Hello,
vu la météo morose de ces jours-ci, je vous propose un peu de lecture avec le récit d'un vol effectué il y a pile un an : nous étions alors tous confinés à notre département, y compris en vol... D'où l'idée de ce challenge de faire le plus grand vol possible tout en restant dans l'Isère !
PrologueNous sommes le jeudi 22 avril 2021 au soir, au cœur de la semaine traditionnellement "fumante" dans les Alpes du Nord, et les prévisions météo pour le lendemain sont très bonnes : pas de vent, de beaux émagrammes sur toute la région. Il est temps de définir un plan de vol ! Or, la situation sanitaire liée au Covid-19 vient quelque peu perturber la donne pour les simples mortels que nous sommes. En effet, contrairement aux pilotes du pôle France qui alignent les cross de 300 km depuis quelques jours grâce à leur statut de Sportif de Haut Niveau, nous sommes tenus de rester dans notre département et de respecter le couvre-feu à 19h. Nous ne nous plaignons pas car il y a quelques jours encore, seuls ceux qui avaient le privilège d'avoir un décollage dans un rayon de 10 kilomètres autour de chez eux pouvaient voler, et l'an dernier à la même époque, nous étions confinés à domicile, cloués au sol à regarder les conditions incroyables sans pouvoir en profiter (bel exemple de loi de Murphy !).
Nous nous employons donc à trouver un parcours qui maximise la distance possible tout en restant dans notre département, en l'occurrence l'Isère, et qui soit réalisable pour être posé avant 19h.
Après un bon moment passé sur flyxc.app, le parcours défini est un triangle FAI de 175 km au départ de St Hilaire (en Chartreuse), la première balise légèrement au Sud du Moucherotte (Vercors), la deuxième le Pic de Vallon Pierra (légèrement au sud du Petit Ferrand dans le Dévoluy) et la troisième le Pic du Frêne (légèrement au Nord Ouest d'Allevard, dans le massif de Belledonne que nous rallierons via le massif du Taillefer, soit un parcours couvrant cinq massifs au total. Rendez-vous à Lumbin à 9h45 demain !
Le lendemain donc, Nous arrivons vers 10h15 au déco sud, et curieusement il n'y a quasiment personne au sol. En fait, le pôle France et les top guns ont déjà décollé (ils seront plusieurs à faire des triangles FAI de plus de 300km ce jour-là !), et la foule ne va pas tarder à rappliquer. Quelques ailes tenant en l'air nous indiquent que la masse d'air est déjà bonne !
Nous sommes cinq pilotes à vouloir faire le parcours : Gérard (777 King, alias "J'm 7 aile" sur le fofo) et Daphné (Mantra 6), deux très bons crosseurs, et Laurent (Zéolite GT, alias "LaurentGEDM" sur le fofo) et Philou (Delta 4), très bons pilotes également qui se remettent au cross cette année après une interruption plus ou moins longue, et moi-même (Alpina 4), qui pour une fois n'ai rien oublié de l'attirail du crosseux parmi les instruments de vol, le tuyau de pénilex, le buff, la crème solaire, le sandwich, etc. !
Le plan de vol prévu sur flyxc.app10h45, nous nous élançons du déco, pile une heure après les top-guns. Daphné, Gégé et Laurent volent vite, pas un virage jusqu'à château Nardent, je m'applique à voler à leur rythme, en ne touchant qu'à l'accélérateur et aux arrières, surtout pas aux freins ; Philou, un peu surpris, nous suit tant bien que mal.
Daphné enroule avec son style gracieux et efficace, et sort au sommet. Nous autres besognons pour gagner à peine deux cent mètres avant de nous jeter de l'autre côté du Manival, où à nouveau sans faire un virage ni toucher aux freins, ça remonte au niveau du fort du St Eynard, duquel nous nous jetons directement vers le Rachais.
Là encore, l'impression d'enrouler pour pas grand chose se ressent, même pour Daphné ! En radio, quelqu'un demande comment sont les thermiques sur le Rachais ; "Rachitiques !" répond Laurent, toujours le mot pour rire...
