Voila bientôt trois ans que j'enchaîne les vols,... ou pour être plus précis, les ploufs. C'est qu'avec près de deux cent décollages plutôt pas trop mal négociés, généralement promptement suivis d'une phase d'approche parfaitement gérée, puis d'un atterrissage le plus souvent brillamment réussi lui aussi, on peu donc fort raisonnablement dire que j'ai déjà une certaine expérience de la chose. J'ai ploufé un peu partout des Alpilles aux Grésivaudan, en passant par le Lubéron et l'Esterel, les hautes Alpes et les Alpes de haute Provence, ainsi que le Vars... et jusque dans les Balkans ! Deux fois au pays d'Enver Hodja, c'est pas rien.
Il m'est même arrivé parfois, et le plus souvent à ma propre surprise, de parvenir à quitter la stricte ligne droite qui relie le déco à l'atterro pour aller faire quelques "S" vaguement ascendants le long des versants ensoleillés qui bordent mes sites d'envol préférés. Très exceptionnellement, je suis même parvenu à faire l'essuie-glace durant quelques dizaines minutes sur les crêtes qui jouxtaient directement mon décollage habituelle.
Tenez, pas plus tard qu'il n'y a pas bien plus longtemps qu'en fin de semaine passée, entre le passage d'une tempête qui à mis par le fond le fleuron de la flotte franco-corse, le navire amiral de la SNCM, rien de moins que le Napoléon Bonaparte, et cela en plein port de Marseille,... et quelques épisodes pluvieux notables ayant conduit à de dramatiques inondations et à une tornade dans la zone commerciale de Plan de Campagne, je me suis même permis un vol de 45' en face sud des Alpilles. Et ça, alors que certains experts, biplaciste émérites et mondialement réputés de longue date à travers toute la Crau, mais dont je ne citerais pas ici les noms par pure charité, ces derniers ayant décollés quelques minutes avant moi en bâche de transport en commun se faisaient le tas qui m'est habituellement réservé !!! Le personnage en question à préférer, à juste titre d'ailleurs, aller dissimuler sa honte loin de la surface de la terre, au plus profond d'une grotte à plusieurs dizaines de mètres de la lumière du jour.
Rien de moins que ça...
Il y a de quoi être fier, non ? J'étais donc mure ! Fin prêt ! Chaud comme la braise ! Le corps et le cœur brulant, l'esprit enflammé, à point !
Je me devais donc de partir réaliser mon premier cross. Un vrai, un digne de ce nom, un cross d'anthologie qui resterait dans les annales, et pas seulement celles du bac des Baccarins. Un dont les futurs anciens qui en auraient entendu parler "autrefois", en parleraient encore "bien plus tard" et encore largement bien plus longtemps après à leurs nombreux petits enfants à venir, afin de les endormir, des étoiles scintillantes plein leurs petits yeux embrumés de sommeil.
Le cross, c'est le nec plus ultra du summum du pilotage parapentistique. La remise en cause permanente, le dépassement de soi même, le dessus du panier de l'analyse aérologique, l'aventure ultime à porté du vario.
Dés le lendemain je m'attelais donc aux taches préparatoires absolument indispensables à la réalisation de L'EXPLOIT de la décennie. Il me fallut tout d'abord réunir les incontournables provisions de bouche : un paquet de petits Lu au pur beurre demi-sel, deux saucissons d'âne à l'ail et au poivre, un pot de confiture de coing du coin, une tranche pâté de canard Coin-Coin, une figue molle des Baux, et bien sur, le pack entier de Red Bull qui sied depuis une décennie à toutes les aventures sportives de haut niveau dignes de ce noms et vouées à la plus grande médiatisation.
