X-Alps : récit de Max Pinot |
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Flyin Matmute: récit paru sur son FB ce jour, je ne peux pas m'empêcher de le poster ici. Je vous laisse lire et frémir comme je viens de le faire Red Bull X-Alps, Acte 1: Ce récit dort dans ma tête depuis tant de mois, comme un fantôme. Je me suis souvent lancé dans les premières lignes sans pouvoir les poursuivre. Sans réussir à trouver la musique qui accompagne chaque écrit mais aussi chaque aventure. Comment expliquer à vous qui lirez cette idée qui germe un jour, au détour d'une conversation avec un pote. Puis qui fait son chemin, qui s''éloigne, revient, pour devenir une obsession. On dit souvent que les idées sont plus fortes que tout. Je crois en avoir une preuve, inscrite dans ma tête et dans ma chaire. Elles peuvent changer tant de choses, faire basculer une vie. Peut-être ai-je enfin trouvé comment raconter la X-Alps, à deux voix. Celle du passé, et celle du présent. En sélectionnant les moments. Car comment raconter dix jours qui ont été comme une petite vie ? Je voudrais frénétiquement tout dire, raconter les trois années qui ont précédé cette course. Dire comment un type frêle, qui n'y connait rien en endurance, qui malgré tout a pour lui le vol quand il arrive à aligner les étoiles, peut entreprendre de performer sur une course de 1100 kilomètres. Mais je ne me lancerai pas là dedans, pas maintenant. Si j'écris aussi seulement aujourd'hui, c'est que j'ai envie d'essayer de retrouver les frissons de la course. Les transmettre aussi, d'une certaine manière. Savoir pourquoi je vais y retourner aussi, me relancer sur deux années qui tendront vers ce but. Ce récit ne dira aussi jamais assez combien Jerem, Nans, Mathias et Ju portent à bout de bras la course. Et je m'en excuse d'avance. "A la fin de la première journée, je me souviens être allongé dans mon lit, enfin, après une journée passée sous le gris et la bruine, entre les nuages. Je sens les battements de mon cœur dans poitrine, ceux là même qui vont m'empêcher de fermer les yeux avant un petit moment. Malgré tout, il est plus calme qu'avant de franchir la ligne de départ, là où je tenais à peine sur mes jambes, où je retenais difficilement mes larmes devant mes amis. Mais cette fois, la course était lancé, je pouvais enfin savourer la fin de cette attente si longue, presque insupportable. À 5h, nous voilà déjà en train de marcher le long de la route qui mène au TP2 de Wagrain avec Nans, pendant que le reste de la troupe plie le campement. J'essaye d'avaler mon bol de Muesli tant bien que mal à une heure si matinale. Nous passons Wagrain, et montons sur les pistes de ski qui surplombent le petit village autrichien. Je me rappelle sentir mon corps engourdi, endormi. L'effort de la montée me faisait mal ce matin là. Une première fléchette, un deuxième bout de petit dej avant de repartir pour une longue montée. Mon corps ne répond pas correctement. Je mets la musique, pour éloigner les mauvaises pensées du type : « on est seuelement le 2ème jour, et tu es déjà cuit ! ». Un deuxième petit vol, une troisième montée avec Jerem, à petits pas, pour laisser revenir les sensations. Nous sommes légèrement en retard sur un pack de 3 ou 4 pilotes qui attendent au décollage l'établissement des conditions thermiques. Chrigel décolle juste avant que nous arrivions au sommet. C'est la ronde des petites bulles évanescentes. J'ai le temps de me poser un peu, regarder, écouter les copains, discuter. Une belle journée s'annonce. Il faut déjà rejoindre Aschau. Après 45 minutes d 'un début de vol poussif, nous formons un groupe de 4 sur la route du nord-ouest : Benoit, Paul, Chrigel et moi naviguant le long des grandes faces sud du Parc du Berteschgaden. La masse d'air est plutôt humide, avec une tendance