Hello !
Bon, je sais que ça ne fera pas rêver beaucoup d'entre vous. Mais pour moi, ce vol de près de 3 heures dans le massif de l'Epine est lourd de symboles et de signification. Je vole en effet depuis trois ans avec des séquelles physiques et neurologiques post grave AVC, c'est pourquoi le moindre vol effectué est à la fois un sursis et un petit exploit personnel.
Jeudi 28 mai, je pars donc avec deux collègues d'un autre club direction Aiguebelette pour un vol que je pensais "ordinaire", c'est-à-dire un plouf amélioré pour ma petite condition et ma modeste voile (Senso).
Pour tout vous dire, hier je n'y croyais pas trop.
Départ de Lyon sans conviction avec deux parapotes pour un décollage du massif de l'Epine à Aiguebelette. Deux autres jeunes collègues de mon club nous rejoignent à l'atterro. Après le sandwich avalé trop vite, nous montons au déco des Provinces. Sur place, je pense ne pas voler ou sinon faire un vol court, vues les conditions aérologiques zarbies, le petit plafond annoncé par les préviz météo (1400) et surtout ma petite forme du moment (pas de mental, état nauséeux... ).
Du coup, j'aide les copains à décoller et j'attends sans motivation sur le tarmac, près à redescendre la bagnole pour attendre à l'atterro... Pour ne rien arranger, sur la VHF les pilotes disent que c'est assez turbulent, avec moult fermetures et gestion de la voile, vent fort mais laminaire en moyenne couche.
Bof bof, pas engageant tout ça...
Au bout d'une demi-heure à scruter le ciel et à ronger mon frein, je me sens finalement un peu mieux. D'autant que 3 ou 4 autres pilotes ont décollé. Je me prépare doucement, j'étale la voile, trie le suspentage, 1ère check-list. Je m'harnache, 2e check-list. J'allume mes instruments, vérifie le secours et effectue un 1er pré-gonflage. Bon, ça a l'air de le faire.
Gonflage, retournement et feu ! à 15 h 25 je suis en l'air. A peine installé dans la sellette, ça monte sec. Le vario solaire s'ébroue joyeusement derrière mon oreille :bip-bip-bip-biiiiiiip !
Virage à droite 90°, direction Château Richard où quelques ailes zérotent comme des charognards. Mais bien avant, je me fait chahuter grave en roulis, tangage, lacet. La totale. Suivi de plusieurs arrachages verticaux à +3 m/s et même une sortie immédiate de thermique avec un genre d'effet bagnard.
La vache !, ça bouge fort et il faut tenir l'aile, anticiper. Schlaff! une 1ère fermeture de stabilo : j'enroule pour temporiser et prendre du gain en espérant me faire moins brasser plus haut. Mais ça plombe aussitôt, le variomètre me gémit une sinistre dégueulante. Et bing ! ça remonte et le vario clame sa mélodie façon R2D2. C'est "tonique", voire atomique. Et ça rime avec... chimique !
Je suis comme ça le jouet de l'aérologie tonique du jour pendant un bon quart d'heure. Je commence un peu à regretter d'être en l'air et je m'étonne de ne plus voir d'ailes tourner au-dessus de Château Richard. Où sont-elles passées ? Probablement parties en cross vers le nord et la Dent du Chat. Je veux alors arrêter la machine à laver et je rebrousse chemin direction le déco, bien décidé ensuite à aller poser au bord du lac. Tant pis, j'aurai fait 20 à 25 minutes de vol, mais marre de me faire secouer la viande et risquer de me prendre la bâche sur la tronche.
En survolant le déco, je me prends une ascendance un peu moins forte ; allez, soyons fou, j'ai une bonne altitude, j'enroule, on verra bien ! Au pire je n'aurai qu'à tirer une flèche vers l'atterro en évitant le relief et basta.
Du coup, je me prends au jeu, je refais un plein de près de 200 mètres. Alors je décide de faire demi-tour et de cingler vers le nord, en laissant à droite Château Richard et son lave-linge. Je tangente la face ouest au ras des sapins en cheminant à une bonne allure et, petit à petit je progresse à flanc de relief et légèrement sous la crête.
Au bout de quelques minutes, je suis en vue du relais de télévision. Oserai-je aller plus loin, tenter le Chat ? Ce serait trop beau. Mais je suis perplexe : aucune aile dans le secteur. C'est suspect... Je continue, passe légèrement au-dessus de la crête à une moyenne de 1400 à l'altimètre. Si ça reste comme ça, c'est tout bon. J'entrevois une espèce de plateau couvert de sapins dont m'avait parlé Jean-Yves (au fait, où est-il ?) et je me méfie, dévie ma trajectoire et passe carrément en nord-ouest pour lécher la pente. Ca dégueule un temps interminable. Je perds au moins 200 mètres de gaz. Houla, si ça continue, c'est mort et je n'aurai plus de possibilité de retour. Le vachage improvisé s'annonçant, je commence à zieuter les terrains disponibles en plaine. Mais finalement, ça remonte doucement, le vario se met à rebiper et je décide de continuer vers le nord.
Youpi, les lignes électriques sont en vue. Je les passe néanmoins avec très peu de marge. Je chemine encore quelques centaines de mètres puis j'aperçois les falaises calcaires ouest du massif. Continuer coûte que coûte, ce serait trop bête de faire demi-tour alors que le Graal est à portée d'aile...