Au bout de quelques minutes, nous nous jetons sur le Néron. Je profite de la courte transition pour allumer mon live-tracking (j'avais bien oublié quelque chose !) et prévenir sur Signal les copains restés au boulot.
Daphné devant le synchrotron et Grenoble (photo par LaurentGEDM)Au Néron, les thermiques prennent enfin de la vigueur, ce qui tombe bien car il va falloir prendre de l'altitude pour traverser Grenoble et transiter sur le Vercors, d'autant plus que la nouvelle zone interdite P14 qui remplace la ZIT depuis la veille est centrée sur le synchrotron et nous oblige à passer plus au Nord pour la contourner.
Nous partons à l'altitude plutôt confortable à priori de 1600m. Laurent et Daphné raccrochent les falaises Nord du Vercors, au-dessus de Sassenage, comme une lettre à la poste, c'est plus compliqué pour Gégé et moi qui arrivons hors cycle, tandis que Philou est encore au Néron. Gégé parvient à s'extraire à son tour, et je galère encore un bon moment avec une Bonanza 2 blanche et rouge mais finalement, en nous aidant mutuellement à prospecter les zones d'ascendance, puis en enroulant de concert le thermique salvateur, nous arrivons à sortir du trou ! Rien n'est gagné car ce n'est pas tant le raccrochage qui est à craindre de cette transition, que le cheminement pour parvenir jusqu'aux faces Est, correspondant au survol du plateau de St Nizier de Moucherotte puis au passage d'une forêt pentue, le tout bordé d'une énorme ligne électrique haute-tension qu'il faudra passer pour aller se vacher ! Entre le plateau et la forêt, on peut contempler les aiguilles des 3 pucelles et l'ancien tremplin de saut à ski, vestige des J.O. d'hiver de 1968. Je m'applique à parcourir ce passage délicat, en enroulant des thermiques teigneux et avec l'impression, comme à chaque fois que je passe par là, de marcher sur des œufs.
Pendant ce temps-là, Gégé, Laurent et Daphné ont rejoint depuis longtemps les crêtes du Vercors et sont loin devant.
J'arrive donc enfin sous le Moucherotte, où le fidèle thermique de Cossey répond présent, sauf pour mon nouvel ami en Bonanza 2 qui l'a visiblement négligé et rame maintenant dans les basses-couches avec d'autres ailes qui ont décollé du petit site du Peuil, au dessus de Claix.
Le thermique me remonte au niveau des crêtes à 1800m, que je chevauche sans chercher à prendre plus d'altitude, espérant rattraper un peu les copains devant, et tapant la première balise au passage. Pas de nouvelles de Philou à la radio malgré mes appels.
S'ensuit un long plané quasiment sans rien enrouler jusqu'aux falaises entre le col Vert et les Deux Soeurs,où je reprends un peu d'altitude, non sans avoir eu un peu de mal à localiser la pompe de service. En allant au Grand Veymont, je croise Gégé qui ne se sent finalement pas très bien et préfère faire demi-tour. Sage décision, voilà la marque d'un pilote d'expérience ! Pour ma part, je suis en forme et continue mon périple ; Daphné m'indique en radio qu'avec Laurent, ils sont passés par le Mont Aiguille et qu'ils sont maintenant sur les avant-reliefs. Le secteur est un peu à l'ombre, et j'hésite à les suivre ou rester sur les haut-reliefs. C'est cette dernière option que je prends finalement, avec le soutien de Daphné qui me dit que finalement c'est peut-être un meilleur choix, car ils galèrent un peu en bas... Je traverse donc la vallée à l'est de Chichilianne et raccroche tête Chevalière en compagnie d'une Enzo 3 "girly" (violet et rose, je me demande s'il ne s'agit pas de Méryl Delferière ?).
Enfin des nouvelles de Philou qui a quasiment rattrapé son retard, devant le Mont Aiguille !
La traversée du col de Menée n'est pas une partie de plaisir (comme d'habitude, en fait !) avec une forte brise de face qui abaisse ma finesse à 4, puis 3, puis 2, gloups... Je raccroche malgré tout le Mont Barral mais ce n'est vraiment pas confort, j'ai l'impression d'être bien sous le vent, alors je fuis vers le Jocou où ce n'est guère mieux ; ce n'est pas une surprise car Daphné et Laurent y sont passés quelques minutes auparavant l'avaient annoncé en radio... C'est quand même bien d'avoir des poissons-pilotes !