nord, nord-est. Tout le monde se regarde un petit peu, la situation est typique d'un petit groupe de compétition ce qui est confortable. Au raccrochage de Lofer, Benoit prend un peu de retard. Puis Paul. De concert avec Chrigel, nous accélérons le rythme dans cette masse d'air plutôt bonne. Il ne faudrait pas en manquer une miette. L'expérience en Coupe du Monde sur des parties de vol plutôt aisées, où il faut jouer la vitesse de vol, ne pas être trop attentiste, est inestimable. Et rapidement nous débouchons sur la plaine allemande, et Aschau est en finesse, poulies soudées. Nous devons, à crève cœur, aller signer le panneau à l'atterrissage. Au sol, je retrouve toute l'équipe pour un bref arrêt signature, autographe, speech. Assez inhabituel pour une compétition de parapente. C'est festif. Mais il est encore tôt, il faut tout faire pour tirer partie de la convection et nous quittons nos hôtes rapidement. Dans les 1000m qui nous séparent du décollage, enfin mon corps répond bien et nous pouvons avaler le dénivelé au plus vite avec Nans. Doute d'aiguillage, doute du bon décollage font partie du lot habituel en marche et vol. Une dizaine de minutes de perdue, un bout de colère, et voilà Chrigel en l'air, et Paul qui nous rejoint. Il est temps de s'activer. Je peux rapidement lâcher Paul, bien trop conservateur, et chasser Chrigel sur la route de l'Italie. Je le recolle à la faveur de quelques bons placements dans du vol de vallée atypique, sous plafonds bas. Je bafouille un raccrochage, puis un départ en transition en regardant trop l'animal. Conséquence : je dois me replier sur un plan B pendant que je le vois sortir dans un bout de combe. L'heure avance, le vent présent en basses couches tend à lessiver les faces. Je me récupère une première fois. La deuxième est encore plus laborieuse sur la montagne d'Hohé Salve, où le bleu règne en maitre. Dans ces situations, il y a toutes ces émotions qui veulent nous submerger, l'imagination qui se fait la malle. Il faut la ramener ici, et maintenant. Retrouver la concentration. Même quand rien ne monte, même quand de simples nuelles décharnées trônent comme des ombres au-dessus de la montagne. Cette montagne trop conique pour être honnête. Où tout fuit sur les bords. Grâce aux encouragements de Jerem et toute l'équipe, je trouve enfin la porte de sortie sur le plateau de la face sud pourtant bien ombragé. Mais je ne demande pas mon reste et peux m'enfuir de ce piège. Une superbe combe ouest me fait de l'oeil alors que le soleil revient d'un jeu de cache cache derrière la nimbe de cunimbs qui commencent à se développer un peu partout. Je me jure d'écraser tout le débattement de mon accélérateur jusqu'à taper dans l'ogive nucléaire. Elle est bien là et je peux me remettre en orbite. Chrigel est juste 3 kilomètres devant. Je peux laisser retomber mon rythme cardiaque. Souffler, boire. Les énormes faces nord de la crête frontière sont dans le noir. Quelques éclairs commencent à fendre le ciel. Poser au pied marquerait la fin d'une belle journée de vol. Mais avant cela, nous devons sauter un col. En fin de cycle, je pars 200m sous l'ami suisse. Je commence une infernale partie de speed riding, à plus de 70 km/h au fond d'une vallée suspendue quasi imposable. Mon salut se fera par le vol. Je tente des appuis à gauche et à droite du vallon, pour me dire finalement que je maximiserai ma vitesse en plein milieu du flux, comme un kayakiste. Ma finesse s'améliore... mais je constate avec horreur que ma vallée est fermée par une énorme ligne haute tension. Aucun choix possible, il faut que ça fasse. Je rentre les bras, respire. Et laisse la ligne quelques mètres sous ma sellette. Je suis presque content de voir l'orage gronder sur les faces qui me surplombent. Notre jeu dangereux s'arrête ici, à