sajou
Invité
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« le: 01 Octobre 2006 - 16:31:54 » |
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Prélude à un Tour du Mont-Blanc...
J'y pense depuis longtemps, depuis mes premiers cross... Depuis que Romain* et Zeitoun m'aient raconté leurs voyages autour du Massif. Et puis, voler en haute montagne, pour moi qui suis guide, quel bonheur ! (*Romain l'a fait dans les deux sens et ce, depuis Chamonix.) Mais, au printemps, j'ai souvent regardé les copains continuer sans moi. N'est-ce pas Lucas ! J'ai aussi pas mal marché, redécollé et parfois même réussi à rentrer... harassé. Bref, je n'étais pas prêt, du moins, pas encore.
Profitant d'une météo peu propice au cross, je vole beaucoup autour de la vallée de Chamonix.
Je m'applique dans le thermique, travaillant d'un côté, puis de l'autre. Je ne lâche rien avait d'être au plaf, voulant croire que nulle barbule ne resterait inaccessible.
Je profite aussi de la belle dynamique qui plane sur Chamonix , autour des copains. Et j'essaie de mettre en application les conseils, entre autres, de Denis C... J'apprends, j'apprends beaucoup même. Et avec les progrès, c'est une certaine confiance qui revient.
Depuis plusieurs jours, je passe 3 à 5h en l'air à chaque vol. Mais surtout, j'explore : un petit tour par ci, un petit tour par là... La transition... c'est par ici, ou bien par là? Quel plaf est nécessaire ? Et si jamais, ça ne fait pas, où poser ? Je regarde la carte en relief, encore et encore...
Le mythique cross autour du Mont-Blanc est en train de prendre forme, tout du moins dans mon imaginaire.
Je m'interroge...
18 juillet 2006 : 3900m d'altitude, quelque part du côté du Chardonnet...
La tentation est forte, trop forte. Je me laisse glisser le long de la frontière, versant Saleina. Je regarde vers l'Italie, le ciel est bien chargé. Et puis, je suis seul, et puis, et puis... le doute! Je repasse au col supérieur du tour, à 50m sol, il était temps. Mais ce n'est que partie remise; ça, je le sais! D'ailleurs, je le sens bien. La masse d'air s'améliore de jours en jours et les plafs montent.
Un message de Caro, elle me propose de me joindre à un entraînement du pôle France, le lendemain à Plaine-Joux. Sic ! J'hésite... C'est une belle opportunité de progresser. D'un autre côté, j'ai un peu peur de gêner et puis? Il y a cette petite voix qui résonne dans ma tête, celle des prévisionnistes.
Le jour se lève?
Une bonne nuit de sommeil et un ciel radieux, la journée s?annonce belle. Ce matin du 19 juillet 2006, et ce malgré une excitation non dissimulée, c?est une certaine sérénité qui domine en moi.
Je prends tout mon temps pour me préparer, et rejoindre les copains. En chemin pour le terrain d?atterrissage du « Bois du Bouchet » je croise Lucas, en moto. Il pars voler !
Il est tôt, « attends un peu ! » lui dis-je. « Y a un truc à faire aujourd?hui, je le sens ! » On discute un peu, et Lucas pars pour « faire un run », rapide, comme il dit? « Ouaip ! On se mets quand même en radio, des fois que? » « Ok, à toute allure. »
Au terrain, je retrouve Nanard et lui fais part du projet du jour. Notre ultra motivé et non moins « ancien » du groupe à l?air, somme toute, un peu dubitatif. Comme à son habitude, aurais-je envie de dire. Mais, il ne dit pas non, non plus, hein ! Tout juste : « on essaie de monter, après on verra bien. », et nous voilà parti vers Plan-Praz?
Au déco, il y a du monde. Beaucoup de pilotes sont déjà hauts dans le ciel ou partis en cross. Les conditions s?annoncent excellentes, avec de beaux plafs.
