X-Alps : récit de Max Pinot |
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samepate: La suite: Le soleil n'est pas encore levé sur le cinquième jour. Et Ju, Mat' et moi sommes déjà en route pour le Surenenpass. 1700m de dénivelé nous séparent de cette faille vers le Titlis. Un échauffement dantesque pour une journée qui s'annonce particulièrement longue. Le ciel pré frontal n'augure rien de bon. Malgré tout, les rayons du soleil filtrent à travers les nuages. Je crois à un petit créneau qui m'économiserait de précieux mètres. Mais notre avancée dans la neige est fastidieuse. Enfin au col, nous devons escalader la congère qui fait deux bons mètres de haut. Le soleil continue de donner un peu d'énergie : de petites barbules forment, accrochant les pentes. Vite, un décollage. Nous en trouvons un, si raide que j'ai du mal à tenir debout sans l'aide de Mathias. Je manque un gonflage et réussis à ne pas débarouler dans la pente. Le deuxième est le bon. Il n'est que 8h45, mais je suis gonflé d'espoir. Les faces est comment à délivrer quelques bulles. Je navigue le long de la pente en évitant plusieurs câbles tirés de manières aléatoires par les locaux. Après ce petit cheminement, j'ai tout juste de quoi me jeter aux pieds des falaises du Rostockli, une face est si abrupte qu'elle est en dévers... Je retiens mon souffle mais rapidement les effluves de chaleur me happent. Je peux remonter, profiter un peu de cette petite réussite après la claque de la veille. Bien-sur je ne poserai pas en haut : mes chers petits cumulus ne sont qu'à 2200m. Le sommet est 1000m plus haut. Mais en posant sur les pistes de ski du Titlis, j'économise à mes jambes et mon cœur 1000m. De nouveau à pieds vers le sommet, je peux voir le ciel se fermer complètement. Le créneau aura duré moins d'une heure. Je suis si heureux de retrouver Nans et Jerem à mi chemin du sommet. Je peux me délester du matériel non obligatoire (eau, nourriture, doudoune, 2ème GPS, etc.) ce qui allège considérablement mon sac. Au bout de cinq jours de courses, chaque gramme a une importance considérable pour le physique, mais peut-être encore plus pour la tête. Enfin le panneau est en vue ! Dans une ambiance étrange : la sommet est surpeuplé par les touristes, notamment indiens. En voyant quelques caméra se masser autour de moi, beaucoup devienne curieux et c'est rapidement la ronde des selfies qui n'ont aucun sens. Ils doivent penser que je suis une star, ou quelque chose comme ça. Ce qui nous préoccupe plus, c'est que le sommet est dans le blanc. Impossible de décoller. Nous trouvons refuge dans le restaurant du sommet pour réfléchir. Et si ça ne s'ouvrait pas ? Que faire ? Endurer une descente à pied infernale ? Très rapidement, l'idée du nightpass se pose. Nous devons informer les organisateurs avant midi : le temps presse alors que la neige s'abat maintenant sur le sommet. Jerem téléphone à Laurent, notre meteoman, puis Luc, pendant que j'essaye d'avaler difficilement quelques frites. J'ai beaucoup de mal à m'alimenter depuis le matin. Jerem raccroche et me présente les choses de cette manière : « Bon Luc dit que la Zeolite vole très bien sous la pluie. Si tu décolles, tu accélère à fond jusqu'à sortir du rideau et tu secoues de temps en temps les élévateurs. Puis mollo sur les commandes le temps que ça sèche. Sinon, ils disent qu'il devrait y avoir un créneau dans l'heure ». Facile ! Nous décidons tout de même d'utiliser le night passe au cas où et l'annonçons à Christoph, le directeur de course. Je m'allonge quelques minutes à même le sol sous le regard amusé des touristes. J'aimerais pouvoir m'endormir. Mais je ressens mon cœur taper contre ma poitrine, entre l'effort, l'altitude et le stress de ce qui m'attend. D'un coup, une percée. C'est le branle bas de combat. Dehors, la neige fouette mon visage, ainsi que le vent. Nous basculons au-dessus de la barrière qui interdit l'accès à la face sud. La pente est très raide et ennéigée ; 1800 mètres de falaises tombent à pic jusqu'au fond de vallée. Le nuage qui se déverse sur nous est sombre. L'atmosphère est