"Chaque vol est une aventure" : je pourrais vous balancer une trace et des photos et dire que crosser en parapente, c'est cool et facile, faire le "pas trop mauvais" ! Mais non, je serai franc. C'est dur, très dur. Surtout avec moi qui mentalise trop, qui me pose trop de questions anxieuses.Trois ans que je n'avais pas crossé dans les Alpes du Nord en été (je me souviens de ce vol remarquable cet hiver à Samoëns) Des hauts et des bas mentalement comme au début de chaque été, comme si je n'avais jamais volé, comme si je n'avais pas d'expérience ! Peur de l'altitude près des falaises (sauf en Normandie), peur de m'éloigner du relief au Puy de Dôme donc des vols surtout en bocal. La seule peur que je n'ai pas est de faire l'écureuil volant au ras des arbres avec la M6, donc le reste du temps, c'est du bidouillage en l'air : des cross de plaine et en bord de mer pour dire que je vole. Pourtant, j'ai fait des cross de ouf dès ma deuxième année de parapente mais j'avais l'impression que jamais plus cela ne se produirait... les traces CFD, je ne les regarde que pour m'informer mais pas pour les égaler... je sais ce qu'il en coûte d'efforts pour réussir un cross en montagne : choisir le bon jour, avec les bons plafs et les bonnes prévisions et partir le couteau entre les dents, avec un objectif et une stratégie et s'y tenir. Aujourd'hui, je n'avais pas envie de rester dans la stabilité de Passy Plaine Joux, et malgré mes carences mentales, malgré le fait que je n'étais pas "prêt",sans entraînement, j'avais décidé de tenter un voyage depuis Planpraz Chamonix pour échapper à la couche d'inversion et...advienne que pourrait. La stratégie était de faire les plafs jusqu'au bout pour ne pas tomber dans la couche d'inversion synonyme de stabilité et de posé, pour ne pas galérer à flanc de montagne, rester haut ! Me voilà donc au décollage de Planpraz avec mon Artik 4, ayant remisé la M6 par sagesse (elle pulse trop fort parfois en Haute Savoie et je suis juste en milieu de fourchette avec des mouvements qui font penser que je ne maîtrise pas la masse d'air mais que c'est elle qui me ballote...). Quelques connaissances des Razmotte au déco mais je sais que je volerai seul. Comme d'habitude, je suis lent et de toute façon le cross est un long voyage personnel. J'essaierai d'analyser ce que je vois, les oiseaux, les nuages, les autres voiles que je croiserai. J'ai une certaine appréhension de l'inconnu même si j'ai déjà fait ce voyage par dessus les Aravis. Mais c'est l"inconnu de mes réactions qui me hante. Alors j'ai décidé de procéder étape par étape sans projeter quoi que ce soit, ni la distance, ni le parcours, ni la durée. Ca commence par le Brévent : ne pas me laisser emporter par la vue époustouflante
et mes émotions.
Surtout pas. Thermique, transition, thermique, transition. Découper le voyage en séquences. Ne pas focaliser sur autre chose. Et c'est parti.. Les voiles au Brévent montrent la dérive du thermique
et je m'extrais prudemment malgré les coups de pied aux fesses qui me propulsent sans le vouloir. C'est parfois très doux et puis ça arrache d'un coup. Heureusement l'Artik 4 calme un peu tout ça. A 2900 m je choisis de ne pas agrandir le triangle en allant sur les Aiguilles rouges mais de filer sur Passy. Et là je reprends sur la falaise des Fiz. Jamais je n'avais été aussi haut ces derniers jours. Je dois vous avouer que je n'en menais pas large ces 2 dernières semaines entre la M6 qui avait des réactions trop sulfureuses, les falaises que je n'osais pas approcher, les zones rocailleuses qui me traumatisaient.
Je commençais à me dire que j'avais eu beaucoup de chance et des conditions trop fumantes par le passé. La chance de l'éternel débutant. Et là je me surprends à enrouler des thermiques consistants au-dessus de ces falaises qui m'avaient rendu craintif. Et essayer de ne pas rentrer dans la réserve de Passy... 300 m sol minimum ! Alors, un seul but, prendre du gaz à Varan, là où j'avais eu deux gros sketches par le passé et passer sur les Aravis. Il fallait que je me force à prendre le thermique jusqu'en haut. "Ne sors pas du thermique, le thermique te protège, il te coupe du météo" combien de fois je me suis répété cela, voyant le thermique comme un ami qui vous veut du bien. La veille je me disais que je devais vieillir à refuser la hauteur le long des parois chauffées par le soleil ardent. Que je verrai le Colonney plus tard, au mois d'août ou je ne sais quoi. Combien de fois cette semaine je me suis surpris à penser que j'étais sur la pente descendante en ne partant plus la fleur au bout des suspentes. Je me cachais derrière une pseudo-sagesse, mes problèmes de santé. Et ce midi, je survolais Passy Plaine Joux, je survolais l'aiguille de Varan, ta tête du Colonney grâce à quelques jolis thermiques et décidais de transiter sur les Aravis à 2900 m je crois.