Krimml. Un peu de marche nous amène au départ des sentiers menant à l'Italie. Ceux que nous emprunterons demain, en direction de Kronplatz. La marche s'avère belle, mais longue malgré tout. Il nous faudra cinq heures pour rejoindre un décollage sur les imposantes faces sud-est italiennes. Nous ne sommes pas loin d'Antholz et de son site à record, mais nous allons devoir faire du saute mouton. La X-Alps n'emprunte que peu les grands axes. J'abandonne Nans et Jerem qui redescendront en biplace, sur notre décollage baigné dans la neige, à 3000m. S'engage un jeu du plus malin avec Chrigel. Trop timide, trop timoré, je fais une énorme erreur en allant rechercher mon ami helvète qui s'était cacher entre les nuages. En me voyant faire, il part sur sa transition alors que je finis de rebrousser chemin. Bien sûr, le thermique n'est plus là et j'ai maintenant un déficit de 200 mètres qui seront cruciaux au raccrochage. Je le vois partir, alors que mon travail dans la brise de pente naissante devient un long calvaire. Avec le recul, assis confortablement au fond de mon canapé, je fais encore des bonds en repensant à ce moment. Malgré tout, enfin sorti de mon trou, je peux voler seul, efficacement, en suivant mes lignes. Les montagnes sont si imposantes ici, je dois trouver les failles pour remonter au vent. Un jeu excitant, dans un ciel marqué de gros joufflus qui m'inquiètent pour la suite de la journée qui contient déjà son lot d'énormes difficultés. Je repasse sous Chrigel avant la grande transition vers Kronplatz. Je lâche un peu vite mon 3m/s, et vais aller échouer dans les basses couches de la face sud sous le vent un bon moment. Je transpire à grosses gouttes. Je ne peux en aucun cas me permettre de poser ici, ce serait la certitude de voir Chrigel s'envoler, et les autres me revenir dessus. Enfin je peux à mon tour poser et signer le panneau dans un état avancé de frustration. Je n'ai pas bien volé. Mais il faut maintenant prendre une énorme décision : contourner la zone aérienne d'Innsbruck par l'est ou l'ouest. Une décision majeure dans cette course : les deux lignes sont séparées de plus de 60 kilomètres. Ensemble, nous nous décidons pour l'est, au vu du ciel plus menaçant à l'ouest. Mais aussi pour avoir la route ouverte par Chrigel. Le ciel est incroyable, les conditions fortes mais saines. Je peux repasser la chaine centrale assez aisément. Mais la vallée de Zell Am Ziller est truffée de zones aériennes. Je lève, contre mon gré, le pied essayant d'imaginer quelle ligne est à la fois safe et directe. J'ai les yeux fixés sur la carte, et le ciel m'importe bien peu. Enfreindre une zone équivaudrait à un arrêt de mort pur et simple. Traverser la vallée d'Innsbruck représente le summum du vol en zone réglementé : je suis à moins de 500m de la CTR que je laisse sur ma gauche, et limité en altitude par la TMA. Je ne vis plus mais je sais qu'une fois cette difficulté passée, je pourrai retrouver ma sérénité. Encore faut-il raccrocher la maudite face sud au-dessus de Jenbach qui est à la croisée de trois vallée, sous le vent. Mon gps hurle alors que j'enroule à moins de 400m de la CTR. Mais bientôt je peux passer au-dessus du plafond de celle-ci, basculer hors TMA et me voilà sauvé. J'accuse maintenant une petite heure de retard, ayant été bien trop hésitant. Mais me voilà sur la route du Zugspitze, au milieu de ces montagnes si particulières, taillées dans la roche, aux dénivelés si imposants. Les conditions sont viriles, et je peux utiliser toute la vitesse de la Zeo. Que c'est beau. J'aime beaucoup voler en terrain inconnu. L'imagination est sollicité à chaque seconde. C'est moins reposant, mais c'est stimulant. Ouvrir les yeux, imaginer les écoulements au milieu de ces pyramides de pierres. Imaginer les zones qui surchauffent, et à