Hello tous...bon ben je commence mes récits par une petite histoire qui m'est arrivée il y a un petit mois alors que je tentais de rallier Lyon depuis Nantes à bord de mon Jojo...
Il y a une chose que tout pilote a déjà entendu au moins une fois d’un vieux moustachu trainant sur son aérodrome « Il vaut mieux être au sol et regretter de ne pas être en l’air, que d’être en l’air et regretter de ne pas être au sol ».
Ca fait un mois au moins que je scrute tous les bulletins météo dans l’attente d’une fenêtre favorable pour aller retrouver ma copine à Lyon en avion. Nantes-Lyon ca se fait en voiture mais il faut 7h, en train mais il faut 6h ou en avion de ligne mais ca coute souvent cher et, finalement, si on met bout à bout le temps nécessaire à rejoindre l’aéroport, le délai d’attente avant l’enregistrement, avant l’embarquement…etc c’est pas aussi rapide qu’on pourrait le croire. Et puis, on est obligé de partir à heure fixe…c’est nul. Bon…ok, tout ca c’est pour trouver une justification rationnelle à l’utilisation de mon très vénérable Jodel D19 pour un tel déplacement. Le fait est que j’adore voyager aux commandes de mon « presque » Boeing à moi, même s’il faut bien reconnaitre que ca n’a pas toujours que des avantages…
Bref, nous y voila, nous sommes jeudi, il est 15h, j’ai prévenu que j’irai travailler aux bureaux de Lyon demain, je tourne en boucle sur les sites météo, ca s’annonce pas mal.
Dans l’aviation, on utilise des données spécifiques mises à disposition toutes les heures par les principaux aéroports, les METAR (METeorological Airport Report) et les TAF (Terminal Aerodrome Forecast) qui donnent respectivement l’observation météo actuelle dans la zone de l’aéroport et la prévision pour les heures qui suivent.
Pour ma traversée j’ai donc besoin d’avoir les conditions météos favorables d’Ouest en Est pour les heures à venir. Je m’intéresse donc aux infos diffusées sur les principaux aéroports à proximité de ma route soit : Nantes, Poitiers, Châteauroux, Clermont Ferrand et Lyon. A Nantes…aucun problème, les conditions sont parfaites, on voit juste quelques cumulus dans un océan de ciel bleu. J’estime la visibilité à plus de 50km…nickel.
Par contre les METAR/TAF disponibles à l’Est sont moins bons (forcément…tout le monde ne peut pas bénéficier du temps exceptionnel de la Bretagne équatoriale).
Poitiers, 9km de visibilité, nuages épars à 2500 ft (750m) et fragmentés à 4000ft (1200m).
Châteauroux, 8km de visibilité, nuages fragmentés à 1800ft (540m).
Clermont, 8km de visibilité, nuages épars à 3000ft (900m) fragmentés à 4500ft (1350 m)
Lyon, 7km de visibilité, nuages fragmentés à 2600ft (780m)
Bref, c’est pas génial, mais c’est pas non plus dramatique. Il y a partout une visibilité supérieure aux minimas de VMC (Visual Meteorological Conditions), donc je peux partir…d’autant que les prévisions sont optimistes à la fois à la météo générale et dans les TAF.
Je ramasse mes affaires et file à l’aérodrome ou tout est déjà près depuis la veille. Dans ma navigation j’ai prévu de me poser à Argenton pas loin de Châteauroux pour un petit ravitaillement et de repartir aussitôt pour Lyon. Pour gagner du temps, j’embarque un bidon d’essence de 20l dans la cabine pour assurer tout seul mon mini ravitaillement.
16h30, je suis en vol à 3500ft (1050m), le temps est parfait mais je vois bien que la bas, à l’Est il y a un front nuageux et un halo de brume.
J’arrive à Poitiers et déjà ca se gâte…N’ayant pas de transpondeur, je dois monter au dessus de 4000ft pour ne pas entrer dans la zone de contrôle aérien de l’aéroport de Poitiers, mais à 4000ft je suis dans la crasse. La visibilité est très mauvaise. Je monte encore pour essayer de passer au dessus des nuages…5000ft, 5500ft, je passe en niveau de vol…à FL65 c’est pas franchement mieux, il y a de moins en moins de trous entre les nuages et de plus en plus de brume. Dans tout ca, j’ai dépassé la TMA de Poitiers donc c’est décidé, je redescends…J’arrive à la verticale de l’aérodrome de « Le Blanc » à 2500ft et devant ca s’annonce encore moins bien. La visi baisse, baisse, et même à cette altitude il est de plus en plus difficile de passer entre les nuages. Encore 10mn et j’arrive à Argenton….C’est là ou on comprend que le GPS a été créé pour les pilotes d’avion.
