Fin juin, à force prendre des sauts d'eau sur la tête depuis plus de 2 mois, nous partons avec mon ami Mika pour St Hilaire. Bien décidé à profiter pleinement de cette belle journée. Une petite balade en chartreuse est prévue, rien d’ambitieux, mais du plaisir au programme et surtout beaucoup de plaisir. La météo semble correcte, l’instabilité juste ce qu'il faut. Un peu de Nord en altitude, rien de bien méchant.
Les observations se confirme, arrivé au déco Est (sur les conseils d'un local) la sortie de celui-ci risque d'être sportive, une habitude dans ce coin de chartreuse. On avale le sandwich vite fait, prêts à ouvrir les sacs. Devant nos yeux, un pilote sous une aile haut de gamme décolle "dos voile" malgré la brise bien présente. Pas de soucis, même si je ne peut m’empêcher de penser qu'il n'a pas tout le bagage technique pour ce genre d'engin, bref. Un autre part, une Zeno bleue toute jolie, le pilote la met au dessus de sa tête et s'engage. La voile ferme à 30/40m sol, puis ferme de nouveau, massivement cette fois. Perte d'altitude rapide puis début d’auto-rotation: le choc au sol est ultra violent, le fracas insupportable.
Infirmier de métier, j'y vais donc. S'en suit une descente acrobatique dans les fourrés, sous le déco, dans une pente bien raide. Je ne suis pas fier en descendant, le bruit infecte de la chute laisse présagé du pire. Arrivé sur les lieux, le pilote est face contre terre le casque arraché, inconscient, sans pouls carotidien ni mouvements respiratoires. Je décide de le mettre sur le dos pour prodiguer les soins et refaire un contrôle: aucune réaction neuro avec arrêt cardio respiratoire confirmé. Je communique avec Mika resté sur la plate forme. Pendu au téléphone avec les secours, je lui précise l'état de la personne et commence les massages. Il est en miette, très probablement mort au moment de l'impacte mais je fais tout mon possible pour ce monsieur jusqu'à l'arrivée de l'hélico...
J'ai bien faillit vendre tout mon matériel définitivement. Il n'en est rien. l'envie de voler persiste malgré tout et c'est bien d'accidentologie dont je vais parler maintenant. Car il suffit d'ouvrir sa boite mail ou son canard préféré pour constater l'ampleur des dégâts, ou de se rendre simplement sur un déco fréquenté. 2 mois pour cracher le morceau, tout ce temps à me questionner, à observer, essayer de comprendre du moins. Tous ces morts, ces blessés, ces familles endeuillées, c'est catastrophique. Il n'y a pas d'autre mot.
Alors pourquoi? Y répondre est tout sauf simple. Mes réflexions piquent un peu, tant pis.
Tout d'abord, force est de constater que nous pratiquons un sport jeune.
Bien d'autres activités de pleine nature aussi exigeantes que la notre réclament des règles de bonnes conduites. Elles sont ancrées, implicites. Des codes admis par tous, tels que des classements par difficultés, des options sur les échappatoires possibles, la culture du renoncement et le respect d'un milieu qui ne fait que nous tolérer.
Il ne viendrait à l'esprit d'aucun grimpeurs de s'engager sur une voie s'il n'a pas le niveau, sans connaître les manipulations de bases, d'avoir lu le topo, de tout mettre en œuvre pour que la sortie ne soit que bonheur. Un kayakiste ne partirait jamais en haute rivière sans maîtriser les manœuvres élémentaires, sans se renseigner au près des locaux, ni partir seul, etc.
