...avec un moteur
Bon, j’y suis. Le plein c'est ok, j’ai fait trois fois le tour de l’avion, j’ai 2 bidons de 6L à bord + mon sac avec 2 semaines de fringues, la bouffe, les cartes OACI 1/500000, la cartabossy 1/1000000, les 2 GPS, les logs de navigation…GO.
Il fait presque 30 degrés, le ciel est parfaitement dégagé, ca veut aussi dire que dès que je ferme la bulle il ne faut pas trainer pour décoller sous peine de se faire lyophiliser. Le vent est modéré du 27, plein Ouest quoi, donc à Montaigu ca veut dire décollage en 25, dans le sens Est - Ouest donc.
Je suis tout seul sur l’aérodrome ce jeudi après midi, tant mieux, j’aime pas les foules et puis c’est autant d’occasion de se laisser distraire. Or aujourd’hui, je pars pour une bonne grosse nav vers les Alpes du Sud, destination Barcelonnette. Il s’agit d’être un peu concentré sur les préliminaires.
Enfin, je suis quand même pressé d’être en l’air, parce que, ca y’est, il fait chaud dans le cockpit. Quand on décolle en 25, le seuil de piste est plus près donc il y a moins à rouler, c’est déjà ca. Petit coup de frein au point d’arrêt, pression et température d’huile OK, Température cylindre OK, altimètre sur 0, radio OK, robinet d’essence ouvert, pompe à essence sur marche, réchauf carbu poussé, compensateur sur décollage, un cran de volet, commandes libres et agissant dans le bon sens, verrière verrouillée…plus d'air -la vache je vais crever avant d’avoir décollé-, ceinture attachée, personne en finale, message radio. « Scrioutch Montaigu, Hotel Yankee, au point d’arrêt 25, je m’aligne et je décolle ». Je pousse la manette un bon coup pour monter sur la piste, et je le retire en arrière pour m’aligner en douceur…ca broute, normal, les carbu à dépression aiment pas que le moteur tourne à bas régime longtemps.
Plein gaz, le Limbach prend 2700 tr/mn, c’est pas mal vu la température. Décollage en 150 - 200 m, on rentre les volets, on coupe la pompe à essence électrique, un bref passage sur 126.92 à la radio pour récupérer le QNH et étalonner l’altimètre et c’est parti pour le premier tronçon Montaigu – Egletons.
Un peu avant Niort, il y a quelques signes d'instabilité passagère. Le truc classique, il y a un gros nuage un peu noir qui cache le soleil, pas du cumulonimbus, mais pas très net quand même...avec quelque chose qui ressemble à de la brume dessous. A moins que ce soit juste la différence d'impression visuelle due au soleil masqué ? Confiant, je ne fais pas de détour, erreur. Un rideau d'eau tombe sur la verrière. Petit coup de palpitant, virage à 90 degrés avec faible visibilité et hop on est sorti de là. En avion, on arriverait presque à ne mouiller qu'une aile en longeant le bord d'un nuage de ce type.
Tout revient vite au calme, l'occasion d'un petit autoportrait...
C’est marrant de voir le relief évolué doucement sous ses pieds. Je passe au dessus du marais poitevin, puis un peu au Sud de la TMA de Poitiers et progressivement le paysage change.