Début du vol depuis Chamonix
Il est midi lorsque l?on se met en l?air. Un choix tactique pris au départ. Décoller un peu tard devrait faciliter le passage, « clé », vers la Suisse en profitant de plus hauts plafs ? Pas de nouvelles de Lucas, je l?appelle à la radio. Plus d?une heure qu?il est en l?air. Il m?apprend qu?il se trouve vers le glacier de la Finive (1). Tu parles d?un « p?tit run » ! « Fais demi-tour, on se rejoint vers Emosson »
Nanard, qui avait décollé un peu avant, (cause déco encombré?) m?a mis la « pression » d?entrée de jeu, en filant à toute allure, jouer avec les nuages. Je dois m?appliquer pour le rattraper vers la Flégère. Coquins, de copains ! Nous enroulons maintenant de concert, au dessus de l?Aiguille de Mesure. C?est géant. Les plafs sont exceptionnels. Je me laisse grisé un court instant par l?altitude, et monte le long du nuage? Tout excité, j?annonce à la radio : « 4200m, 4200m, c?est du délire? »
C?est mon premier plaf au-delà des 4000 mètres. Et surtout, la petite voix me dit : le tour du Mont-Blanc, le Tour du M? Nous pourrions déjà transiter. Nous continuons néanmoins vers Emosson, rejoindre Lucas, et tenter ensemble cet extraordinaire voyage. Pointe de la terrasse, on a Lucas en visuel. Il est de l?autre côté du lac d?Emosson. C?est parti ! Nous transitons (2) vers la Croix de Fer, seule face est du coin.
Et là, coup de théâtre !
On vient de perdre Nanard. Parti un peu « plus bas », il n?y croit pas (3) et dévie sa trajectoire vers le Col de Balme. Derniers encouragements, c?est malheureusement trop tôt sur ces faces ouest? Dommage, car ça raccroche sans souci et nous nous retrouvons vite au nuage avec Lucas.
Depuis Chamonix, la Suisse constitue sûrement le passage clé dans cette aventure. Et justement, on y arrive. La tension est palpable. On le sait, maintenant les choses sérieuses commencent. Mais voler ensemble est un plaisir et cela nous rassure.
C?est le début de notre aventure en Helvétie.
Pointe Ronde, Le Génépi, la Cabane de Trient, notre parcours devient plus chaotique. Le vent météo, de tendance sud ne facilite pas notre avancé vers le Mont Dolent, frontière emblématique entre nos trois pays. Tandis que Lucas revient un peu en arrière pour se refaire, je prends un peu d?avance, Bien lui en à pris. Je peine à avancer. Je bute, encore et encore? Et il m?est difficile de reprendre de l?altitude. Heureusement, Lucas a fait un gros plein et revient au dessus de moi. C?est rassurant et plaisant de le voir repartir de l?avant. Sur l?arête du Dolent, au dessus du Petit Grapillon, une belle ascendance l?attend. Et tandis qu?elle l?emmène haut dans le ciel, je dois patienter le cycle suivant.
? dans l?espace aérien du Val d?Aoste.
Je survole maintenant le Dolent et le spectacle est magnifique. L?ambiance est sauvage de ce coté ci du massif. La transition au dessus du glacier de Pré de Bar et du refuge Dalmazzi nous permet de souffler un peu. Les face sud du massif et leurs ascendances généreuses nous tendent désormais les bras. D?ailleurs, au-dessus du « bivouac Frébouze », à peine dépasser les arêtes qui descendent du Mont Rouge de Gruetta, nous voilà littéralement propulsés vers le ciel.
Quelque part du côté des Jorrasses, à plus de 4200 mètres d?altitude?
A la poursuite de Lucas, je transite sous les nuages, en direction des « Grandes Voraces ». Sa radio donne des signes de faiblesse. Désormais nous garderons donc un ?il l?un sur l?autre. Quel plaisir de voler si près du sommet, alors même que des alpinistes (4) entament leur longue et périlleuse descente dans la vallée. L?altimètre affiche maintenant 4370m ! Au loin, j?aperçois l?aiguille du Midi et tout près, la dent du Géant. Des lieux, au combien, familiers pour nous qui sommes Guides. Je ne peux résister à quelques tours superflus, jouissant du magnifique spectacle de la nature.
