J'ai volé pendant 10 ans sans secours. Au siècle dernier, c'était normal. C'était rare, lourd, très cher, et forcément en ventral, les sellettes n'étant pas adaptées. On parlait des ouvertures parasites mortelles, en même temps que des airbags dangereux (comme quoi, les débats datent...). Bref, les pilotes d'accro et les casse-cou avaient des secours, les autres pas. J'ai même refusé longtemps d'en avoir un, parce que, pilote du dimanche prudent et assumé comme tel, ça m'obligeait à être prudent et respecter la règle "mieux vaut un vol de pas assez qu'un de trop". Et de fait, je ne décollais parfois pas quand les autres volaient, malgré ma voile école, puis DHV1-2.
Et puis un jour, après dix ans de pratique, à la fin d'un mois de voyage de parapente avec 2-3 vols chaque jour, sur un site connu, avec plein de monde en l'air, ni mieux ni pire que les autres, j'ai eu un vilain départ en sketch: bonne fermeture asymétrique que je contre mais qui ne rouvre pas. Je pompe, ça ne rouvre pas. Je freine toujours pour contrer, ça n'ouvre toujours pas... et vlan: départ en décrochage asymétrique, vrille puis passage en SAT (peu de monde la passait à l'époque hormis les Rodrigues, sur site). Je freinais, ça ne faisait rien. Je levais les bras, idem. J'étais étonnamment zen. Je me suis dit "ok, c'est mon jour, adieu la vie". C'est finalement sorti tout seul, et j'ai posé sans bobo. Les gens au sol me disaient "tu fais la SAT ?!?". J'ai répondu "j'ai pas fait exprès". Eux "pourquoi t'as pas tiré le secours alors ?!?". Moi "parce que j'en ai pas..."
J'ai refait un vol juste après, sinon je n'aurais plus jamais volé. Mais je me suis juré de ne plus voler sans secours, et tenu parole... trois ans plus tard quand même, et vaguement traumatisé. J'ai repris par un SIV. J'ai compris ce que j'ai fait faux (trop freiné... c'était la mode année 90 "quand ça va pas, tu freines bien et ta voile redevient béton"), j'ai appris le pilotage actif, expérimenté la fermeture et fait la SAT volontairement. Mais que ce soit pour un plouf, un cross ou un marche et vol, depuis, c'est jamais sans mon secours.
Si ce témoignage peut éviter à un pilote prudent de se dire un jour "adieu la vie", j'estimerais ma dette envers Eole soldée