Je ne fais pas le malin pour autant, car je ne suis qu'à 1500m d'altitude.
Le mont Aiguille (photo par LaurentGEDM)En m'appliquant, j'arrive à remonter en thermo-dynamique à un peu plus de 2300m ce que je pense alors être le plafond du coin, et qui me permet d'envisager de passer sereinement le col de Lus la Croix-Haute. De l'autre côté, Daphné et Laurent se sont refait sur le Rognon qu'ils quittent à ...2900m ! Une fois de plus j'arrive hors-cycle et je ne trouve l'ascendance qu'en me décalant sur la montagne d'à côté, le sommet de l'Aulp, mais cette fois-ci je suis bien dans le cycle et je ressors à la base des nuages, à 3000, ouf !
L'après midi est bien entamée, il n'est pas loin de 15h, et il est maintenant temps de raccrocher la deuxième balise, que je vise directement, étant confortablement porté par une rue de nuages qui s'est formée pendant que j'enroulais. Je me méfie quand même, je n'oublie pas qu'il y a deux ou trois ans, j'étais passé par là à 4000m d'altitude, et j'avais subi une rentrée d'Est puis une dégueulante monstrueuse du Grand Ferrand jusqu'à l'atterro de Courtet où je m'étais retrouvé posé en moins de 10 minutes !!!
Heureusement, cette fois-ci, ça se passe beaucoup mieux, car une fois passée le Pic de Vallon Pierra, une autre rue de nuages me porte à 3000m tout le long, du petit Ferrand jusqu'au Châtel via l'Obiou. C'est la meilleure partie du vol, tout est facile, tout est beau, c'est trop bien, vive le parapente, vive le cross !
Je pars à 3100 du Châtel vers le Coiro, cette transition que je cherche à faire depuis tant d'années s'offre enfin à moi !
Le Grand FerrandArrivé en face, une fois traversé le sud de la Matheysine, il faut raccrocher un petit relief juste avant le Coiro, en forme de pyramide, la montagne de Roussillon, et s'y refaire en brise, sous peine de se faire défoncer au Coiro. Mais J'ai du mal à ressortir bien haut, et je pratique alors ce que les djeun's appellent un "vieux jeté de viande", en forçant le passage et en me jetant donc sur le relief. La sanction est immédiate : je me retrouve collé au relief dans de la brise très forte et très turbulente qui heureusement me fait monter en dynamique, mais il faut s'employer à garder l'aile ouverte à quelques dizaines de mètres du sol. ça ne dure que deux ou trois minutes, mais le temps paraît bien long dans de telles configurations.
Je me dis exactement l'inverse de ce que je me disais il y a à peine une demi-heure : c'est la pire partie du vol, tout est difficile, tout est horrible, c'est atroce. Qu'est-ce que je fous en l'air ? Pourquoi je fais du parapente ? L'ascenseur émotionnel du cross...
Petit à petit, la brise est remplacée par du thermique très fort décalé par le vent, et s'éloigner du relief rend la situation plus confortable. Je préviens Philou qui arrive sur la pyramide de ne pas faire la même erreur que moi s'il veut s'éviter un sale quart d'heure tandis que je remonte jusqu'à environ 3000m ce qui permet d'envisager de façon plus sereine la traversée du massif du Taillefer jusqu'à face Sud de la montagne du même nom. C'est justement là où sont Daphné et Laurent, et c'est maintenant ce dernier qui se trouve en posture délicate ; bas et sous le vent, il doit forcer le passage dans la vallée de la Romanche au-dessus de Séchilienne pour traverser sur Belledonne. Pour nous autres, c'est plus simple, arrivés au Taillefer après une traversée sans encombre offrant une vue magnifique, un thermique (tout de même un peu hargneux) nous propulse à 3000 et nous pouvons viser Chamrousse sans souci, du moins le croyons-nous à ce moment-là...