Puis, vint le temps de passer à la dose de recherche scientifique incontournable et nécessaire, qui, à elle seule, permet de donner la crédibilité, le sérieux et l'assise indispensable à une telle aventure : une étude méticuleusement détaillée de macro-météo-géographie appliquée de terrain. En clair, j'allais repérer sur les cartes d'état-major de la région les reliefs les plus favorables au développement d'ascendances dynamiques selon les différentes brises possibles en saison automnale. J'allais ensuite sur place, à pieds, afin d'identifier sur le terrain, une à une les roches, pierriers, touffes d'herbes rases, barbecues et autres vecteurs d'échanges et de convections thermiques possibles en fonction de l'heure, et donc de l'orientation du soleil.
La tache n'était pas mince car je devais ainsi relever au GPS le positionnement de chacun d'entre eux, et, afin de les rendre encore plus aisément identifiable en vol, je prenais aussi sec soin (à ne pas confondre avec "une section au saucisson sec" l' "aussi sec soin". Cela n'aurait plus aucun sens commun)de les marquer par de vastes taches de peintures fluo visibles de très haut. Du vert fluo pour ce qui devrait engendrer des thermiques entre 10h et midi, du jaune pour le créneau de 12h à 15h, et du orange pour de ce devrait donner après.
Sachant que pour ma grande première, je n'ambitionnais rien de moins qu'un triangle CFD de 250km, et cela quelque soit l'orientation du vent météo , cela signifiait donc que j'avais du recouvrir la presque totalités du département des Bouches du Rhône, ainsi qu'une bonne moitié du Gard et du Vaucluse réunis, et, dans une moindre mesure du Vars, avec des taches fluo d'un bon mètre de diamètre ! Soit une bonne consommation de 22 tonnes de peinture fluo jaune, 19 de vert, 17 d'orange étalées à l'aide de pas moins de 158 rouleaux et 397 pinceaux-brosses de 70mm qualité supérieur issue par les réputés établissements Labrosse & Dupont .
Inutile de vous préciser que cela m'a pris toute la semaine avec l'aide de femme, enfants, belle famille, et plus encore de quelques voisins retraités de la fonction publique, tous recrutés à plein temps ! Il va sans dire.
C'est que je ne suis pas homme à concevoir d'accepter, même de manière fugace, l'éventualité d'un possible embryon d'échec, ni même celle encore plus improbable d'une incomplète réussite. Je suis un authentique gagnant moi !
Ce mardi matin j'étais fin prêt dans les starting gonflés à bloc. J'allais en découdre avec les éléments déchaînés, mère nature et la alizés !... Foi de moi, bon sang de bon sang, ça allait chier grave des bulles de cacahuète !!!
La météo annonce pour 10h du 50 km/h de secteur Sud sur les Alpilles forcissant à avis de grand frais sur le Golf du Lion en courant d'après midi avec un flux d'Ouest force 7 sur les contreforts du Lubéron en fin de journée. Avec ma Zunzun fluo, elle aussi, fort habillement équipée de trims droit et gauche ajustables indépendamment l'un de l'autre à la main, l'accélérateur aux pieds, ma sellette aux fesses personnalisée aux couleurs d'un bourdon de compétition et mon casque profilé, je suis incontestablement paré pour pouvoir faire face à toutes les situations possibles et imaginables. Toutes les conditions sont donc réunies, et les panneaux indic-tateurs ouverts au vert. J'y vais !
Dés pas plus tard que pas avant 9h15, je suis déjà au déco, la voile parfaitement étalée au sol, tout comme moi d'ailleurs après m'être pris une énième fois les pieds dans ses p.... de suspentes. L'air bag à parfaitement fait son office : la tête dans le sac, j'arrive encore à respirer !
C'est dans ces moment là qu'on se félicite de n'avoir pas choisi un mousse-bag.