l'inverses les pièges. L'ombre d'un énorme congestus en passe de devenir cunimb sur Garmisch met tous mes voyants en alerte. Je dois absolument passer pour rejoindre Lermoos. Les brises de pentes sont très affectées, et la pluie s'abat sur la ville que je laisse à main droite. Une belle tache de soleil me fait de l'oeil. Je maximise mon plané. Ma Zeo commence à gigoter, je retiens mon souffle puis entre enfin dans le tube, monte, et m'échappe de ce passage compliqué. Je navique maintenant sous le Zugspitze et suis en finesse de TP5, après 200 kilomètres de vol ! Jerem en radio : « - Chrigel vient de redécoller Oui, il a bien du prendre de l'avance... fais chier Non mais il vient de redécoller devant toi ! Quoi devant moi ?... Ah putain oui je le vois ! Mais qu'est ce qu'il a foutu ?! Je sais pas, mais on l'a recollé ! » C'est ainsi que nous arrivons l'un derrière l'autre à Lermoos après un vol exceptionnel, durant lequel nous avons pu faire le trou sur le reste de la meute. Mais à la X-Alps, il n'y a aucun répit. Aucun. Nous venons de faire 200 kms, mais nous voilà à devoir choisir entre remonter à un décollage 1000m plus haut pour le vol du soir... ou oublier cette option à cause des cunimbs qui nous cernent. Finalement, nous remontons. Jerem m'accompagne. Je me sens en pleine forme et j'ai envie de lâcher les chevaux dans la montée. Doucement, ce n'est que le troisième jour... Nous sommes de nouveau en l'air avant 19h. Le soleil de juin est encore puissant pour nous offrir une belle heure et demie de vol. Mais le ciel est menace, perturbé. Nous avons la zone de bleu pour nous, mais elle pourrait ne pas s'éterniser. A la faveur d'un bon recentrage, je peux enfin prendre un bon contrôle de 200m sur Chrigel. A moi maintenant d'essayer de mener la danse. Je me jure de ne pas craquer cette fois ! Je lance les hostilité en direction de la grande vallée qui mène à Landeck. Le soleil se cache derrière les gigantesques nimbes. Il ne reste plus qu'un étrange flux de nord-ouest, étonnamment fort. En me jetant dans la vallée, je n'ai que le temps d'apercevoir Chrigel qui effectue un quart de tour droite en direction d'un petit sommet. Sur cet axe, la route est barré par d'imposants sommets. Il est 20h. Je continue sur ma lancée. Bien-sur de l'autre côté du massif, c'est le toboggan. Tout le flux vient s'écraser sur ma tête. Mais j'ai une dernière carte à jouer : les ressauts sous le vent. En basse couche, d'étranges bulles pulsent régulièrement, et poussé par le vent, je grappille kilomètre après kilomètre. Je pose enfin, juste après 20h. Avec cette impression d'avoir fait le job. Je n'ai pas encore allumé le tracking. L'orage approche. Je me dis que je n'aurais pas pu faire beaucoup mieux. Je ne sais pas ce qu'est allé faire Chrigel dans la montagne. Pas encore. Je profite de rigoler un peu avec Mathias, de décompresser, souffler. Mais rapidement, la petite troupe de pilotes venue à notre rencontre nous informe qu'il est en l'air. Il a posé, marché et redécollé. Et le voilà qui passe au-dessus de notre tête alors que je commence à marcher le long de la route. J'aurais envie de me mettre à sprinter, ce qui n'aurait aucun sens. Je suis battu. Il s'en va poser une petite dizaine de kilomètres plus loin. Il m'aura eut toute la sainte journée ! Le front orageux, d'une puissance incroyable, finira de recouvrir l'amertume de cette fin de journée. Une marche sous la pluie jusqu'au court repos. |