10mn plus tard. Aérodrome d’Argenton, droit devant…ah bon ? Je ne suis plus qu’à 1500ft, la piste est 666ft…heu…ca fait plus que 800ft (234m) du sol…c’est bas…très très bas. Et puis devant c’est gris, très très gris…voir carrément noir. Et puis en plus…juste à coté de la piste il y a une antenne qui monte à 1535ft et qui, au passage, n’est pas indiquée sur la carte d’approche du terrain !! Bon, je fais mon annonce.
« Scrioutch…Argenton, Hotel Yankee Bonjour, Fox Juliet X-Ray Hotel Yankee, un Jodel D19 en provenance de Montaigu à destination de vos installations, actuellement 1500ft au QNH 1029 pour 3 nautiques à l’ouest du terrain je rappelle en vent arrière main gauche 04 »
A 2km…enfin, je distingue la piste, les hangars, la manche à air…et la fameuse antenne dont je ne vois, en réalité, que le strobe qui brille par intermittence dans la brume.
Tour de piste à 500ft sol, finale, sur la courte piste en dur bien mouillée, j’avale 250m de bitume et je rejoins le parking.
Il est 18h, Checklist, coup d’œil dehors pfffff, je suis pas prêt de redécoller.
Evidemment, il n y a pas grand monde sur l’aérodrome, vu le temps…
Heureusement, un constructeur amateur est en train d’achever la réalisation de son appareil. Un type super sympa, qui ne tarde pas à me proposer le gîte pour la nuit. J’hésite quelques instants en espérant trouver une fenêtre plus favorable pour reprendre ma route avant la nuit mais il faut bien se rendre à l’évidence…Plus de décollage possible ce soir.
Je me retrouve donc chez Jean Jacques et sa femme. Nous passons la soirée à manger et à discuter de nos bonnes et moins bonnes expériences de pilotes.
Le lendemain, réveil 7h dans l’idée de tenter un départ en vol à 8h. Arrivé au terrain, consternation…c’est aussi bouché que la veille. Pourtant, le METAR de Châteauroux qui se trouve à 30km au nord annonce 10km de visibilité !...Mais qu’est ce qu’ils foutent à la météo ?
Je suis donc parti pour passer ma journée à Argenton en attendant que les choses s’arrangent. Je m’installe dans le préfabriqué du club pour me réchauffer. Je squatte connexion internet et téléphone pour tenir les réunions prévues. C’est beau la technologie.
Jean Jacques insiste pour m’inviter à déjeuner au resto du coin….Décidément, j’ai trop de chance.
16h…c’est un peu mieux. Enfin, un peu quoi…La visi est toujours pourrie mais on voit périodiquement passer du ciel bleu. Les METAR de Clermont et Lyon sont pas si mauvais. Je tente. L’idée est de profiter d’un des quelques trous pour passer au dessus de la couche nuageuse. Il faut que j’atteigne FL75 (2300m) pour y parvenir.
Là, c’est le bonheur, ciel bleu, pas de turbulence et la jubilation de glisser sur une mer de moutons blancs. On voudrait ne plus jamais redescendre…Assez vite, pourtant, il faut sortir de la contemplation. Imperceptiblement la mer monte. FL75 ne suffit plus pour rester au dessus. Je passe au niveau de vol suivant soit FL95 (2900m). Ca commence à faire haut, d’autant que si je continue je vais emplafonner la zone de contrôle aérien de Clermont Ferrand. J’hésite un instant à négocier un transit sans transpondeur dans la TMA en question, mais en regardant sous mes pieds je constate que les nuages sont presque complètement soudés partout aux alentours, si je vais plus loin je risque de ne plus pouvoir redescendre. (Sans les instruments appropriés, l’espérance de vie moyenne d’un pilote qui tente de passer à travers un nuage est de 30 sec du fait du problème de désorientation spatiale).
Je me résigne donc à me dérouter sur Vichy. Bon, la décision est prise, mais il faut encore repasser sous la couche nuageuse et vu la taille des trous qui restent, il va falloir faire une descente quasiment en chute libre. Je commence donc à spiraler en essayant de raser les bordures du trou que j’ai choisi. Arrivé à hauteur des premiers moutons, je plonge au centre en prenant -2000ft/mn au variomètre. Comme je suis haut, et que la densité de l’air est plus faible, je peux me permettre de prendre une trajectoire de buse en piqué sans risquer d’arracher les ailes.
8500, 8000, 7500, 7000, 6500, 6000, 5500, 5000, 4500, 4000, 3500, 3000, 2500 ft…Ouf, je sors.
La dessous le paysage est dantesque…c’est noir, gris, opaque…Ce serait de la folie d’essayer de poursuivre le voyage là dedans. Déjà, trouver Vichy, ce sera pas mal. C’est vraiment des connards à la météo !