Comme une invitation au retour, les glaciers de la « Vallée Blanche », géants de glace aux pieds d?argile, s?écoulent paisiblement vers Chamouny,
J?exulte ! La longue transition vers l?Aiguille Noire de Peuterey est calme. J?en profite pour me détendre et faire quelques photos. J?observe Lucas, qui « enroule » au dessus du sommet, que du bonheur ! J?arrive à mon tour, une cinquantaine de mètre en dessous du sommet. Les ascendances se font moins généreuses. Je m?applique et décide qu?il est temps d?avancer avant que le soleil ne quitte les lieux. En dessous de nous, le Glacier du Miage rejoint le Val Véni. On aperçoit même le Lac de Combal. Au fond, c?est le Col de La Seigne et, juste derrière, la Ville des Glaciers. L?ombre a d?ailleurs envahie la vallée et ne présente pas un visage des plus accueillants? Un petit coup d??il sur la droite, je vois le col de Miage. C?est l?un des sésames sur le retour. Mais, il reste inaccessible ; je suis trop bas !
J?ai maintenant perdu de vue, Lucas. Espérant le voir au loin, je scrute la montagne, sans résultat. La dernière fois où je l?ai aperçu, il était vraiment haut ! Il a sûrement dû basculer au Col de Miage?
Le Col de la Seigne demeure plongé dans l?ombre des nuages. Et je n?ai aucune envie de me laisser glisser dans cette obscurité. Comme une lueur d?espoir, quelques rayons du soleil illuminent encore une fine arête. Ce sont les flancs de l?Aiguille de Tré-la-Tête. C?est tout petit, étroit et couché, mais je m?accroche. C?est peut-être ma dernière chance pour rentrer?
3900m, c?est gagné ! Je survole l?Aiguille de Tré-la-Tête .
Quel soulagement de savoir qu?il est maintenant possible de se laisser glisser en finesse jusque dans la vallée de Chamonix. Une pensée pour Lucas, je scrute une dernière fois le ciel ; il doit être rentré.
Fatigué, mais libéré de toute pression, la suite du vol revêt un autre visage?
Comme apaisé, je savoure pleinement cet instant, et je me promène tranquillement, ici où là, contemplatif. Je suis comme autrefois, « gamin ». Et malgré la fatigue, je n?ai pas envie que la magie ne s?estompe.
Au-dessus du Brévent?
Du côté des Drus, des ailes tournoient comme dans un balai aérien. La tentation est forte, de les rejoindre et de prolonger encore cet instant. Pourtant la raison me dit qu?il est temps. Et c?est heureux, que je foule à nouveau le plancher des vaches.
Petit moment d?inquiétude, Lucas n?est pas là ! Bientôt, il apparaît dans le ciel (5). Nanard, lui aussi, est présent. A la fois un peu déçu de n?avoir pu nous accompagner, mais heureux pour nous, Il est venu nous accueillir. Nous pouvons enfin partager pleinement ce grand moment, tous ensemble.
Un grand merci à tous ceux avec qui j?aime à partager ces moments? Il y en aura pleins d?autres, soyez en sûr !
(1) Je ne sais pas ce qu?il avait, Lucas, ce jour-là ! Mais il voulait absolument que l?on envahisse la Suisse. Il arrêtait pas de me dire, t?as vu vers la suisse il y a des bornes à faire, hein ! Et du coté de Verbier, c?est bien allumé, non ! Et moi de cesse? Nan, nan, nan, aujourd?hui, c?est Tour du Mont-blanc ! Allez, sans rancune, on l?envahira l?an prochain, la Suisse.
(2) Lucas, toujours prévoyant était parti en short. Eh oui, un p?tit run quoi ! c?est donc lors de cette transition qu?il glissa ses petites menottes dans la poche de sa sellette pour y trouver sa combinaison qu?il du enfiler? à l?envers
(3) Nanard se rattrapera quelques jours plus tard en faisant, avec nous, mais en « aveugle » l?aller-retour Annecy. Euh, Nanard, faudrait peut-être que tu regardes une ou deux cartes !
(4) J?apprendrai plus tard qu?il s?agissait d?un collègue et un de ses clients.
(5) Il s?avère qu?il n?avait ni basculer au Col de Miage, ni à Tré-la-Tête. Il s?était laissé glisser, dans l?ombre, du Col de La Seigne. Brrr... Finalement il ressortira quelque part derrière le Mont Tondu. Ouf?
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