Flyin Matmute: la suite Jour 4 commence par une longue marche sur le goudron. Quasiment 30 kilomètres, à nous amuser de nos cernes de plus en plus marqués avec Nans. Le manque de sommeil est une épreuve difficile. Chaque matin ressemble au précédent, en pire. Mathias est le plus solide pour réveiller tout le monde à 4h30. Chaque matin, j'ouvre les yeux et je me demande pourquoi cette obsession pour une course de maso. Ce que je ne sais pas encore, c'est que le plus dur est devant. Au bout de ces 30 kilomètres, il est temps de se mettre en route droit dans la pente direction un décollage. Luc, au téléphone, nous presse : « ça va être bon plus tôt que ce que vous ne pensez les gars ! Allez ! ». Jerem est malade, et la montagne que nous avons choisie, quelques combes avant celle de Chrigel, est vraiment inappropriée! Entre blocs et brounchous en tout genre, c'est le vietnam. Entre deux blocs, nous parvenons à faire tenir l'aile. Je peux m'arracher du sol un peu après 10h30. Avec une clef, et la fermeture de mon cocon arrachée. Je parviens à me défaire de la clef... Mais pour le cocon, il va falloir faire avec jusque Davos, à un peu moins de 60 kilomètres. Les imposantes faces sud-est sont placées sous un fort vent de secteur ouest, d'environ 25 km/h. C'est du bien fort en l'air. Deux thermiques plus loin, je ne fais plus façon de ma Zeolite qui reste ouverte tant bien que mal alors que je cherche juste à suivre ses mouvements. Les plafonds montent, et je commence à beaucoup souffrir du froid, en short sans pouvoir fermer mon cocon. J'essaye de me concentrer pour ne pas penser aux tremblements qui me secouent. Je dois me placer avec beaucoup de subtilité dans ce vent, et anticiper assez en avance mes lignes. Le secteur avant Davos est fait de hautes montagnes et de hautes vallées suspendues. Il est encore très enneigé, tellement que nous avons du prévenir en amont l'organisation de notre route, et glisser des petits crampons dans la sellette. Mais mes yeux sont sidérés par la beauté de ce qui s'étend sous moi. Là où Chrigel a fermé sa trajectoire sous le vent et eut des difficultés, j'ouvre au vent. Un superbe cumulus me fait de l'oeil et pourrait bien être ma porte de sortie. Je trouve la superbe colonne et me sattellise à 3700m. Je meurs littéralement de froid mais je peux enfin passer cette zone compliquée, négocier deux thermiques, et poser au TP6 de Davos. La foule me happe, et j'aurais presque envie qu'elle m'enveloppe pour me réchauffer malgré le grand soleil. Ju et Nans me rejoignent après une course contre la montre. Contourner de si hauts massifs n'est pas mince affaire pour eux. Aucun temps pour la réparation, juste le temps de prendre mon pantalon de ski de rando pour le vol de l'après midi. J'aimerais tant profiter de ce cadre idyllique pour une ou deux heures de relâche. Même trente minutes à vrai dire. Mais c'est impossible. Chrigel est déjà en train de déplier 400 ou 500m au dessus de nos têtes. Il est temps de se remettre en mouvement. Nous attaquons la montée sur les faces sud-est de Davos alors que notre suisse décolle. Il n'a pas creusé le trou depuis hier soir. Il faut s'accrocher. En l'air, enfin. En direction de Chur, je suis tellement heureux de retrouver des lieux familiers, que j'ai exploré en Coupe du Monde. Mentalement, c'est un avantage énorme. Je peux me relâcher un peu, me rappeler les bons souvenirs de course, et les points clefs. 3600 avant de traverser Chur, 3600 à Calanda la montagne des rodéos inoubliables. Le vent d'ouest est moins sensible ici. Mon esprit omettrait presque ces nuages qui viennent obscurcir mon horizon. C'est d'abord leur ombre qui me gêne et j'ai du mal à trouver le bon placement. Elle me met rapidement en difficulté. Je perds du temps à retrouver un noyau. Je monte mais je vois l'horrible scénario se jouer sous mes yeux. La cellule au sud de ma position rejoint celle au-dessus de ma tête. Je vois la nimbe du nuage sous lequel je vole taper la tropopause. Puis la pluie, puis la grêle, tout ça dans un thermique bien puissant. Je n'ai plus beaucoup de temps pour analyser la situation, de peser le poids entre performance et sécurité. La