Aussi, tout le monde conviendra que, pour pouvoir appréhender un décollage ventilé par 30/35 km/h de brise, la maîtrise du face voile est obligatoire. Hallucinations sur un site très connu (ça commence par St et ça finit par fort) quand un bip-placeur décide de décoller "dos voile" avec sa passagère dans les conditions décrites ci-dessus. Pourquoi décolle-t-il? Compte-t-il sur la facilité de gonflage des parapentes modernes, sur la chance, très probablement qu'un petit soucis narcissique l’empêche de rebrousser chemin. Je reviendrai plus tard sur ce dernier point. Pour la petite histoire, l'envol de cet estivant anglophone fut des plus spectaculaire, sans dommages, du moins pour cette fois. Ce type de comportement est intolérable dès lors qu'il engage la vie de sa passagère en niant des compétences qu'il n'a pas pour manœuvrer en sécurité.
Que nous apprend-on lors de notre stage d'initiation: décoller propre, poser propre et se faire plaisir. Que reste t-il de ces premiers instants de magie, de ces fondamentaux? Des prises de terrain aléatoires, des décollages au petit bonheur la chance, un véritable jeu de massacre, les statistiques de la FFVL le disent. Je n'invente rien. Certes la technique ne fait pas tout, forte heureusement, mais des prérequis sont indispensables. Donc avant d'envisager partir sur des virées transalpines, peut-être faut-il penser à se remettre en question sur ces incontournables de bases: http://federation.ffvl.fr/pages/parapente-films-securite
Combien d'entre nous sont capables d'affirmer haut et fort qu'ils sont compétents pour décoller en toutes conditions, sur tout type de terrains? Manifestement, la grande majorité des pilotes ne savent ni décoller ni poser. J'insiste. Il ne s'agit là que de constatations, d'observations.
Ensuite, traverser des massifs entier est accessible et ceci sans avoir besoin de s'encombrer d'une aile de compétition ni d'être champion du monde. Le parapente est devenu très accessible, trop facile, et les constructeurs y travaillent. Toujours plus léger, plus performant, nos jouets collent parfaitement à la volonté de notre société. Comme les automobiles d'ailleurs, elles aussi dans la même lignées (airbag, ESP et j'en passe), pourtant les attitudes immatures de quelques uns demeures. Remarque: plus la sécurité passive est importante et plus la prise de risque augmente. A ce propos, à regarder absolument le magnifique sujet de Jean-Marc GALAN:
http://www.parapentemag.fr/?cat=13Perversité d'un système qui devrait plutôt nous protéger. Malheureusement il n'en est rien. Pire, certains se sentent pousser des ailes tellement nos voiles sont évidentes, se permettant de monter en gamme très rapidement. J'élimine, dans ce cas, les parapentistes sans le sou qui opte pour une vielle EN C par pure économie. Ceci étant un autre débat. Je pense plutôt aux jeunes pilotes s’enflammant pour une B+ dès leur deuxième saison. Ils auront mieux fait de commander directement un cercueil, ça gagne du temps.
Nous le savons tous, le choix du matériel est déterminant. Les professionnels ne cessent de le répéter. Pourquoi donc se mettre en danger gratuitement pour un loisir? Les ailes de coupe du monde n'ont pas leurs places hors compétitions. En effet, voit-on des véhicules de courses (WRC ou formule 1) se promener sur nos nationales? Non car ce n'est pas adapté. Pourquoi donc autant de deux lignes sur nos sites alpins???
Oui les constructeurs sont clairement impliqué dans l'accidentologie. Car proposer des produits à la fois simple et sécurisant, tout en étant extrêmement vifs hors domaine de vol relève d'un comportement malveillant. Les exemples ne manquent pas. Oui nous sommes responsable de cette dérive par notre consommation.
Le choix des sellettes n'est pas anodin non plus. Je suis effaré de trouver, encore aujourd'hui en 2018, des modèles avec un container de secours dorso-lombaires. Encore une fois les exemples ne manquent pas. C'est juste affligeant. Inutile de faire un dessin en cas de choc au niveau du rachis.
