Sambuy 31 juillet 2020 - premier grand cross
31 juillet 2020. Il est presque 11h, on est au parking de la petite station de ski de la Sambuy, au nord-est du massif des Bauges. Partis de Grenoble sur les coups de 8h avec Agustin et Colas, on a rejoint Gontran, Adrien et Coline à l’atterrissage du col de Tamié. À la caisse des remontées mécaniques, on nous informe des conditions de vent au déco et on nous tend un dépliant d’information parapentesque : les décos du coin, la réserve des Bauges, l’atterro, la carte des brises et confluences, et même quelques thermiques de service sont indiqués. Trop facile, merci Mademoiselle.
Ce sera mon premier vol depuis ce fameux spot de départ de cross. Les prévisions météo sont plus qu’alléchantes avec des plafonds à 3000m et plus sur les Bauges et les Aravis, aucun surdéveloppement et assez peu de vent – tendance Sud évoluant à l’Ouest en altitude. Canicule oblige, il faudra se méfier d’une probable stabilité en basse couche. C’est d’ailleurs l’une des raisons du choix de ce déco à 1800m.
Le plan de vol : décollage plein Nord, cap à droite toute au-dessus du télésiège pour contourner les pistes de ski et aller chercher la combe plein Est juste derrière. Premier objectif de la journée : descendre les faces Est des Bauges jusqu’à l’Arclusaz. Pour la suite j’ai deux options principales en tête. La première : rester dans les Bauges, soit dans la partie que je connais un peu (Montlambert, Colombier, Roc des Boeufs) et retour par la pointe de Vélan, soit un plus petit tour par le Trélod et l’Arcalod que je ne connais pas. Ce sont surtout ces itinéraires que j’ai préparés hier soir avec Google Earth et les traces des copains. La seconde option est franchement plus ambitieuse, c’est le plan de vol de Gontran : demi-tour à l’Arclusaz, pour remonter vers le Nord et basculer sur la chaîne des Aravis via la dent de Cons et le Charvin. Objectif la Pointe Percée et retour par l’Ouest du massif, balise au Parmelan puis bouclage par les Bauges. Un sacré triangle pour moi qui n’ai que deux cross de plus de 50 km à mon actif, tous deux réalisés cette saison.
On se briefe et on compare les options sur le télésiège. Vu d’ici, avec cette atmosphère caniculaire un peu brumeuse, le Charvin n’a déjà pas l’air tout près, alors la Pointe Percée… et puis n’ayant jamais volé dans les Aravis, j’ai une idée assez vague de l’itinéraire de retour. Mais pourquoi pas. Beaucoup de voyants sont au vert pour tenter quelque chose d’ambitieux. Je me sens en forme physiquement et mentalement, j’ai beaucoup volé depuis le déconfinement et notamment ces deux dernières semaines, et j’ai eu l’impression d’être affûté en thermique et d’avoir amélioré mon endurance – même si je n’ai encore jamais volé plus de 4 heures d’affilée.
Hop, on descend du télésiège. Merde, même à 2 à l’heure, à pied et avec un sac de 18 kg ça reste un poil casse-gueule. L’ambiance au déco est un peu surréaliste. Le haut et les abords de l’aire d’envol sont bondés de pilotes prêts à décoller. Les biplaceurs pro n’en reviennent pas : il semblerait bien que leur spot soit à la mode. On déplie les voiles où on peut aux alentours, en tâchant de ne pas barrer la route au flot de randonneurs et de familles en goguette qui débarquent comme nous du télésiège. Il y a déjà des ailes assez haut et l’excitation des crosseurs est bien palpable. Je sens ma propre tension monter, comme avant tout gros vol. Il s’agirait de ne pas faire un tas. Je me force à finir mon sandwich tout en enfilant mes couches de vêtements et en préparant mon matos : radio, vario GPS, bip-bip solaire, téléphone portable pour les photos, camelback, nourriture.
Décollage à 12h15. Forcément, plein Nord à cette heure-ci, c’est pas spécialement face, mais on fait avec – je remercie quand même le gonflage hyper facile de l’Epsilon parce que le déco n’est pas des plus évidents. En arrivant sur la face au soleil, je trouve tout de suite quelque chose au dessus de la forêt et commence à enrouler. Le thermique est d’abord très couché, léchant le relief, puis se redresse presque à la verticale du déco. C’est parti pour le plaf avec un bon +2 m/s régulier et pas fatiguant. Fini la foule du déco, je suis seul dans mon thermique et je peux apprécier le paysage.
