Avec dans le rôle de la belle, la brune Nathalie, délicieuse amie de Pierre et navetteuse du soir; dans le rôle de la brute, la dent de Crolles et sa face Est et dans le rôle des trois petits torchons les Ultralite de Stéphane, Pierre et moi.
Vendredi 24 aout 2007, je suis quelque part en vadrouille en France mais ce soir, avec Steph, on a prévu de se faire un petit vol au collet ; justement, il est tout juste 8 heures du mat’ et c’est Steph qui m’appelle. En résumé, c’est toujours OK pour le vol du collet mais notre " gourou spécialiste météo montagne " et astronome réputé
(je parle de Pierre) ferait bien un vol de nuit à la dent vu que la lune devrait être là et qu’un sud de 10 km/h est annoncé.
C’est parti, on enchaînera donc la dent après le collet avec juste un passage au stand pour changer de monture et récupérer nos Ultralite.
La formalité du plouf au collet réglé, on fonce récupérer nos voiles et préparer un peu la soirée ; casse croute, un peu d’eau, la radio, une frontale, bonnes chaussures (pour les décos de nuit dans la caillasse c’est mieux).
On a rendez-vous à 20 h à l’atéro de Lumbin avec Pierre et bien sur, quand nous arrivons là-bas, Pierre n’y est pas mais Nathalie, notre navetteuse si !
On attend une dizaine de minutes et le G.O de la soirée se pointe, complètement en vrac et tout dispersé ! Il commence par nous faire un striptease sur le parking pour se changer et nous énumère la liste de ce qu’il a oublié (il aurait du dire ce qu’il avait pris, on aurait gagné du temps) ! Bref, pas de frontale, pas de radio, pas de chaussures de montagne……..mais coup de bol il a sa voile !
Nous voilà donc dans la navette de Nathalie (4 X 4 bien sympa) sur la route pour le col du Coq ; Stéphane et moi, assis à l’arrière et assez perplexe sur l’état de notre ami Pierre
…..mais relativement rapidement, en observant ce qui se passe à l’avant du véhicule, on pige et cela va nous inspirer un refrain à chantonner plus tard lors de la partie pédestre de la soirée……..
La lune sort déjà sur Belledonne, contrairement aux prévisions de Pierre qui pensait la voir apparaitre beaucoup plus tard, preuve qu’il avait vachement bien préparé l’affaire (ou qu’il ait eu une confusion physiologique).
Les pronostics de Steph sur la faisabilité du vol sont plutôt excellents vu que Pierre nous confirme que le vent de Sud est là………d’après lui.
20 h 44, après des adieux émouvants
(de Pierre bien sur) à notre navetteuse nous attaquons la montée.
Le temps que je me rende compte que je suis parti trop vite
(au bout de 47 secondes, le temps que je recompte mes poumons), je laisse passer mes deux camarades devant et tente de leur expliquer que les rayons de lune se réfléchissant sur le calcaire, nous allons avoir une lumière superbe pour cette soirée. Comme sur le coup ils se foutent un peu de ma poire, je leur rétorque malgré tout que j’ai raison, le calcaire réfléchit la lumière de la lune et qu’au moins, ça en fera un qui réfléchira ce soir.
La montée se passe bien……. Pierre passe devant et prend quelques encablures, peut-être pour nous montrer ses capacités de montagnard ou plus probablement pour ne plus entendre le refrain que nous entonnons régulièrement avec Steph…….. » il est amoureux- eux, il est amoureux-eux, il est amoureux-eux……. ».
Ça doit un peu l’énerver car dans les passages raides il tente, en profitant de la pénombre qui s’installe et en faisant partir quelques cailloux (Pierre qui fait partir des cailloux, je me demande ce qu’aurait fait Devos là-dessus), de nous la faire fermer !
Bientôt le sommet……notre enthousiasme pour le vol se rafraichi au fur et à mesure que nous prenons en pleine poire une brise descendante frisquette……Le vent de sud avait rendez vous avec la lune mais visiblement il y a du lapin (nordique) dans l’air.
Quand nous débouchons sur le plateau, la nuit est tombée, notre enthousiasme a suivi. Pierre nous assure que pourtant ils annonçaient du sud…..que c’est bizarre….que pourtant c’était sud annoncé et que tout de même c’est étrange d’autant qu’ils annonçaient du sud....et que....
Bon, on décide quand même d’aller voir si ça pourrait pas le faire de l’autre coté et on se retrouve au nord de la dent, coté st hil, au bord de la falaise avec un espace que l’enthousiasme et l’optimise de Stéphane amène à appeler un déco et que le commun des mortels appellerait une grosse vire ;
je plaisante à moitié car le profil de la chose c’est, après le plateau, une pente d’herbe à 30 ° de 5 à 6 mètres, après c’est le début des emmerdes avec une première barre de 20 mètres et en dessert les paravalanches de St hil, quelques centaines de mètres en dessous.
Le vent du nord remonte un peu par là et crée du vent de face entre 5 et 10 Km/h.
De manière insidieuse, l’ambiance se tend un poil et après quelques échanges entre nous sur la probabilité énorme de s’en mettre une bonne, nous décidons d’étaler…….l’ambiance se tend nettement.