Du tout plat, on passe à un cimetière collines érodées, et puis on remonte le temps…Ca se vallonne plus franchement après Limoges ou là encore il faut faire un petit saut de mouton par-dessus la TMA…Ah oui, et puis il faut éviter de s’emplafonner les zones militaires…vous saviez qu’en France, il y en autant que dans tout le reste de l’Europe ? Pffff…Le pire c’est qu’en fait on peut se prendre un mirage dans les fesses n’importe ou et à n’importe qu’elle altitude. C’est simplement que partout ailleurs ils sont en VFR et que, donc , ils sont sensés voir et éviter…sauf qu’eux ils volent à 450knts (830km/h) ! Ca veut dire qu’il faut bien s’entraîner sur flight simulator pour se forger des réflexes à la top gun si on veut avoir une chance de voir -voir c’est déjà pas mal hein mais ca suffit pas- et surtout éviter le gros bidule à réaction qui arrive à cette vitesse… Sachant qu’un bouzin de 15 tonnes qui arrive à 450 knts ca représente une énergie cinétique sympathique et une turbulence de sillage mortelle pour n’importe quel moustique, avion de tourisme, parapente, mobilette que sais je… qui se trouverait sur la trajectoire. Bref, nous y voila, je suis en pleine bourre à heu…91 knts et moi, même si je peux pas défriser la moustache d’un frelon avec la tuyère de mon réacteur -je préfère les couper en deux avec le hachoir de mon hélice yék yék- au moins je peux me poser à Egletons…et ca, croyez moi aucun mirage ne pourra jamais y arriver.
(de bons yeux verrons le piste d'Egletons coincée entre deux collines arborées)
C’est beau, Egletons, c’est paumé, mais c’est beau. Il y a plein de collines, couvertes d'arbres bien chevelus, un petit lac et rien autour. Et puis, tout près du lac, entre les collines il y a une piste en dur, la classe. Par contre c’est aussi très mort. Personne à des kilomètres à la ronde. J’imagine que ca devait faire cet effet aux pilotes de l’aéropostal quand ils se posaient au milieu de la pampa d’Amérique du sud…Oui oui on rêve beaucoup quand on vole longtemps, ce qui peut peut-être expliquer pourquoi il y a tant de pilotes qui abîment les montagnes avec leurs avions.
(Le no man's land d'Egletons...)
(...et l'avion du beatnik)
Tien, parlons en, je viens de vider mes deux bidons de 6L dans le réservoir du Jojo. J’ai passé mes messages radio, je suis aligné en entrée de piste et donc, une fois n’est pas coutume gaz à fond !
2600 – 2700 tr, -normal-. Ca roule bien sur le bitume, je tire au bout de 150/200m et on décolle sans problème. En face de moi les jolies collines s’avancent gentiment. Je rentre les volets, je prends 130 km/h pour 1000 ft/min au vario, toujours pas de problème. Bon...mais quand même elles se rapprochent les collines. Enfin ca va hein, ca passe, mais c’est plus juste que ce que j’imaginais au début. Bien que...ca passe ou ca passe pas ? Heu…merde, ca passe pas ! hop, demi tour droite à 50/60 degrés d’inclinaison en montée accroché au moteur. La bille au centre, la bille au centre, la bille au centre. Je m’applique parce que dans ces conditions, il s’agirait pas d’aller manger du sapin en décrochant comme un couillon. A ce moment là pendant un temps qui paraît toujours trop long, je me retrouve face à la colline qui se trouvait initialement sur ma droite. J’aime pas beaucoup me retrouver face à un relief. Ca met toujours la pression, même quand il y a de la marge.
Bon ca s’arrange, je retrouve la piste devant moi, ca tombe bien en plus comme ca je repars vers l’Est. Petit passage au dessus du lac…serein. Heureusement que le pote qui devait faire le voyage avec moi s’est désisté au dernier moment, avec un taux de monté plus faible ca aurait été rock’n roll. Note pour plus tard, toujours regarder la hauteur des reliefs autour de la piste sur les cartes d’approche.
(Après un 180 degrés un peu à l'arrache...on se sent bien)
La vache…c’est beau le massif central vu d’ici. Et ca tombe bien parce que, sans aucun doute c’est le pays des vaches. Les pentes d’herbes rases se succèdent, ca donnerait presqu’envie de tomber en panne pour le plaisir délicat d’aller tâter du pneu dans la verte prairie.
(Pourquoi je suis à 8000ft ?...pour éviter les mirages qui rampent plus bas...)