Faverges, la Tournette et le Lac d’Annecy vus du premier plaf de la journée.Le Mont Blanc en toile de fond du vol. Au premier plan Belle Étoile et Dent de Cons, rampe de lancement pour les Aravis.
Derrière de gauche à droite : Mont Charvin, Val d’Arly et Beaufortain. Premier objectif de la journée : l’Arclusaz ! La vallée du Grésivaudan, Belledonne et la Chartreuse se devinent au fond. Il est 12h29, j’ai décollé il y a moins d’un quart d’heure et je suis déjà à 3100m. Autant dire que ça commence très bien. Alors qu’Agus n’a pas eu autant de chance que moi et bataille un peu plus pour s’extraire, Gontran et Adrien sont déjà partis pleine balle vers les faces Est de l’Arclusaz sans trop se soucier de faire le plaf. Je me lance à mon tour, en sachant bien que j’ai peu de chances de les rattraper. Pas grave, j’ai l’habitude de crosser en queue de peloton.
Première transition, c’est un peu irréel d’être déjà si haut. Je bataille pour ajuster ma sellette, ferme les écoutilles de la gore-tex et me couvre un maximum le visage. J’adore ce feeling, lorsque je sors du premier bon thermique de la journée et attaque la balade, prêt à tenir la distance. Yeeha ! Une fois aux crêtes, le cheminement fonctionne comme prévu. J’avance, plutôt efficace, jusqu’à l’Arclusaz, retrouvant Colas en chemin. Je me fais un point d’honneur de survoler la croix et gratte donc un peu avant de repartir. Première balise posée.
Le retour vers Tamié à peine entamé, je croise Agustin sur sa route pour l’Arclusaz. Quelques minutes plus tard la pointe des Arlicots me satellise à nouveau à 3300m où tournent déjà quelques voiles, sous les premières barbulles du jour. Je décide d’attendre un moment les copains croisés en bas. J’en profite pour faire un crochet et survoler l’envers du décor de l’Arclusaz et cette fameuse réserve des Bauges. J’ai jusqu’ici toujours longé la zone par les faces Est, depuis Montlambert, trop bas pour voir de quoi il retourne. Je trouve le premier thermique vraiment tonique au Mont Pécloz avec quelques tours avoisinant les +4, et suis vite de retour aux barbulles à presque 3600m.
13h30, premiers cums sur les Bauges (Trélod, Arcalod, Pointe de la Sambuy).
Vue à 3300m au-dessus de la Pointe des Arlicots. Au fond le lac d’Annecy, la Tournette et les Aravis.
Les conditions sont décidément fumantissimes et je suis en train de me décider pour l’option ambitieuse. Ce serait dommage de ne pas en profiter. En revanche, j’ai beau avoir sorti le grand jeu en termes vestimentaires, je commence déjà à avoir froid. Aux mains bien sûr mais surtout au bas du corps. Je me promets d’installer le coverleg de ma sellette en vue du printemps prochain. Dans l’immédiat, il va falloir avancer pour redescendre un peu et ne pas se faire pomper trop d’énergie par le froid. J’abandonne l’idée d’attendre les copains pour l’instant et prends la direction des Aravis.
Il est 14h, je survole le col de Tamié et l’atterro perché à 2500m. J’ai le Sud/Ouest dans le dos, je transite à 45 km/h bras haut sous ma petite Epsilon 7. On est pas mal. À la radio, Gontran annonce qu’au Charvin ça monte en ligne droite, tandis que Coline, Agustin et Colas se sont retrouvés un peu bas et ont du mal à trouver de quoi ressortir. Conformément aux prévisions, il semble que les basses couches puissent être piégeuses ! Avertissement reçu, on va tâcher de rester haut.
Ça remonte fort au-dessus de la Dent de Cons. Légère euphorie. Une voile qui arrive du Nord à la même altitude me rejoint dans mon thermique. On enroule à deux en montant au même rythme sur plusieurs centaines de mètres, jubilatoire. Le thermique est vraiment large et homogène, la conversation s’engage, à pleins poumons : “Ça va ?
– Bah ouais c’est fumant !
– C’est clair ! Tu vas où après ? [etc.] ”
J’ai relâché mon attention, mon bout d’aile extérieur me rappelle à l’ordre. Le temps de recentrer, mon camarade est 20m plus haut puis continue sa route. Bon vol l’ami.
Grand angle à 3200m au dessus de la Dent de Cons. Prochaine étape le Charvin et “l’autoroute” de la chaîne des Aravis en face.