Chamrousse et face Est de Belledonne depuis le TailleferEn traversant sur Belledonne, je vois un énorme nuage juste sous Chamrousse, et vu l'inclinaison du planeur qui enroule juste en dessous, je me dis qu'on va se faire satelliser ! En fait, il n'en est rien, c'est même plutôt l'inverse, on est sous le vent du nuage, et nous nous faisons appuyer par un énorme effet bagnard, comme dans les livres ! Nous arrivons de justesse à passer la crête des faces Est au niveau du Rocher de l'Homme, et nous nous faisons aplatir jusqu'au déco de l'Aiguille en ayant l'impression de slalomer sur les pistes de la station ! Heureusement, le thermique du déco est bien là, et on peut continuer notre périple sur les faces Ouest de Belledonne, qui sont généreuses en ascendances.
Laurent sent qu'il n'a plus beaucoup d'énergie et va sagement poser à Lumbin peu après avoir passé le Grand Colon.
Arrivés au niveau du Grand Replomb, nous croisons une bande de volants skis aux pieds, sûrement là pour se faire un combo à la "
Poor Man's Heli" d'Antoine Boisselier. Il est justement de la partie, je reconnais sa Zeolite toute orange ! Nous enroulons de concert un thermique déchaîné jusqu'au plaf, puis chacun suit son chemin.
Arrivé aux 7 Laux, il commence à se faire tard (18h) et la fatigue commence à se faire sentir, j'ai du mal à trouver les ascendances sur le Crêt du Poulet. Philou m'a rattrapé et m'indique celle dans laquelle il se trouve. Après un moment de flottement entre continuer sur le crêt du poulet ou traverser de l'autre coté de fond de Fond de France, ce dernier choix étant un peu osé vu l'heure et le peu d'endroits posables sous notre dernière balise, mais nous c'est quand même ce que nous décidons.
Pendant ce temps, Daphné a tapé la balise du Pic du Frêne et fait demi-tour pour boucler !
Nous sommes seuls au monde avec Philou dans l'ambiance toute particulière de ces sommets enneigés, et nous prenons notre temps pour faire notre bonhomme de chemin ; un peu trop d'ailleurs, l'heure du couvre-feu se rapproche à grands pas !
Nous arrivons enfin à la troisième balise du triangle, et à notre grande surprise, nous rencontrons encore de très bonnes ascendances ; Philou en profite pour faire le plein, se diriger vers le Grand Charnier et rentrer à Lumbin ; pour ma part, je pousse jusqu'au déco d'Allevard, je suis à 2500m, et je me dis que ça serait sympa de rentrer par Bramefarine...
Je fais en fait ce que j'appelle poétiquement la "connerie de fin de vol", résultant d'un manque de lucidité suite à la fatigue accumulée durant la journée de cross (je suis spécialiste du genre). En effet, d'une part dans mon esprit le sommet de Bramefarine est à 1000m d'altitude, or il se situe plutôt à 1400m en réalité, et d'autre part j'ai complètement négligé que la brise du lac du Bourget rentre plein pot le soir et qu'il va falloir que je l'affronte de face !
Résultat : je passe de justesse au niveau de l'antenne et profite à peine du dynamique de la brise et j'arrive au St Genis à moins de 1000m sans rien trouver d'exploitable... Je tente un nouveau "jeté de viande" vent arrière toute le long des avants reliefs pour me rapprocher du goal.
Lac d'Allevard en fin de journéeTant bien que mal, je pose tout près du lac de la Terrasse à 2 km de Lumbin, tandis que Philou pose à Lumbin tranquillement et Daphné, l'aigle royal, s'est posé sur le plateau de St Hil pour redescendre la voiture et vient me récupérer pile au moment où je finis de plier ! Super journée !
Ce vol de groupe n'aura été possible pour moi que grâce à l'esprit d'équipe dont nous avons fait preuve et l'entraide que nous nous sommes mutuellement portés. S'entourer de pilotes de son niveau (ou encore mieux, un peu plus forts) permet de se tirer vers le haut, mais demande donc d'avoir conscience de ce niveau pour faire des plans de vols en rapport, afin qu'il soient idéalement réalisables tout en nécessitant le petit effort supplémentaire qui vous fera progresser ! (les sportifs appellent ça le
flow)
La trace du parcours sur XContest, parfaitement éxécuté par Daphné !
