J'en ai vu des jeunes très doués, qui progressaient à pas de géants, qui suscitaient une forme d'admiration voire d'émerveillement.
Je suis venue au parapente à un âge trop tardif mais avec dans la musette une vaste et longue expérience d'alpiniste et une un peu moins longue expérience de la compétition moto sur circuit. J'aurais pu y laisser ma peau quelques fois mais le coup de faux de la Camarde se limita à m'égratigner.
D'autres n'eurent pas cette chance.
Des alpinistes de très haut niveau que j'ai côtoyés il n'en reste plus guère qui soient encore en activité, la plupart dorment paisiblement dans nos cimetières ou ensevelis dans les glaciers du monde.
Il n'y avait pas de têtes brûlées parmi eux, les zozos comme Guido Lammer n'ont jamais fait école ni suscité l'admiration des foules.
La moto, c'est quand même moins dangereux parce qu'il n'y a pas de dangers objectifs comme les avalanches, les chutes de pierres et de séracs ou le verglas, le mauvais temps, la foudre etc.
Je n'ai jamais fréquenté le monde de la Mer ni les marins mais chez eux aussi les têtes brûlées ne font pas de vieux os. L'apprentissage de la Mer est bien plus long que celui de la Montagne et on ne trouve pas beaucoup de jeunes au niveau le plus élevé mais il y en a pas mal parmi les équipiers.
La Mer rend humble.
La Montagne rend humble.
Notre grand Pierre-Paul Ménégoz (
PP si tu me lis) fait de l'humilité la base de son enseignement, c'est pour lui la première qualité à développer et il insiste beaucoup là-dessus à juste titre. C'est pour avoir manqué d'humilité que je me suis cassé la gueule en 2010, ce qui donna un coup de frein brutal à ma progression.
On s'en rend compte avec le recul que donnent les contraintes liées aux chirurgies, aux plâtres et aux béquilles, nonobstant la douleur qu'on a tendance à oublier.
En août dernier eut lieu, comme chaque année, un "challenge féminin" organisé par mon amie Bénédicte sous l'égide de la commission féminine de la FFVL. J'y étais, comme chaque année, pour la logistique (transports, récups etc). Cette compète est aussi ouverte aux garçons, à condition de constituer un binôme avec une fille, bref c'est une épreuve "ouverte". Deux jeunes dominèrent le lot de la tête et des épaules, des jeunes promis sans doute à un bel avenir... l'un d'eux se fracassa vilainement la semaine suivante (à St André si ma mémoire est bonne).
Être très bon ne suffit pas, piloter comme un dieu une voile difficile ne suffit pas, il faut aussi acquérir de l'expérience pour ne pas aller se mettre chiffon dans un piège qu'on n'aura pas su détecter à temps ni éviter, en prenant sur la gueule une voile qui ne fait pas de cadeaux quand elle se met en vrac.
Tout Planfait a pleuré Sofia, notre Suédoise bien-aimée si joyeuse et enthousiaste. Elle n'avait pas assez d'expérience pour voler à Plaine-Joux ce jour-là et un coin bien pourri lui fut fatal.
Tout Planfait a tremblé pour le jeune Arthur qui, par manque de sang-froid et d'expérience, alla s'écraser sur un toit dans Talloires puis dégringola dans la rue. A la clé des semaines de coma, une longue période d'invalidité et une rééducation encore plus longue, il s'en est finalement tiré et il a pu reprendre ses études et même participer au RedBull Elements deux ans après son accident.
Oui il y a des jeunes qui comprennent vite et qui progressent vite, qui grimpent comme des écureuils et qui pilotent comme des dieux... mais ils sont jeunes et ils ne peuvent pas avoir le vécu ni l'expérience des Anciens, ni évidemment leur culture liée à l'activité. C'est notre rôle à nous, les Anciens, de communiquer aux jeunes par le dialogue ce qui peut leur être profitable de notre expérience, et c'est dans la nature profonde des jeunes de s'aguerrir face à eux-mêmes et de s'enrichir de l'expérience des aînés. L'orgueil devient alors le plus redoutable des écueils.
Je suis contre le conflit des générations, opposition totalement stérile et sclérosante. Et celle qui écrit ici est une vieille prof anarchiste qui a gardé la fibre insurrectionnelle de sa jeunesse mais qui a vite perdu l'illusion romantique qu'une Révolution était possible.
Le dialogue entre les générations est toujours difficile - question de culture(s) - mais je suis convaincue qu'on progresse toujours quand on sait le maintenir.
Et pour ce faire, une passion commune comme le vol libre est un atout puissant qu'il ne faut pas négliger.
On ne perd jamais son temps quand on (ré)écoute Brassens. (les "vieux" peuvent aussi apprendre la bière aux jeunes)