Il y a beaucoup de choses à penser quand on se déroute. Ou elle est la carte d’approche ? C’est quoi la hauteur du relief ? C’est quoi la hauteur du terrain ? C’est quoi la procédure d’approche ici ? C’est quoi la fréquence radio ? Dans quel sens j’arrive ? Dans quel sens je prends la piste ? Tout ca en commençant la checklist d’atterrissage, en surveillant la vitesse, le régime moteur, l’inclinaison, l’assiette, la symétrie du vol, le vario, l’altimètre, le réchauff carbu et en ouvrant bien les yeux sur ce qui se passe dehors.
Avec tout ca j’arrive en rase motte sur l’aérodrome et je commence à appeler l’agent AFIS.
« Scriouutch Vichy, Hotel Yankee Bonjour ! »….Pas de réponse
« Scriouutch Vichy, Hotel Yankee Bonjour ! »….Pas de réponse
Je vérifie sur la carte d’approche les horaires de présence de l’AFIS…pourtant il devrait y avoir quelqu’un. Tant pis je passe en auto-information .
« Scriouutch Vichy, Fox Juliet X-Ray Hotel Yankee, un Jodel D19 en provenance d’Argenton et à destination de Lyon Brindas en déroutement sur vos installations, actuellement 2500ft au QNH 1024, et 3 nautiques à l’Ouest de l’aérodrome, je rappelle en verticale terrain»….Toujours pas de réponse.
En arrivant au dessus de la piste, j’ai quand même un doute. -Douter c’est bien-
Je fais un tour rapide de tous les paramètres et je me rends compte que je me suis gouré de carte d’approche. Ca fait 3 fois que j’appelle Vichy sur la fréquence de l’aéroport de Roanne.-Fuck-
Je me ré-écarte un peu du terrain, je change de fréquence, et je recommence (je vous fais la complète) :
« Scriouutch Vichy, Hotel Yankee Bonjour ! »…. «Scriouutch Hotel Yankee, Vichy, bonjour Monsieur »
« Scriouutch Vichy, Fox Juliet X-Ray Hotel Yankee, un Jodel D19 en provenance d’Argenton et à destination de Lyon Brindas en déroutement sur vos installations, actuellement 2500ft au QNH 1024, et 2 nautiques à l’Ouest de l’aérodrome, pour une intégration»… «Scriouutch Piste en service zéro unité, QNH 1023, vent 8 nœuds du 03, pas de trafic connu sur la zone, rappelez en vent arrière main droite zéro unité»…. « scrioutch Reçu QNH 1023, piste 01, je rappelle en vent arrière main droite 01»
« Scriouutch Vichy, Hotel Yankee, début de vent arrière 01 »… « Scriouutch, Hotel Yankee Rappelez, finale 01 »… « Scriouutch Je rappelle finale 01, Hotel Yankee »
« Scriouutch Vichy, Hotel Yankee, Finale 01 pour un complet »… « Scriouutch, Vent 9 noeuds du 03, rappelé piste dégagée»… « Scriouutch Je rappelle piste dégagée, Hotel Yankee »
Atterrissage…sans encombre. Je me gare sur l’immense parking quasiment vide de Vichy, surplombé par la tour de contrôle. C’est mon premier vrai déroutement. Et pour la peine, je suis exonéré de taxe d’aéroport. Dans le hall, je rencontre, Frédéric, un jeune pilote pro qui faisait un Le Mans – Saint Etienne en Cessna 206 pour aller larguer des parachutistes ce week-end. Pour lui aussi c’est un premier déroutement officiel. Ca rapproche beaucoup de partager un déroutement, surtout parce que toutes nos décisions, nous les prenons toujours seuls à bord et qu’il est toujours très difficile de les objectiver. Ca fait du bien de voir qu’un autre à fait le même choix.
L’agent météo de l’aérodrome nous amène à l’hotel le plus proche, alors que ma copine me propose de venir me chercher à Vichy. On a 2h30 devant nous et Fred et moi allons diner au Buffalo d’à coté. Une super soirée, une nouvelle fois, ou j’ai appris plein de choses sur la vie d’un pilote free lance qui débute et qui a déjà financé pour 100 000€ de qualifications et d’heures de vol pour sa formation….ouchh On a décidé de faire sa prochaine traversée Le Mans – St Etienne ensemble. J’ai hâte…
Le retour a été sans histoire. Vous avez peut être vu passé un Jodel D19 à 230Km/h en vitesse de croisière à FL65 dans le ciel dégagé de ce dimanche après midi….yeaaahhhh….bon, d’accord, le vent y était pour beaucoup.
(Au départ de Vichy...beau temps mais pas mal de vent et de turbulences)