Bien sûr que c'est la classe de se promener avec une voile rutilante et performante. Malheureusement je ne vois pas l'intérêt de ce type d'engins dans mon cercueil. Impressionnant aussi le nombre de "moi moi moi " présents sur les déco. Tous champions du monde, tous prêts à mettre le paquet pour éblouir les copains, pathétique. En effet, soigner son égo via le parapente me paraît être une très mauvaise idée. Du genre qui sent le sapin. La confiance en soi ne s'acquière pas avec notre activité. C'est faux de le croire, extrêmement dangereux surtout. Celle-ci est précieuse pour voler serein évidement. Point trop n'en faut non plus sinon c'est l'accident. Pas assez et on ne vole plus...
Autre élément accidentogène: les règles de priorités. J'ai souvenir d'un vol il y a peu. Nous étions deux seulement dans un bon thermique bien homogène, enroulant de concert à main droite. Quant un petit « malin » venu de nul part s'est mis martel en tête de tourner en sens inverse. Celui-ci à réussi le tour de force de nous mettre en danger à plusieurs reprises. Je lui ai clairement fait comprendre mon mécontentement. Mais il insiste le bougre, peine perdue donc. Dégoutté j'ai fini par quitter les lieux pour redescendre au déco, puis retour maison avec un goût amer au fond de la gorge.
Est-ce si difficile que ça de respecter les autres? L'exemple de la Dune du Pilat est encore plus criant de vérité. Si vous ne supportez pas autrui, que la solidarité n'est votre truc, par pitié ne volez pas, merci.
Parlons en de la fraternité. "C'est un milieu de passionnés" ou "les gens s'entraident, c'est formidable". Discours fréquemment entendu, prôné par bon nombre d'entre nous. Où? Quand? Comment? Faudra qu'on m'explique. Car 8 fois sur 10 je suis seul à aller débrancher ou aider un pilote en difficulté. J'EN AI MARRE de récupérer des types perchés dans les arbres, de constater que presque tout le monde s'en moque. Certains se permettent même de prendre des photos. "Voici" quand tu nous tiens. Pour rappel, la non assistance à personne en danger ressort du pénal.
Autre élément à charge: les médias. Mr NAVILLE, avec tous le respect que je vous dois, s'il vous plaît, ne dites pas que la Zeno est tolérante, facile de prise en main. Des pilotes l'ont pris au premier degré... Référence au sujet du Parapente mag dans lequel vous êtes parti faire du vol de distance en Australie.
Magnifique tous ces beaux reportages aux 4 coins de la planète, parsemés de vols sublimes. Les journalistes oublient souvent de parler du cadre mis en place, des heures de travail et de l’engagement total, de la prise de risque. Même si ces constations sont à pondérer. La qualité des articles varies selon.
Ensuite, affiner son analyse météo réclame de l'expérience. Aussi, même avec des années de pratique, rien ne nous interdit de créer du lien avec un pilote local ou une école. Dans ce domaine les pratiquants venant des sports nautiques ou aéronautiques sont clairement avantagés (voile, canoë, kite,...).
Autre élément délétère, les effets de groupe, de mode, il suffit qu'un pilote connu sorte une grosse perf avec tel modèle pour que ce soit la quo u chez le constructeur. Un peu de bon sens que diable, car il en va de même pour les sorties clubs. Avoir sa propre analyse sur l'aérologie du jour, sans suivre bêtement, est une preuve de maturité qui nous sauvera la vie à un moment ou un autre.
Voler reste une chance incroyable. Enrouler, se laisser glisser dans la masse d'air, toutes ses merveilleuses sensations méritent un comportement responsable. Pour le moment les accidents liés à notre sport sont encore acceptés. Malheureusement, une réglementation drastique nous pend au nez. C'est évident. De plus, les assureurs n'étant pas des philanthropes, les primes d'assurances vont s'en ressentir.
Pour conclure, pourtant habitué à ce type de situation, ce pauvre Monsieur aura hanté quelques unes de mes nuits. Pour sa famille, pour ses proches, je suis désolé, vraiment désolé...
Stéphane, Infirmier et B.E.E.S.