On distingue la pyramide de la Pointe Percée dans le lointain. J’arrive sur la crête du Charvin à 2300 et trouve rapidement de quoi remonter à 3000m, le vario moyen frisant encore les +3. Je me doute qu’avec ces conditions je pourrais me passer d’enrouler, avancer en marsouinant et gagner en efficacité, mais j’aime autant voler haut si possible. Et puis c’est juste jouissif de travailler le thermique et de monter au plaf dans de telles conditions. J’entends en radio Gontran décrire à Adrien l’itinéraire qu’il suit pour rejoindre l’Ouest du massif depuis la Pointe Percée, et je prends bonne note.
À l’approche du monumental col des Aravis, la masse d’air est plus turbulente qu’en début de vol, je me retrouve souvent à lâcher les arrières pour reprendre les freins. Je suis à nouveau plus proche du relief et me positionne résolument au-dessus des faces Ouest. J’aime autant éviter de me faire piéger dans ces énormes combes minérales qui doivent être atomiques à cette heure-ci. Il est bientôt 15h, je m’attends à ce que la brise dépote dans le col. J’attaque donc la traversée en partant à 2700m et en visant une bonne laisse de chien. Je ne suis pas déçu, le venturi est bien là, la dégueulante en plus. Je termine en crabe avec une bonne dose d’accélérateur, en visant une raccroche au-dessus des télésièges. Je vois des biplaces décoller un peu plus loin et me dis que ça doit être ça la Clusaz. Vingt dieux, ça descend sérieux face à la brise. J’arrive à 1800m, c’est mon point le plus bas du vol pour l’instant, et le fond de vallée n’a pas l’air tellement plus bas ici
[le col est à 1500m]. Je serre les fesses. La descendance faiblit, je relâche le barreau et prends les freins, aux aguets. Allez, elle va marcher cette combe. Soudain je sens l’aspiration caractéristique à droite, laisse voler, elle veut y aller. Demi-tour en douceur, et voilà que ça remonte doucement vent dans le dos. Ça a l’air bon ça, on le lâche pas !
Je contemple l’imposante et éblouissante face rocheuse à l’aplomb du col de l’autre côté. Je n’arrive pas à savoir si c’est de la neige ou juste le caillou qui brille comme ça. Je me dis que j’aimerais bien en ramener une photo, mais pour le moment j’ai besoin de piloter. Le vario grimpe doucement sur quelques tours, puis commence à s’affoler une fois repassé au-dessus des 2000m. Oh le missile ! En quelques minutes, je dépasse de nouveau l’altitude des sommets bordant le col, puis la barre des 3000m, vario hésitant entre +3 et +4. Trop bon. Je lève les yeux et vois le cum de rêve, dense, compact, encore loin au-dessus. Je recentre un peu dans sa direction, le thermique semble se densifier encore et le vario grimpe toujours plus. Un coup d’oeil à l’alti, 3800m, plus de doute c’est bien le thermique le plus colossal que j’aie jamais croisé.
Is this the real life ? Is this just fantasy ? Comment faire 2000 m de d+ en 12 minutes. Tout à coup j’ai un doute sur le plafond de la LTA par ici, j’ai le droit d’être aussi haut ? Pire, il n’y aurait pas une TMA qui traîne des fois ? J’aimerais quand même bien pouvoir valider le vol à la CFD si je boucle. Allez dans le doute on tire de belles oreilles, on pousse le barreau, et cap au Nord. Je suis largement assez haut de toute façon. Évidemment, ça bipe encore. J’envoie finalement quelques tours de 3.6 assez timide, reprends mon cap aux oreilles et finit par émerger de cette ascendance de grand malade.
[Après vérification la LTA Aravis monte jusqu’au FL135 soit environ 4100m, et la TMA de Genève ne s’étend pas jusque-là.]Cette fois, la Pointe Percée est bien en vue, et je suis tellement haut que j’ai l’impression de pouvoir l’atteindre en finesse, ou peu s’en faut. La vue sur le massif du Mont Blanc est grandiose. Je garde un oeil sur l’horaire, il ne va pas falloir trop traîner à attaquer le retour. La masse d’air est porteuse presque tout le long, ma finesse au premier barreau se maintient bien. J’arrive à la Pointe Percée presque assez bas pour saluer les randonneurs au sommet, mais assez haut pour chercher confortablement un bon thermique – vu les conditions du jour je me permets d’être difficile. Je finis par le trouver un peu plus loin et remonte à 3500m.