D’un commun accord, Stéphane et moi décidons de jeter Pierre en premier dans le trou ( il ne faut pas nous jeter la pierre pour ça
), aussi, après avoir trèèès soigneusement préparé et démêlé nos ailes à la lueur de la frontale, nous l’éclairons pour qu’il se prépare.
C’est assez phénoménal de voir comme le doute peut se saisir de nous dans de telles circonstances. Ai-je bien vérifié toutes les suspentes ? N’ai-je pas oublié une clef la haut à gauche ? N’ai-je pas un tour de sellette ?
Une certitude, cet instant qui de jour serait déjà un peu stressant et intense le devient profondément sous l’éclairage tamisé de la lune. Chacun de nous est concentré comme rarement.
Pierre est prêt, Stéphane se positionne devant lui et lui donne l’info sur le vent…… " C’est tout bon Pierre, tu as un bon créneau " . Et Pierre y va !
Comme le déco est très court, nous avons du mettre nos voiles sur le plateau, et non dans la pente, elles sont donc un peu sous le vent et la voile de Pierre écope tout d’abord en « torchon » ; heureusement, très rapidement elle prend le vent et se gonfle……complètement de travers ; Pierre, emporté à la fois par son élan, sa voile et la pente part complètement à droite tout en essayant de corriger le bazar mais très rapidement ses pieds rencontrent le vide et la voile qui ne demande plus qu’à voler plonge plein gaz vers la vallée……je connais des voiles qui font frontale pour beaucoup, beaucoup moins que ça !
Pffffffffff……c’est chaud et Stéphane me dit que ça va être mon tour……gloups !
Je m’installe dans ma sellette, calme et prêt mais je dis tout de même à Stéphane un truc du genre ‘ j’chais pas pourquoi mais j’chuis un peu tendu ‘.
Sympa et compatissant comme toujours, il me répond que c’est peut-être normal vu les circonstances.
Le créneau est là selon Stéphane, au moment ou je finis de lui dire que je ne sens rien, une petite brise m’arrive sur le visage, j’y vais !
Comme pour Pierre, mes deux premiers pas transforment ma voile en torchon et une fraction de seconde je me dis que je vais couper ma course mais comme pour Pierre, le vent la prend et je sens une traction réconfortante dans les élévateurs. Ça monte de travers, je corrige à gauche, ça ferme un peu, point de non retour, je mets les gaz mais la course est trop courte, pas le temps de donner de la vitesse à la voile et ça plonge fort. En réflexe, je mets un peu de frein pour contrôler et créer une petite ressource mais ce n’est pas vraiment nécessaire tellement la voile est hyper saine et gentille.
Ca y est, je suis en l’air dans la nuit, le plateau et le Grésivaudan sous mes pieds, les falaises de la Chartreuse resplendissante de la lumière lunaire en toile de fond……la nuit apporte au silence de notre vol une profondeur intense et nouvelle……c’est difficile à décrire……mais le mot le mieux adapté est sans doute : magique.
Après 5 minutes de vol, j’entends Steph qui me dit à la radio qu’il est en l’air lui aussi.
Le déco s’est passé à peu près pour lui de la manière suivante, tout d’abord, un grand moment de solitude à devoir décoller seul là-haut dans la nuit sans pote pour lui dire STOP au cas ou ; du coup, après une première tentative ou la voile à fait un peu torchon et ou il a stoppé, il s’est retrouvé très bas dans la pente et a donc décidé de décoller face voile et à genoux. Avantage, la voile est plus bas donc elle prend le vent tout de suite, contrôle de l’état du gonflage et surtout pas de mouvement vers le trou. Il a donc attendu un bon créneau, monté la voile et s’est retourné pour se jeter dans le trou et faire, comme Pierre et moi, une bonne grosse abattée.
Nous voilà tout les trois en l’air, c’est tout simplement un GRAND moment.
Le vol se passe bien, j’aperçois en dessous la voile de Pierre (qui est blanche et qui comme le calcaire réfléchit……elle
), il est au moins 400 mètres en dessous de moi et donc, je ne m’inquiète pas pour l’approche de l’atéro. Par contre impossible de voir Stéphane au dessus mais je me dis qu’il doit bien être 300 mètres au dessus.
Je ne peux même pas lui parler à la radio car ma radio est coincée dans une poche de mon pantalon par une sangle de ma sellette.
Je vole tranquille au-dessus de Lumbin quand tout à coup, je le vois, ou plutôt je le devine à ma hauteur, à environ 200 mètres de moi. ( il a un taux de chute nettement moins bon que moi vu sa charge alaire et il a accéléré au début du vol ;il s’est donc retrouvé à mon niveau ).
J’essaye de ne pas le quitter des yeux car ça serait ballot qu’on se percute maintenant et j’essaye de prendre son sillage pour suivre sa trajectoire plutôt que de la croiser.
Heureusement, il me voit et vient vers moi, on se croise et il me dit, « j’y vais en premier » , je lui réponds OK et comme un débutant, je vais croiser son sillage, Pan bien fait, la turbulence en plein nez et comme j’étais relax au commande, je ferme une bonne plume! Quelle truffe je fais.
Enfin, nous voilà tout les trois posés. Pas d’euphorie ni d’embrassades, juste une grande joie calme et sereine d’avoir accompli avec des potes quelque chose de beau et de fort.
Dommage, on a complètement zappé les photos……….on fera donc une séance de rattrapage !