route de l'ouest est barrée. Celle du sud aussi. Je ne peux me dérouter qu'au nord mais je dois encore un peu monter : le haut plateau du Glarner Vorab rend ma situation difficile. La grêle s'intensifie. Enfin, la mort dans l'âme je peux me jeter dans les faces nord. J'ai espoir de pouvoir trouver une autre route. Quelques petits cumulus trônent au large. Mais rapidement, tous s'évanouissent. Comme si l'énorme zone active venait vider de son énergie les alentours. Comme c'est souvent le cas. Je n'ai d'autre choix que de poser en altitude, sur un chemin menant à un col. Moi qui venait de retrouver des lieux connus, me voilà de nouveau hors des sentiers battus. Je marche jusqu'au col, contemplant l'orage qui s'abat maintenant sur la vallée menant à Disentis. Quelle cruauté ces 45 minutes de retard. Et cette foutue neige qui m'engloutie à chaque pas, rendant mon avancée si pénible. Je récupère un peu de réseau au col. Je peux appeler l'équipe, décider quoi faire. Je suis bien placé pour ce soir. Titlis, où a posé Chrigel, est à moins de 60 kilomètres. Le soleil revient. Il me reste encore un peu d'espoir de combler un peu de retard. Je redécolle. Une succession de belles faces nord-ouest s'offre à moi. Il n'est que 17h30. Mais je déchante rapidement. Tout est poussif. Tout a été lessivé. Je réussis tant bien que mal un plein à 3000m. Ce qui sera le dernier thermique de la journée, un peu après 18h. Puis mes rebonds dans les restes de brises de pente, ressemble à une lente agonie, mais je peux finalement me jeter dans le Klausenpass. Un nouveau cunimb s'annonce par l'ouest et il fait maintenant sombre partout. Je ne peux que me laisser glisser le plus loin possible. Un cable repéré au dernier moment m'oblige à m'écraser dans une infame contre pente au-dessus d'un village. Je suis secoué par le choc, autant que par la claque de la journée. Je déambule avec ma voile en boule et mon casque de travers, à la recherche d'un improbable décollage. Heureusement, les copains me rejoignent et me raisonnent. Il n'y a aucun décollage à proximité, la journée de vol est terminée. Elle ne pouvait pas se finir comme ça. C'était presque injuste. . Le frère du premier vainqueur de la X-Alps, Kaspar Henny, vient à notre rencontre. Nous pouvons échanger un peu pendant quelques minutes de repos. L'orage gronde de nouveau, il pleut. A nos pieds s'étend la vallée d'Altdorf. Titlis a vol d'oiseau est si proche. Mais si loin à la force des jambes. Monter au Surenenpass, déboucher dans la vallée d'Engelberg, enchainer sur les 2000m de dénivelé du Titlis. Le cinquième jour ne pourra être qu'une épreuve colossale. Dans une physionomie de course chamboulée" |
bruno3166: Bonne littérature, bon récit qui tient en haleine. Un plaisir à lire !! Merci en attente de la suite. :pouce: :trinq: |
airsinge: Merci de ne pas avoir laissé ça sur fessebouc ! Mais quelle sadique tu fais ! Aller minauder avec le diable en forme d'aigle puis nous livrer les témoignages des tortures qu'un oisillon en a subi des jours et nuits durant ! Le pire c'est que sur le moment, le simple livetrack m'avait soufflé à peu près les mêmes sensations pénibles de l'oisillon. Quelle horreur ces courses de cons. M'en fous, une couche convective très très tranquille de 129 m d'épaisseur environ m'attend pendant 2h41 cet après midi avec trois ou quatre copains qui feront des ploufs s'ils sont sympas pour que je me sente un peu briller... |
bruno3166: Citation de: airsinge le 15 Février 2020 - 12:10:58 Merci de ne pas avoir laissé ça sur fessebouc ! Mais quelle sadique tu fais ! :+1: Citation de: airsinge le 15 Février 2020 - 12:10:58 Quelle horreur ces courses de cons. :pouce: Mais j'aimerais avoir les moyens physiques et techniques pour y participer. |
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