40 minutes plus tard, une fois le sac de nœuds démêlé, je suis prêt à m'envoler avec l'arrivée du prochain cycle. Ce qui ne tarde pas à se produire : j'aperçois mon copain Marcel qui passe au loin sur le chemin avec son vélo tout terrain de chez Lapierre. C'est un bon cycle et je décide donc d'en profiter pour décoller. Ce qui tombe bien, puisque qu'une rafale m'arrache du sol à ce moment précis pour me projeter quelques dizaines de mètres plus haut. Comme la nature est bien faite ! J'aurais même pas à gratter pour me sortir du bocal : je suis déjà 300m en arrière du relief au dessus d'un feu de broussailles réalisé par les Sapeur-Forestiers communaux en charge de l'entretien de la colline.
Avec des passages de +9 intégré entrecoupés de -4, ça envoi sévère : En moins de 3 minutes je suis déjà à plus de 1500m, prêt à changer de couche.
Ben oui,... avec les émotions, le tangage et le roulis inversé, les ballotements et les tartines de rillettes trempées dans le café au lait du petit déjeuner, tout cela plus l'altitude et la dépressurisation de mes gaz intestinaux.... j'ai eu comme une espèce de faiblesse gastrique suivie d'un indiscutable relâchement du sphincter,... ça peut arrivé à tout le monde.
C'est aussi à ça que ça sert un airbag en vol ...!
Et pourquoi vous croyez que tous les pilotes de parapente ils se trimballent avec un gros truc aussi disgracieux sous les fesses ? Faut juste pas oublier de bien vider et de rincer copieusement le bazar après usage... et avant de replier la voile dedans si c'est du réversible.
Le temps de changer de couche et de faire un brin de toilette à la Red Bull, faut bien que serve aussi le soda au goût de médicament... ben justement tant qu'à parler de Red Bull,... j'ai les miennes toutes bleues à cause du froid en altitude, il est grand temps de les remettre bien au chaud au fond de leur caleçon de flanelle, parfaitement callées à l'abris du vent dans le cocon. Le temps de faire tout cela, dis-ai-je, j'ai pas mal perdu gaz au dessus de Sénas en arrivant en vue de Cavaillon. L'alti-vario-GPS-enregistreur indique un point bas à 68 mètres d'altitude par rapport au niveau de la mer, soit 22 à 25m sol.
Pas de bol, je n'ai à portée de vue absolument aucune des, pourtant forts nombreuses, marques de peinture fluo censées me matérialiser les possibles thermiques du secteur.... A moins que, peut-être,... la bas, loin vers le Nord, si si, il y a bien une tache jaune fluo ! Il me faudra bien traverser la Durance et la voie rapide... mais bon, de toutes façons, je n'ai pas d'autre choix : impossible de poser ici ! Je n'ai plus qu'à gratter et m'accrocher pour de bon. Ce que je ne manque pas faire aussitôt prestement, avec la bravoure et l'à propos qui me caractérisent et qui sont la marque de fabrique de l'étoffe des héros : je gratte sa race comme un ouf ! Je noyaute les cheminées des pavillons de banlieue sans répits. Mètre par mètre je progresse vers le Nord en direction de la tâche jaune sans trop perdre. Je ne lâche absolument rien, je m'accroche comme un diable à tout ce que je peux !
Il me reste à peine moins d'un kilomètres avant d'atteindre cette foutue tache jaune, mais seulement 10 à 12m de gaz sous les pieds, même avec le vent dans le dos,... c'est bien trop peu.
Conscient au plus profond de moi même que je ne dois surtout rien lâcher, m'accrocher à tout prix et jusqu'au bout ! Je tente alors une de ces manœuvres de la dernière chance comme moi seul en ai le secret. Un imperceptible appuis sellette sur la droite pour virer bien à plat, ne surtout pas freiner inutilement la voile et.... me voila aspiré, puis porté, et enfin sustenté par le coussin d'air que font les capucines du flot ininterrompu de poids lourds et de camping car qui remontent l'A7 sur la file de droite en direction de Lyon ! Je continue à m'accrocher, ne surtout rien lâcher ! A ce train d'enfer il ne me faut que quelques dizaines de secondes pour rejoindre MA tache jaune à bonne allure.