(Oui, oui, je sais à cette époque là il y avaiut un trou dans mon tableau de bord...maintenant c'est règlé)
A peine une heure plus tard et après un passage furtif à FL85, je survole le Puy en Velay ou je me pose pour mon vrai ravitaillement avant d’attaquer les Alpes. C’est une mesure de précaution qui me parait utile au cas ou, un jour, il me faudrait faire demi tour. Qui plus est , le Puy est un aérodrome que j’adore. C’est une piste surdimensionnée pour mon Jojo, qui reçoit deux fois par jour un Beech 1900D faisant la navette vers Orly. Il me semble que pendant un temps il y avait aussi des Fokker 100 qui se posaient là…C’est déjà du gros bestiaux. Mais le plus marrant, c’est qu’au bout de la piste il y a un vrai aérogare. Or, arrivé en Jodel D19 avec les bidons d’essence et la baguette de pain façon beatnik sur la plage arrière devant un aérogare ou des touristes attendent leur avion c’est la classe… hihi. En fin de carrière de pilote privé, je me dis que ca vaudrait presque le coup de se dérouter sur Orly ou Roissy en simulant une panne juste pour se garer devant l’aérogare et voir la tête éberluée des passagers mouarrfff.
(En approche du Puy)
25mn plus tard le plein est fait et après quelques échanges de politesse avec l’agent AFIS de la tour, c’est reparti. Je saute par-dessus le Puy. C’est vraiment une ville sympa vue d’ici avec sa micro montagne intégrée.
(Le Puy en Velay)
Encore quelques kilomètres de reliefs tout en rondeurs et j’arrive sur la vallée du Rhône un peu en dessous de Valence. La grosse cheminée de la centrale au Sud est un repère facile à identifier.
(Valence, le Rhone...)
(...et au fond les Alpes)
Et là, droit devant, le mur des Alpes. Le contraste est impressionnant de là ou je suis. On peut vraiment parler d’une « barre ». On passe de 0 au niveau de la vallée du Rhone à 2500m une poignée de kilomètres plus loin. « La porte » se trouve à la verticale d’Aubenasson, direction Gap…et la, encore une fois, c’est bôôôô. Oui, mais pas seulement. Dans cette aérologie sans heurts je me prends brutalement un coup de pied au cul qui manque de peu de me coller la tête dans la bulle, BOoOuUm ! Ca fait tout drôle quand on se croit à l’abris dans la stratosphère à FL75…Ben non, ici, ca suffit plus pour se mettre hors de portée des sillages de montagne. Un tour rapide des instruments, j’écoute le moteur un petit moment, tout va bien, le palpitant peut redescendre sagement et redonner de la disponibilité aux yeux pour la contemplation.
Le passage devant le site mythique de Céüse reste un must. Sur son « chapeau », autrefois, il y avait une petite station de ski dans laquelle le hors piste sans visibilité était vraiment très déconseillé à moins, bien sur, de vouloir battre le record du monde de saut/chute à ski. -Je crois malgré tout qu’il faut survivre pour homologuer un record non ?-. C’est aussi et surtout une falaise bien connue des grimpeurs du monde entier pour une voie extrême appelée « Biographie » (9a+) qui a fait longtemps parlé d’elle comme étant infaisable avant qu’un américain (Chris Sharma) nous démontre qu’en fait si ca l’était (faisable). On trouve une super démo de l'enchainement sur Youtube pour les amateurs.
(Céüse)
Je m’éparpille ? Pardon. Je reprends le manche…La vallée de Gap, c’est grand, et tout plat de la haut. Je tchatche un peu avec l’AFIS de l’aérodrome qui se fout royalement de moi. J’imagine qu’il est plus concentré sur les planeurs qui foisonnent dans le coin. J’essaye au moins d’obtenir de lui la piste en service à Barcelonnette. « Je sais pas, on est pas à Barcelonnette »…-Ok-.
(L'aérodrome de Gap et son sympathique AFIS)
(Gap...)