Deuxième étape franchie ! Le temps de manger une moitié de barre de céréales, de boire et prendre des photos, je le préparais au raccrochage en ne voulant pas poser à Sallanches dans la brise ! Non je devais me battre pour survoler les 4 têtes. Et là ce fut une bataille homérique, la voile qui bougeait dans tous les sens sans prendre de gain significatif. On m'avait dit que ce n'était pas évident la veille déjà mais là tout prenait son sens. Lutter, ne pas baisser la garde, enrouler le thermique salvateur, ne pas se faire prendre par le vent d'est sous le vent justement. C'était très compliqué. J'ai vu des voiles en haut, des voiles en bas, des voiles au milieu et chacun sa recette. M'inspirer sans copier, sans se rentrer dedans. L'Artik 4 se baladait dans tous les sens. Ne pas renoncer. Les cumulus coiffaient bien la chaîne alors faut accepter de se faire secouer. Ca a fini par le faire. Joie de courte durée car sur la face est avec un vent de NE prononcé et des voiles toutes côté ouest. Que faire ? J'ai avancé au-dessus de la chaîne ne sachant pas quel côté choisir et parfois ça balançait. Heureusement mes amis les nuages se sont présentés et le plaf à plus de 3600 m, deux fois sans rentrer dedans histoire de ne pas se rajouter d'adrénaline inutile.
Ca filait bien à 55-65 mais hautes et là je vois le Charvin. Où aller ? J'avais pensé à pousser vers Albertville et les Bauges hier soir, vus les plafs mais je resterai conservateur pour cette remise en forme... Puis c'est le vent qui a décidé en me poussant vers La Tournette. Un petit cumulus la coiffant c'était parti pour le lac.
Tant pis pour l'idée d'aller sur les Bauges par l'extérieur. Aucune voile sur la Tournette, deux finiront par me rejoindre. Je découvre le lac d'Annecy avec délectation,
l'envie de poser à Doussard, de rejoindre le Roc des Boeufs mais après ? Il est 14h, le soleil chauffe déjà un peu les faces ouest. Tant pis pour un "record" personnel. Rentrer sur Passy où je sais que j'ai un covoiturage Blablacar à 17h40 et quelques tours dans de la ouate au-dessus de la Tournette,
je m'éloigne du lac sans regret. Des vols de 5 et 6h, je n'en n'ai pas encore l'habitude dans les Alpes, alors la sagesse me dit que ce sera déjà bien de poser non loin du RV ! Je vise les nuages pour remonter petit à petit sur les Aravis. Ca le fait mais moyen à cause du vent contre. Je reconnais la Clusaz, le lac, au loin le Lachat. Toujours au radada. j'essaie de me faire pousser par la brise naissante côté ouest pour grimper et puis le plan marche piano mais sûrement jusqu'au moment où je me fais descendre dans le venturi du col des Aravis
et là je regarde la vitesse 60/65 ça me pousse de l'autre côté vers le côté est. Au pire, je vais poser du "bon" côté pour rentrer. Une large falaise et là boum thermique, la voile se plie du côté gauche, je contre à la sellette à en être complètement déstabilisé, je relève la main gauche, je vois la falaise de très près, je sens la voile qui tournoie à gauche, à droite, j'essaie de stabiliser, de ne pas surpiloter (déjà vécu ça aide !), j'essaie de centrer le thermique et de rester dedans au lieu de me faire balancer à droite et à gauche tout en prenant de l'altitude. Ouf, ça se calme en m'éloignant. Thermique sous le vent et dans un venturi à 60 km/h, ça décoiffe...grave. La brave Artik 4 a été très solide. J'ai pu plus ou moins gérer mais ce n'était pas passez loin, entre la fermeture, la rotation, le thermique qui vous fait valser à droite, puis à gauche et qui vous monte au-dessus tout ça à plus de 2400 m sur les Aravis; Outch ! 🤔 du coup je suis au-dessus des Aravis, j'aperçois les 4 têtes et au loin Passy.
C'est décidé, je vais quitter les Aravis, j'ai eu ma dose, presque 4h de vol. Tant pis pour agrandir mon triangle, ça sera pour une autre fois. C'était un vol de reprise et bien satisfait même si ce n'était pas un long fleuve tranquille. Deux erreurs, celle de ne pas avoir pris le gros thermique de la montagne de Sullens jusqu'au bout et celle de prendre le venturi... il faut que je vole plus en montagne pour aiguiser mes sens et ancrer mes réflexes. Long récit dont j'avais besoin pour raconter un vol anodin (car aujourd'hui beaucoup ont fait tellement mieux que moi - tout petit 85 km et juste 4h de vol !) mais qui signifie beaucoup de choses sur le plan personnel, mental, technique et émotionnel...oui, je suis un pilote de pacotille
mais ça vous le saviez déjà
Demain opération à l'hôpital de Sallanches pour enlever des calculs rénaux qui m'empoisonnent depuis un mois donc oui, je suis heureux de pouvoir voler et crosseter