plaisir que j'entame les zig zag raides vers le décollage. Je décolle, suivi d'Arthur qui va m'aider pour trouver le dernier décollage.
Je peux enfin voir la mer, une vision quasi mystique.

Nous posons sur le long plateau du Gourbel. Il est plus de 20h. Je cours dès que possible entrainé par Arthur. Il faut faire vite. Une descente, et la terrible montée finale. Il y a 100m. Il est 20h45. Mes jambes attrapent littéralement le reste de mon corps, et je m'explose une dernière fois le cardio à grand coups de batons rageurs. Arthur ne peut suivre. J'ai le temps de jeter mon matériel au sol attraper mes avants et courir comme un dératé sur la pente trop plate, quand je le vois déboucher dans mon dos alors que je quitte le sol. Il est 20h52. Je plonge vers le fond de vallée.

Au sol, je rejoins une équipe heureuse. L'aventure se termine bientôt. Nous savourons une pizza et une bière, avec Mathieu et Simon qui nous ont rejoint, comme lors du départ de la X-Pyr.
Puis nous repartons dans la nuit, utiliser notre dernier nightpass, pour profiter de la fraicheur nocturne. Il reste un peu plus de 30 kilomètres de chemins vallonnés pour rejoindre le Mont Gros.

Après quelques heures de sommeil, viennent les dernières heures de course sur les chemins de l'arrière pays niçois. Mon esprit commence à s'évader au fil des émotions qui passent. La conjonction des choix et des situations est toujours une alchimie indéchiffrable.
A l'aube d'un choix, tout peut glisser ou à l'inverse s'enrayer. Chacun nous mène souvent sur des voies inattendues, ou en tout cas par des voies inattendues pour rejoindre le bon port.

Je me rappelle mes yeux dans le vague, des sentiments forts et parfois contraires. Celui d'avoir achevé quelque chose de beau, sans avoir atteint une forme de perfection. Déjà une mélancolie des jours passés les cinq ensemble, et le soulagement d'en finir, et de donner le repos mérité à mon corps fatigué par les 467 kilomètres et 37 000m de dénivelé parcourus à la force des jambes. L'envie de me jeter dans le bras des copains qui ont fait tant dans la réussite de cette course, et à la fois l'envie de rentrer en moi. Essayer de fixer tout ça dans un coin de ma tête, car je sais que bientôt l'euphorie et la joie, qui ne sont pas source de bonheur durable, s'effaceront. S'effaceront parce qu'on ne peut rester dans l'immobilisme des moments et des souvenirs, et que c'est parfois injuste de penser que tout cela ne sera plus que poussière quelques jours plus tard. Mais c'est le socle pour bâtir, repartir vers des horizons similaires, différents. Comme Sisyphe et son rocher. Monter au sommet de la montagne, redescendre. Monter à nouveau.

Sous l'arche de l'arrivée, Jerem, Mathias, Ju, Nans et moi sommes comme des marins du ciel et des montagnes face à l'infini de la mer."
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