insoutenable. J'attrape fébrilement mes commandes et mes avants, pendant que Jerem tient ma brave Zeo ancrée au sol. Je souffle un grand coup, et monte la voile qui m'arrache du sol à peine retourné. J'attrape l'accélérateur dans la seconde en me jurant de ne pas le lâcher. Je sors du venturi fond de cale, et sens rapidement la neige se transformer en pluie abondante. Je fonce droit devant, où se profile une fichue zone aérienne sous laquelle je vais devoir passer. Je secoue les élévateurs par intermittence alors que j'arrive enfin sur le bord du nuage. Je peux commencer à voir le soleil filtrer. Je dois maintenant perdre 400 mètres pour passer sous la zone aérienne active jusqu'à 18h. Accélérateur sous le pied, je commence mes 3/6 jusqu'au plancher de la TMA, d'où je peux commencer ma session speed flying de fond de vallon. Aucun répit. Je pose enfin, heureux d'avoir pu déjouer le piège du Titlis. Les copains sont vite à mes côtés, ainsi qu'un couple suisse très sympa. Je peux me changer, encore trempé de toute cette pluie. Mathias me prépare une soupe car je n'arrive rien à avaler de solide. Et nous voilà de nouveau à user le bitume. Le col qui permet de basculer sur Grindelwald est à une quinzaine de kms, avec un dénivelé de nouveau conséquent : 1400m. Nous bavardons avec Ju de tout et de rien sur la route. Il faut éviter à tout prix de prendre conscience du temps, des kilomètres qui passent trop lentement, des mètres qui s'égrainent trop doucement. Mais au bout, il y a toujours l'espoir de pouvoir aligner quelques kilomètres de vol. Mathias m'accompagne pour la fin du chemin. Enfin, nous débouchons au col. Une vallée de merveilles s'étend devant nous : Grindelwald au fond, et toutes les faces nord mythique à notre sud. L'Eiger en point de mire, juste là. Le soleil perce mais l'ombre prédomine. En l'air, je choisis de me coller dans les faces nord, nord-ouest. Une infime brise de pente monte le long des parois et me permets de jolies finesses. Je peux me poser sur le chemin menant au pied de l'Eiger. Ce chemin monte et descend, et je commence à manquer de relance après déjà 4500m avalés depuis ce matin. Jerem me rejoint pour un ravitaillement et prises de décisions tactiques. Nous décidons qu'il serait judicieux d'utiliser notre nightpass sur le plat en direction du Niesen, superbe tremplin pour une journée prometteuse demain. Puis il m'abandonne pour retrouver l'équipe. Je continue seul en direction du col de Scheidegg et le temps presse. Je dois trouver un dernier décollage avant la fin du temps réglementaire pour le vol. Je cours dès que je le peux alors que le ciel s'assombrit de nouveau, accompagné d'une infecte bruine. Je traverse la station de ski fantôme. Il n'y a pas un bruit, personne, alors que je cours comme un dératé vers un décollage potentiel. Je me prépare en toute hâte et m'arrache du sol. Je peux souffler un peu. Dans mon cocon, je sens le sang traversée mes jambes fatiguées par les 5300m avalés aujourd'hui. Au bout de la vallée du Lauterbrunnen, la pluie tombe fort. Je lève les yeux, et autour de moi des nuelles forment. Puis mon vario se met à biper de manière constante. Soudain, je prends peur que le front au loin ne fasse rentrer du vent fort. Je fais quelques 3/6, qui me crèvent le cœur tant j'aimerais pouvoir économiser des pas, mais préfère retrouver une zone plus sécuritaire, un peu plus bas. Au posé, je ne sais que penser. J'aurais aimé planer plus loin pour m'économiser. Mais je suis fatigué de la journée, les nerfs à vif. Mais je peux voir arriver toute l'équipe, puis des gens du coin venus dire bonjour et bravo, l'helico team qui nous suit et qui est à fond. Cette bonne humeur, ainsi que les pâtes concoctées par Ju, me redonnent du baume au cœur. Il est incroyable de constater l'effet de la chaleur et de l'attention des autres envers soi dans ces moments de grosse fatigue. Et alors que nous prenons la route du Nightpass avec Nans, je ne suis pas au bout de mes surprises. C'est d'abort Petsch Nuenschhander (vainqueur de la Superfinale 2011) qui vient partager quelques kilomètres avec Nans et