Encore quelques kilomètres et, bingo ! j'aperçois la "dent" et les derniers reliefs en forme de canine pointue. Très impressionnant ! En même temps, le lac du Bourget apparait sur la droite entre deux éperons rocheux et je distingue Aix-les-Bains, la cité balnéaire où, enfant, je me rendais parfois avec mes parents dans les années 60. Ca fait un drôle d'effet de survoler ce massif sous un chiffon 50 ans après être passé par le tunnel à bord de la 403 parentale...
Au dernier plan, le mont Blanc enneigé se superpose à tout ça. C'est vraiment magnifique et j'en arrive presque à oublier que je vole silencieusement à 33 km/h plein nord.
Surtout ne pas mordre dans la TMA Chambéry, au risque de ne pas valider son vol à la CFD (j'enregistre ma trace avec une petite montre Geonaute) car ce serait en l'espèce ma toute première déclaration.
Au moment où je passe la Dent, mon téléphone portable sonne. Il est exactement 16 h 13. Evidemment je ne peux pas répondre, trop occupé avec les commandes. J'apprendrai par la suite que c'était Jean-Yves qui venait de poser à Aiguebelette sans être allé à la Dent du Chat et s'être fait trop brassé. Inquiet, il cherchait à savoir où j'étais passé, ne parvenant pas à me joindre sur la VHF (j'avais changé de fréquence par inadvertance au déco)...
Je contourne donc la Dent du Chat pour faire claquer une belle balise. Pour rebrousser chemin, j'amorce un large 180° gauche avec les étangs de St-Jean-de-Chevelu en ligne de mire.
Je pensais que le plus dur était accompli et que le retour serait du billard. Que nenni !
L'itinéraire de plus de plusieurs kilomètres pour retourner à l'Epine fut loin d'être une partie de plaisir. Contré tout le long par un flux d'ouest passant parfois même en sud-ouest, j'ai dû coller le relief à hauteur de la végétation, subissant dégueulantes et timides ascendances. Du coup, je me suis écarté du plus court chemin, volant parfois en radada et toujours loin de la crête. Mais en passant au-dessus du restaurant isolé de l'Epine, j'ai poussé un "ouf" de soulagement, je savais que c'était gagné et que j'avais désormais moins de risques d'improviser une vache.
Enroulage au-dessus de Château-Richard, puis au-dessus du déco, j'ai pu refaire un bon plein jusqu'à 1560 et des brouettes. Du coup, je décide de tenter le col du Banchet, plein ouest. J'ai pu survoler Novalaise dans une espèce de transition en plaine durant laquelle je n'ai pas trop perdu de gaz au début, glanant même de petites bullettes. Mais la complainte du taux de chute de l'altivario m'a rouvert les yeux. Il ne restait plus que deux kilomètres pour relier Aÿn et les falaises du Banchet, mais je ne prends pas le risque et j'ai aussitôt fait demi-tour. Dommage.
Redirection l'Epine donc, histoire de me refaire un plein. En fait, j'enroule longuement au-dessus de la ligne électrique et de la combe de la route forestière. Ce gain m'encourage à jouer les prolongations et je décide de faire feu plein sud, direction le col du Crucifix en passant par la crête à mouettes. Bingo, j'arrive au bout du lac sans avoir trop à enrouler et le Crucifix me monte doucement vers le mont Grêle. Passerai-je les lignes HT comme le 22 avril ? Les conditions sont à présent très médiocres, je ne parviens pas à monter au-dessus de 1350. C'est insuffisant pour passer le "grille-pain" et aller au mont Beauvoir mais acceptable pour faire demi-tour et gagner sans risque l'atterro du marais. Je croise encore 3 ou 4 voiles qui rentrent du Beauvoir à relativement basse altitude. Ca ne sent pas bon pour insister. Je leur emboîte donc le pas, non sans avoir tenté deux ou trois enroulages qui se soldent par un zérotage. Donc pas de regret : demi-tour. De toute manière je vole depuis plus de deux heures, donc j'ai mon compte.
Je termine la dernière demi-heure en beauté et dans une aérologie enfin apaisée par une incursion à nouveau jusqu'à l'Epine où je me paie un autre petit plein de carburant pour aller une seconde fois au Crucifix et rentrer, vu le gaz qui me reste, par le milieu du lac que je traverse à hauteur de St-Alban-plage histoire de d'admirer les avirons qui s'entraînent sur les eaux vert émeraude.
Rencontrant jusqu'au bout de petites ascendances de restitution thermique, il m'a fallu effectuer une longue perte d'altitude au-dessus du rond-point du péage de l'A43 et du parking de Vertes sensations avant de pouvoir poser à l'atterro du marais, à 16 h 10 tranquille et face au SO.
Au bilan ce furent 2 h 45 de vol, 73 km parcourus, et ma première déclaration CFD, soient 34 km retenus et 41 points pour mon club.
http://parapente.ffvl.fr/cfd/liste/2014/vol/20165884Super content quoi, mais aussi super vanné, épaule endolorie et crampe à la jambe gauche, grande fatigue (un gentil parapote m'a aidé ensuite à plier le bazar).
Un extrait du vol lors du passage de la symbolique "Dent du Chat" :
http://vimeo.com/129223198Super vol au final, mais avec le couteau entre les dents. Et je ne ferai pas ça tous les jours, comme disait une célèbre pub ménagère des années 70.