À 3600m au col des Aravis, vue premium sur le massif du Mont Blanc. Le survol du sommet ne sera pas pour aujourd’hui avec ces tout petits plafonds. Au calme en finesse de la Pointe Percée (2750m). À gauche, à l’intérieur du massif, la crête de la Pointe d’Almet (2230m), première étape du retour. Il est 15h45, la deuxième balise est posée et j’attaque le retour après 3h30 de vol. Les conditions de vol sont tellement excellentes que j’en ai encore pas mal sous le pied – alors qu’en mai j’étais rincé après 3h. Je suis encore loin de crier victoire pour autant. On distingue au loin la Tournette tandis que les Bauges se perdent dans l’atmosphère brumeuse. Est-ce que je vais vraiment réussir à y retourner ? On verra bien une fois à Annecy. Première étape du retour : longer la crête herbeuse de la pointe d’Almet pour rejoindre le Pic de Jallouvre, depuis lequel une succession de crêtes dessinent une route vers le Parmelan. Gontran est une heure devant et me confirme en radio que cet itinéraire a très bien fonctionné pour lui.
La ligne porte super bien, je chemine le long de deux cums et je reste haut. Arrivé au bout de la crête à 2800m, j’entre dans une forte descendance. Je bifurque à droite vers le Pic de Jallouvre, me pensant assez haut pour raccrocher sa crête Sud-Ouest sous le sommet ou au moins trouver le thermique sur sa face Sud. Ça descend en fait de plus en plus fort, mon taux de chute dépasse maintenant les -5 m/s, et je n’avance guère. Pas bon du tout. Ce genre de dégueulante où je regarde quand même mon aile, dans le doute, pour vérifier qu’elle vole encore. Un peu lent à la détente, je comprends que je ne vais pas raccrocher cette face Sud, ou alors très bas, et qu’il vaut mieux obliquer pour tenter de sortir de la descendance et récupérer la crête plus bas. Arrivé vers 2100m c’est plus que malsain, je me fais fortement brasser. Je dois être sous le vent d’un flux qui vient du Nord-Ouest, sûrement la brise de la vallée derrière cette crête, peut-être renforcée par l’Ouest météo annoncé. Voilà qui m’ôte maintenant toute envie de m’obstiner à continuer par là et risquer de devoir cheminer ou enrouler sous le vent pour avancer.
Route vers le Parmelan par l’Ouest du massif. Vue depuis le col des Aravis à 15h20. Je fuis donc vers la vallée en essayant d’évaluer mes options rapidement. J’ai perdu un peu plus de 1000m [en 6 minutes], mais je suis encore relativement haut, je ne suis plus dans la machine à laver ni dans la dégueulante de l’espace, et il y a pléthore de vaches. Pas encore de quoi désespérer, mais l’ambiance n’est quand même plus à faire des photos. À ma gauche je vois des ailes étalées au sommet d’un mont pelé assez débonnaire, manifestement le sommet d’une station de ski. Ce serait pas le fameux déco du Grand Bo ? Problème, je suis un peu bas pour aller rejoindre les locaux et les laisser me montrer comment on s’extrait d’ici. Je me dirige vers de petites falaises bien exposées qui surplombent le village sous mes pieds. Bingo, j’y trouve un bon petit pêchu à 1800m. Allez, on prend un max et on tire droit sur le déco là-bas. La montée reste saine sur 200m, je me dis que sur un malentendu, si je reste bien dans le noyau… peine perdue, à 2100m c’est le retour du rodéo. La vache, ils avaient raison les copains de dire qu’apprendre à faire des gros wings sans fermer peut parfois servir en thermique. Allez, on sort de là avant de se faire la même réflexion pour le décro.
J’arrive pile à l’altitude du déco alors que 2 ou 3 voiles se mettent en l’air. Il est 16h20. Je commence à faire l’essuie-glace dans la brise, le temps de souffler un peu. Je repère un atterro au Sud, il y a une voile en approche. Rapidement, les locaux (c’est ainsi que je les imagine en tout cas) s’avancent dans cette direction. Ils semblent bien trouver le thermique sur la face Sud-Est. Pas sûr que je l’aurais cherché par-là à cette heure-ci ! J’attends d’être sûr qu’ils montent, puis je les rejoins. Après 1500m dans du bon +2 je suis de retour au plaf. Je ne sais plus si je l’ai déjà dit, mais c’est fumant aujourd’hui.
Back in the game ! J’ai le lac en ligne de mire, et je me dis pour m’encourager qu’une fois aux Dents, c’est gagné. Je tire au plus direct vers le Parmelan
[par le Lachat de Thônes]. Je suis à nouveau haut et j’ai bien l’intention de le rester, n’ayant aucune envie de refaire un passage sous le vent. Je me méfie notamment des brises du lac et de l’arrivée au Parmelan. J’enroule donc tout ce que je trouve, même faible. Je note que la dérive en altitude semble être passée Nord-Ouest, parfait pour la dernière branche.