moi, partageant son expérience du secteur. Puis s'en suit un véritable cortège alors que nous traversons la petite ville de Wilderswil. Enfin Steve Bramfitt arrivera avec un ravitaillement cinq étoiles pour les derniers kilomètres, avant que finalement, la raison et la fatigue viennent signifier l'arrêt de la journée : malgré le nightpassa activé, il me paraît peu envisageable de faire une grosse journée de vol sans dormir. A l'aube du jour 6, nous longeons les bords du Lac de Thoune du fameux Niesen. Le réveil a été si dur ce matin. Je suis content de marcher pour le moment à plat, sans réel effort. Après une dizaine de kilomètres et un petit dej, nous nous lançons à l'assaut des 1700m de la pyramide sous un ciel baché. Mais il est encore tôt. Aussitôt la pente me saisit à bras le corps. La journée de la veille a laissé des traces, mon corps est au ralenti. Derrière Jerem au téléphone avec notre meteoman, je déambule comme un zombie, pendu sur mes bâtons. Les nouvelles ne sont pas bonnes : le ciel ne s'ouvrira certainement pas. Un énorme cunimb a beaucoup humidifié la masse d'air et la journée devrait rester grise. Cela n'arrange rien à mon état. Je ne me suis jamais vu si pitoyable. Mettre un pied devant l'autre devient une épreuve, et à chaque instant j'ai envie de dire à Jerem que je n'arriverai pas au sommet. Je n'ai jamais ressenti une tel faiblesse auparavant en sport. Je tente de m'alimenter, de boire. Mais a simple idée de monter là haut pour un plouf me mine. Je me répète de mette un pied devant l'autre, un geste simple si dur en cet instant. Mathias a pris le funi et redescend dans notre direction vu la lenteur de notre avancée. Je peux donc découper l'objectif : « Nous avons fait la moitié, maintenant il faut rejoindre Mat' qui est peut-être 300 ou 400m plus haut. Et après il restera l'équivalent d'une montée à Planfait ce que tu sais bien faire même en étant en mode zombie. Accroche toi, ça va revenir » J'engloutie tous les gels et autres barres apportés par Mathias. Il faut refaire monter ma glycémie. Nous continuons tous les trois, doucement pour enfin sentir mon corps se réveiller de nouveau. Mes jambes retrouver leurs puissances, mon cœur capable de réaccélérer. Et le mental remonter en flèche. Que ces deux dernières heures furent difficiles. Au sommet, l'accueil est de nouveau cinq étoiles et la Suisse remporte la palme de l'hospitalité. Café et croissant au sommet, sous le ciel d'acier. Je suis résolu à tirer ce qu'il sera possible de tirer de cette journée. Je décolle, fais un plané de 8 kilomètres et me pose sur une arête arrondie pour remonter 700m vers le sommet. Décollage, 10 kilomètres de plané, et de nouveau 700m jusqu'au décollage d'Adelboden, fief de Chrigel. Le ciel reste de marbre, et rien de bouge dans le ciel. Nouveau plané, nouvelle remontée. Nouveau décollage. Nouvel alpage, où je retrouve Mathias et Jerem. Déjà 4000m dans les jambes alors que nous nous dirigeons vers un nouveau col. L'orage gronde aux alentours, les radars s'affolent alors que Mathias doit rebrousser chemin pour récupérer un de nos véhicules. Nous trouvons refuge dans une grange en ruine avec Jerem, alors que grêle, pluie et vent font rage dehors. J'aimerais pouvoir m'étaler de tout mon long au milieu des planches jonchant le sol. Mais nous devons rester aux aguets du créneau qui nous permettra de nous échapper d'ici. Le pluie se calme, le vent reste. Une cellule au loin approche de nouveau. Il faut faire vite. Je décolle face au vent d'est et me jette en ouest pour un glide à haute vitesse, pour me poser sous un nouveau col. Tous ces efforts mis dans la bataille pour couvrir si peu de distance. Je regrette tant la grande vallée du valais. Je plie rapidement alors que la pluie revient, accompagnée de Nans et Ju qui sont d'excellent humeur. Ca tombe bien, j'avais bien besoin de rire ! Nous enfilons les Kway et autres ponchos pour la fin de journée et grimpons au dernier col qui marque une nouvelle journée juste sous la barre des 5000m de D+ pour mes pauvres gambettes. La pluie s'intensifie et nous sommes contraints de descendre