(...et sa vallée)
Par contre, droit devant le lac de Serre Ponçon me tend les bras et pfffff….c’est bôôô quoi. Au bout, J’ai le choix entre prendre le bras gauche du lac pour remonter la vallée du Queyras avec Guillestre, Briançon…et celui de droite pour la vallée de l’Ubaye avec Barcelonnette. -Suspens- Et si au dernier moment je me faisais un craquage complet, en partant vers le soleil couchant tout en roulant une clope et en chantant « I m a poor lonesone cowboy » ? Mais non, restons les pieds sur terre si je puis dire, ou plutôt retournons y (sur terre).
(Serre Ponçon)
(sous différents angles)
Franchement, je la joue profil bas lorsque je commence à m’enfoncer dans la vallée de l’Ubay. C’est très étroit et je vole en dessous du relief, pas sûr que tous les demi-tours soient évidents. C’est pour ca qu’à partir de là il y a moins de photos de l’arrivée…
(Droit devant l'entrée de la vallée de l'Ubaye)
Je vole légèrement à droite en remontant la vallée, au cas ou un autre avion ait la drôle d’idée de venir en sens inverse. Je suis encore à 6500ft et le terrain est à 3714ft, ca fait un peu de hauteur à perdre, je plonge. Un peu avant l’aérodrome la vallée s’élargie, ca va mieux. Je vois bien la piste et Barcelonnette droit devant, les stations de Pra loup et du Sauze à droite et dans le fond, la bas, je devine Meyronnes et St Ours ma destination finale. Je commence à appeler le terrain à la radio :
« Scrioutch Barcelonnette, Hotel Yankee, bonjour, un Jodel D19 en provenance du Puy en Velay a destination de vos installations, actuellement 5000ft QNH, et 3 nautiques à l’Ouest, quelqu’un pour la piste en service ? »
« Scrioutch Oui Barcelonnette piste 27 en service, on a plusieurs élèves en planeurs et en cours d’approche silence radio s’il vous plait et prenez large le tour de piste pour les laisser passer »
« Scrioutch Reçu 27 en service je remonte la vallée droit devant et je me pose derrière les planeurs en approche, Hotel Yankee »
Ah…bon ben c’est pas grave je me tais et je continue droit devant, sauf que, droit devant la vallée remonte et que je suis déjà bien descendu dans la perspective d’atterrir…héhé ca me rappelle quelque chose.
(Barcelonnette et son aérodrome -en tout petit-)
(ben on dirait pas comme ca, mais en fait elle monte cette vallée)
Je peux même pas tourner autour du terrain puisque je dois dégager pour laisser la place aux planeurs -fuck-. Ca recommence, il va falloir gérer le taux de montée qui n’est pas le même à cette altitude. Je vois les planeurs déboulés de la montagne à ma droite et s’inscrire un par un dans le tour de piste. Il y en a 6, ca veut dire qu’il faut que je me barre suffisamment loin pour les laisser se poser pépère pendant que je galère pour retrouver un peu de marge vis-à-vis du relief.
Bon, heureusement Jojo gonfle son torse velu et Saint Limbach est avec nous ce soir. Il envoie tous ses p’tits chevaux dans la bataille et la gagne avec bravoure. Me voila au bout de la vallée, cool. Je fais un magnifique demi tour gauche et je me retrouve en -super- longue finale sur la 27 avec tous les planeurs au sol. Juste moi et mon fidèle destrier chaud comme la braise face à la 27 de Barcelonnette en duel…ca va chier.
Le problème maintenant c’est surtout de perdre l’altitude que j’ai prise en remontant la vallée en sens inverse. Plein volet, moteur au ralenti, les yeux rivés sur la vitesse -110, 120Km/h au badin- pour avoir le meilleur taux de chute sans flirter avec la zone rouge. Ca dégringole comme il faut. Je reprends un chouille de vitesse sur les derniers mètres pour garder de l’énergie dans l’aile car la piste monte et qu’ils signalent en plus un rabattant à l’entrée sur la carte d’approche.
Le crissement bien aimé des pneus sur le bitule se fait entendre….Posé en douceur…C’est bien la vie. « I m a poor lonesome cowboy »
(Sur l'aérodrome de Barcelonnette)