Quelques mètres avant d'y arriver, une léger coup de frein symétrique m'autorise une ressource bien venue de quelques mètres, puis un franc et ample freinage dissymétrique à droite me dépose tout pile poil à la verticale de MA marque jaune, sauvé !
Sauvé.
Sauvé,... sauf que c'est le moment ou la file, jusque là continue de camions et autres camping car, décide de s'interrompre pour de bon. Je suis pris dans le rouleau du derniers gros porteur qui me fait faire un 360 à la verticale dans le sens des aiguilles d'une montre. Je ne lâche toujours rien et je m'accroche encore, mais cette fois-ci pour de bon, et à la nacelle de la camionnette jaune fluo du patrouilleurs des ASF que j'avais pris de loin pour l'une de mes marques à thermique.
Ben ça aussi ça arrive : Avec la crise, le trou de la sécu , la baisse du pouvoir d'achat et les mutuelles qui remboursent de plus en plus mal les lunettes, j'ai pas pris l'option verres correcteurs sur les lunettes de soleil que j'utilise pour voler. Du coup... il m'arrive, parfois, de faire quelques petites confusions bénignes.
Comme ça tombait bien, le hasard, parce que moi, si vous avez bien noté, je ne tombais pas du tout puisque j'étais toujours accroché à la nacelle et que je ne lâchais rien du tout, le patrouilleur ayant justement terminé de réparer l'éclairage de l'aire de service de Cabanes, il reprit son chemin en direction de l'aire suivante, du coté d'Avignon Est.
Ce n'est qu'arrivé à celle-ci que ce grand professionnel, cet as du dépannage et du remorquage de haut vol sur voies rapides s’aperçut de ma présence, pendu sous sa nacelle, solidement ficelé tel un salami dans mes suspentes.
J'en profite ici pour faire un aparté pour tout ceux qui craignent pour leur sécurité en raison d'une hypothétique moindre résistance des suspentes de leurs mini-voile, et ceci sous prétexte qu'elles ne seraient testées en traction derrière un camion qu'à 6 G. Je puis ici vous confirmer que 25 minutes à 6 G, derrières un Renault Master de service, tous gyrophares allumés, et lancé à fond de 5 sur l'A7 sans qu'aucune suspente ne cède, c'est long ! Vraiment très long. Interminablement long... Et que dans ce cas là on préfèrerait assurément qu'elles lâchent,... les suspentes.
Comme le patrouilleur avait un remarquablement haut degrés de conscience professionnelle, au moins à la hauteur des nœuds de mes suspentes dans les articulations de sa nacelle, et en raison d'un déplorable manque de patience de sa part, je du me résoudre à l'accompagner durant toute sa tournée des réverbères, ainsi suspendu sous sa nacelle. Orange, Remoulin, Nimes, Garon, Arles, St Martin de Crau, Salon, barrière de péage de Lançon, et enfin retour pour une dernière intervention d'urgence du patrouilleur à la gare de péage de Cavaillon. Et cela avant que les services techniques d'ASF ne réussissent enfin à me libérer. Je reposais enfin le pied au sol sur les coups de 19h30, soit deux heures après le coucher du soleil !
Mon alti-vario- GPS avait bien enregistré la trace de mon triangle... que j'ai donc pus le faire valider en CFD : 250 km réalisés début Novembre en un peu moins de 9h27 ! Avec une vitesse sol moyenne de 28.8 km/h, et même 89,3 km/h lors des transitions avec des pointes à 110 malgré le vent de face. La majeure partie du vol réalisée aux environs de 5 mètres d'altitude, avec 12 points bas à moins d'1.5 mètres du sol sur des parking d'autoroute.
C'est pas la classe internationale ça ! Non ?
Bon, ok, j'ai tout de même du acquitter les droits de péages maximum parce que je ne pouvais pas présenter de ticket, mais ça en valait le coup, non ?