Des nanotechnologies dans nos assiettes SCIENCE. Chercheurs et industriels tentent d'améliorer les aliments et leurs emballages en y incorporant des composants de taille nanométrique, aux propriétés inédites. Mais leur innocuité fait encore débat. Une étude du TA-SWISS fait le point.
Olivier Dessibourg, Berne
Samedi 24 janvier 2009
Qualifiées de très prometteuses pour l'électronique et les sciences des matériaux (LT du 24.11.08), les nanotechnologies débarquent désormais dans nos assiettes. Sous forme d'additifs ou de matériaux d'emballage. Mais non sans soulever des questions sur leur innocuité. Pour y voir clair, le Centre d'évaluation des choix technologiques TA-SWISS a fait mener une étude, présentée hier à Berne.
Les nanotechnologies sont définies comme l'ensemble des techniques permettant de manipuler les atomes et molécules dans l'idée de créer de nouveaux produits. Car à cette échelle, les matériaux présentent des propriétés chimiques inédites par rapport à l'état macroscopique. L'industrie alimentaire, elle aussi, n'a pas tardé à exploiter des nanocomposants, pour améliorer les propriétés, le goût ou l'apparence ou des denrées, et pour mieux les conditionner.
En Australie par exemple, une chaîne de boulangerie incorpore à ses pains d'infimes capsules contenant de l'huile de poisson, riche en oméga-3, ces acides gras bons pour la santé. Celles-ci ne se décomposent qu'une fois dans l'estomac, évitant au consommateur le goût de l'huile de poisson... L'inclusion d'autres éléments nutritifs (vitamines, arômes ou suppléments comme le fer) dans des capsules similaires, synthétiques ou naturelles, est aussi testée dans le monde. L'avantage? Ces nutriments sont ainsi protégés d'une rapide dégradation. Par ailleurs, selon le TA-SWISS, Nestlé détient un brevet sur des produits surgelés qui dégèlent de façon plus régulière dans un four à micro-ondes grâce à des nanoparticules incorporées.
«En Suisse, nous retrouvons très peu d'aliments contenant des additifs de taille nanométrique», souligne Martin Möller, de l'Institut d'écologie appliquée de Fribourg-en-Brisgau, qui a codirigé l'étude. Tout au plus cite-t-il un condiment, l'acide silicique (E551): «C'est un antiagglomérant, constitué de particules nanométriques, ajouté depuis des décennies aux épices pour éviter qu'elles ne s'agglutinent. Mais qui est sans danger, selon diverses batteries de tests.»
En revanche, «les emballages alimentaires ayant des composants «nano» jouent déjà un rôle important en Suisse», poursuit-il. Exemple type: le PET. Ce matériau laisse, à terme, s'échapper le gaz carbonique des boissons - c'est pour cette raison que la bière n'est conservée que dans des flacons en verre ou en aluminium. Pour annihiler ce processus de diffusion, certaines bouteilles de PET sont donc recouvertes de couches nanométriques de carbone ou d'oxyde de silicium, sortes de barrière antioxygène.
Dans un domaine voisin, le groupe néo-zélandais Jenkins commercialise un nanofilm réagissant à des substances aromatiques libérées par des fruits pendant le mûrissement, rapporte le TA-SWISS. La pellicule change de couleur suivant le degré de maturation. Enfin, des sociétés développent des emballages recouverts d'une nanocouche d'argent. L'action bactéricide de ce métal est incontestée, et permettrait d'empêcher toute moisissure.
Le potentiel économique dans ces deux champs d'activité - aliments et emballage - est énorme, selon les analystes. Pour le second, le groupe de consultants Helmut Kaiser estime le marché actuel à 980 millions de dollars; il grimperait à 100 milliards d'ici à dix ans.
De leur côté, les organisations de consommateurs (FRC, ACSI, kf, SKS) se disent «convaincues que les nanotechnologies peuvent ouvrir la porte à de grandes opportunités dans l'alimentation». Mais «les risques sont encore peu connus.» Les scientifiques admettent en effet que les études de toxicologies sur les nanoparticules sont lacunaires. «Dans quelle mesure les nanoparticules des emballages peuvent-elles se retrouver dans les aliments?» se demande Martin Möller.
Faut-il établir de nouvelles régulations? «Fondamentalement, les prescriptions légales en Suisse comprennent aussi les nanomatériaux, mais elles ne comportent aucun règlement spécifique au nano», résume Andreas Hermann, de l'Institut d'écologie appliquée de Darmstadt, coauteur de l'étude. Le TA-SWISS émet plusieurs recommandations: aucun moratoire n'est nécessaire à ce stade, pas plus qu'une loi dédiée. Le droit en vigueur sur les denrées alimentaires devrait par contre être adapté aux exigences spécifiques des nanotechnologies. Le principe de précaution devrait y être inscrit, comme dans la loi suisse sur l'environnement.
Le TA-SWISS recommande de rendre obligatoire le devoir des producteurs et importateurs de signaler les aliments et emballages contenant des nanomatériaux potentiellement inquiétants. Un système d'étiquetage détaillé les mentionnant devrait aussi être établi, afin de faciliter leur traçabilité dans la chaîne de production et de laisser aux consommateurs le droit du libre choix. «L'Office fédéral de la santé publique réfléchit à la pertinence d'une telle mesure», se borne à dire son représentant Michael Beer, en assurant que tout produit lancé sur le marché est aujourd'hui strictement contrôlé.
La troisième auteure de l'étude, Ulrike Eberle (de Corporate Sustainability, à Hamburg) en est sûre: «Les consommateurs n'accepteront les «nano» dans les produits alimentaires que s'ils sont accompagnés d'importants avantages additionnels pour la santé (par exemple à travers une meilleure assimilation des vitamines), ou par une simplification du quotidien (extension de la conservation, indication des aliments avariés, etc.).»
De tous côtés, on prône une intensification des études toxicologiques, une transparence maximale des chercheurs et des industriels, et une implication sérieuse des consommateurs dans un vaste débat public. Au risque, sinon, de reproduire les controverses des OGM.
© Le Temps, 2009 . Droits de reproduction et de diffusion réservés.
(Article copié-collé, Le Temps n'autorisant sa lecture que pour une durée limitée)