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Pourquoi le cours du pétrole américain s’est effondré, jusqu’à passer sous zéro dollar.La chute de la demande due à la pandémie due au coronavirus et le remplissage des stocks ont contribué à cette chute brutale, qui balaie au passage la stratégie de Donald Trump.Après près de deux mois de dégringolade continue, le pétrole américain se trouve dans une situation ubuesque : la valeur du baril cotait, à New York, lundi soir 20 avril, au-dessous de 0 dollar. Autrement dit, les investisseurs cherchant à se débarrasser de leurs barils étaient prêts à payer pour trouver preneurs, tellement le marché est saturé. Pour la première fois de son histoire, le cours du baril connaît un épisode de prix dits « négatifs ». Sur certains contrats spécifiques, il a plongé jusqu’à − 37 dollars (− 34 euros) !
Cette situation paradoxale est le fruit de la crise pétrolière provoquée par la pandémie mondiale de Covid-19, qui a fait chuter, en quelques semaines, la demande de 30 %, et par la rupture de l’alliance entre l’Arabie saoudite et la Russie, qui se sont lancées dans une violente guerre des prix en augmentant leur production pour remporter des parts de marché.
Ce conflit a dégénéré en choc majeur, précipitant les prix du baril de brent, qui fait référence au niveau mondial, au-dessous des 30 dollars. Mais l’objectif des Saoudiens et des Russes était de se débarrasser de concurrents devenus franchement gênants : les compagnies pétrolières du schiste américain, notamment au Texas. Et, sur ce plan, Moscou et Riyad sont en passe de remporter leur pari.
Depuis 2018, les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial, avec plus de 12 millions de barils extraits chaque jour. L’abondance de cette offre faisait peser un risque sur le marché pour les grands pays pétroliers : Russes et Saoudiens se sont imposé des quotas pour maintenir les cours du baril à un niveau acceptable pour eux. Cette réduction de l’offre s’est transformée en piège : plus ils réduisaient leur production, plus les Américains produisaient.
Les barils ne trouvent pas preneurs
C’est cette machine qui est aujourd’hui cassée : le monde produit beaucoup plus de pétrole qu’il n’en consomme, et le prix du baril s’est effondré. Avec un or noir peu cher, les stocks se sont remplis et les barils ne trouvent pas preneurs – d’autant plus qu’avec les mesures de confinement les déplacements en voiture ou en avion sont réduits au minimum.
« La limite de cet équilibre précaire devait finir par apparaître : c’est chaotique d’avoir un régime concurrentiel et agressif – comme le pétrole de schiste américain – dont le développement est subordonné à un régime de régulation au niveau mondial [le cartel de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)] qui lui permet justement de survivre », analyse Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières à Paris-Dauphine.
« Les Etats-Unis, en tant que marché enclavé, ont les plus importants problèmes de stockage », résume l’analyste Jasper Lawler, de London Capital Group : « La demande est tellement inférieure à l’offre que les réserves pourraient déjà avoir atteint 70 % à 80 % de leurs capacités. »
Cette chute illustre aussi la financiarisation du pétrole. « Il ne faut pas oublier que le pétrole est aujourd’hui d’abord un produit financier, et on en voit les conséquences ! », rappelle un patron du secteur. « Ce qui se passe, c’est que des tradeurs ou des spéculateurs qui avaient acheté un contrat pétrolier se trouvent dans l’incapacité de le vendre et n’ont pas de lieu pour le stocker. (…) Ou bien cela peut aussi vouloir dire qu’ils sont totalement inexpérimentés dans ce jeu et qu’ils se retrouvent avec un contrat dont le délai expire et dont ils ne comprennent pas complètement le sens », commente le vice-président de IHS Markit, Roger Diwan, sur Twitter.
Stocks quasi pleins
Mais même si les stocks sont quasi pleins, la production, elle, continue, car il est techniquement et économiquement complexe d’arrêter un puits. Cette baisse illustre également le fait que les tradeurs ne se satisfont pas des appels de Donald Trump pour que l’économie reparte : sans reprise réelle des déplacements, la demande en pétrole restera basse. « Cela veut dire que de coûteuses fermetures de sites ou des faillites vont se révéler moins chères pour certains opérateurs que de payer des dizaines de dollars pour se débarrasser de ce qu’ils produisent », explique Louise Dickson, analyste chez Rystad Energy.
Cette descente aux enfers aura plusieurs conséquences. D’abord, le secteur du pétrole américain fait déjà face à un carnage économique et social. Des dizaines de milliers d’emplois sont en passe d’être détruits et plusieurs milliers d’entreprises sont menacées de faillite à brève échéance. Logiquement, la production américaine va fortement diminuer dans les prochains mois, et il y a peu de chance qu’elle retrouve de sitôt son pic de 12 millions de barils.
C’est un pan du projet énergétique de Donald Trump qui s’effondre : le président américain a multiplié les gestes envers le secteur des hydrocarbures depuis son arrivée au pouvoir, en supprimant des réglementations environnementales mises en place par ses prédécesseurs. Son objectif était d’atteindre la « domination énergétique » des Etats-Unis : il espérait non seulement débarrasser l’Amérique de sa dépendance aux importations, mais aussi exporter des barils pour s’imposer dans le grand jeu pétrolier mondial. L’effondrement du baril américain signe la fin probable de cette stratégie. L’Agence d’information sur l’énergie (EIA) estime que les Etats-Unis vont redevenir, dès 2020, importateurs net de brut.
« L’avril noir du pétrole »
Le pétrole américain pourra-t-il remonter cette pente ? Fin mars, Saoudiens et Russes sont revenus à la table des négociations et ont convenu de coupes massives avec leurs alliés du cartel OPEP+ (qui rassemble les membres de l’OPEP, la Russie et une dizaine d’autres pays) : ils se sont engagés à réduire leur offre de plus de 10 millions de barils, soit 10 % de la production mondiale. Dans le même temps, plusieurs grandes économies, notamment la Chine, l’Inde, les Etats-Unis et la Corée du Sud, se sont engagées à augmenter leurs réserves nationales, pour soutenir la demande. Un « deal » global obtenu sous la forte influence de Donald Trump, qui a convaincu Vladimir Poutine et Mohammed Ben Salman, le prince héritier saoudien, de revenir à la table des négociations.
Mais cet accord ne s’applique qu’à partir du mois de mai : entre temps, les producteurs ont continué à pomper allègrement. Surtout, il a de grandes chances d’être insuffisant à moyen terme pour rétablir l’équilibre sur un marché totalement instable. « Cette volatilité extrême est très mauvaise pour l’économie mondiale », s’inquiétait, mercredi 15 avril, Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie, qui prévenait déjà : « Quand on regardera 2020 dans quelques années, on en parlera comme la pire année dans l’histoire du marché pétrolier. Et on appellera ce mois-ci “l’avril noir du pétrole”. »
Nabil Wakim.
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Marc