vers Gsteig où la promesse d'un camping tout confort emmène nos foulées joyeuses, sous les sifflements mélodieux dans le lointain d'un authentique montagnard qui semble vouloir saluer notre passage depuis son balcon. La douche et le petit restaurant sont des moments de confort exquis et permettent de décompresser un peu et poser le choses pour la suite de nos péripéties. Demain s'annonce encore compliqué niveau météo... Malgré tout le confort de cette douce nuit, le réveil à 4h30 le 7ème jour d'une telle course devient une épreuve. Je me souviens me demander : « et si je restais là après tout ? » Mais la raison revient. Mathias me tend des vêtements que j'enfile comme un robot. J'engloutie mon bout de brioche au nutella et mon jus avant le vrai déjeuner un peu plus tard dans la matinée. Et revoilà la route, et le goudron. Le premier glide se fait sous la pluie pour changer, sous des aurores que nous ne verrons pas, cachées derrière les nuages. Je m'écrase lamentable dans mon champs de posé après avoir sous estimé le taux d'humidité de ma voile. Cette météo commence à me rendre complètement dingue. Une nouvelle marche face au Mont Blanc au sud, et un nouveau glide, me permettent de poser sur les hauteurs de Monthey, aux portes du Chablais. Un nouveau comité d'accueil super sympa m'y attend. Mais je dois les abandonner rapidement pour exploiter le court créneau météo de la mi journée. De nouveau en super forme physique, je hausse le train accompagné d'un local très sympa qui connait les chemins de son secteur. Le val D'Illiez est bien trop humide alors que le chablais commence à s'allumer de belle manière. Vite ! Bonne ambiance à la pointe des Corbeaux, au-dessus de Chatel où je me prépare pour entrer enfin dans mon domaine ! Foutu Chablais, que je suis content d'être là ! Le ciel est prometteur, tout autant qu'il est promesse de surdéveloppements. J'aligne sur le trait Mont de Grange, Col de Bossochaux, Super Morzine, Le Pleney et débouche dans la vallée de Samoens. Mais le ciel se bouche, des cellules sur les Aravis obscurcissent de nouveau l'horizon. L'activité thermique s'arrête. Je suis obligé de poser dans les pentes des Esserts après une petite erreur qui m'énerve passablement. Je suis forcé de remonter au décollage des Carroz... qui s'emmitoufle dans les nuages. Une cellule passe en grondant. J'hésite à me lancer mais décide de laisser passer encore un peu de temps. Je me glisse dans ma voile pour me réchauffer... et m'endors à l'abri des arbres. Quelques minutes plus tard, le téléphone sonne. Jerem m'annonce un créneau vu d'en bas! Je me prépare et m'y jette ! Je me glisse dans les combes sous la croix de Fer, Varan mais rien ne monte vraiment. Il ne semble n'y avoir que du vent, somme toute assez fort, qui lèche le relief, sans appui. Je dérive une misérable bulle au-dessus de Sallanches, et peux me poser en-dessous de Combloux. Mon terrain de jeu ne veux pas fêter notre retour... Nous nous posons quelques minutes à Combloux, le temps d'avaler quelques pâtes, de réfléchir. Le ciel prend de nouveau de superbes allures. Le Mont d'Arbois est le sommet envaseable le plus proche pour un vol du soir même si sa topographie est moyenne... il faut le tenter. Une force nouvelle s'empare de mes jambes et dans les pentes de la montagne, je dépose Jerem, Nans et un local venu gentiment nous voir, et Tarquin. Après 7 jours de courses, je ne pensais pas pouvoir tenir des rythmes supérieurs à 1000m/h. Mais apparemment si ! Préparation ultra rapide au sommet et jeté dans la masse d'air avant 19h. Je rêve de Bisanne, et d'un long plané le long plané du soir le long de l'Ebaudiaz. Qui sait ? Les cumulus sont beaux. Mais, cette masse d'air est quasi inerte, les pentes trop faibles. J'ai beaux être patient, rien ne sort et je me lance dans un glide désespéré. J'échoue lamentablement à Praz sur Arly, sur le parking du supermarché local. J'enlève ma sellette. Et j'ai le choix entre rire ou pleurer. Sous les yeux écarquillés de Ju, je m'allonge au milieu du parking, crie un bon coup et choisis de rire un bon coup de ce coup dans l'eau ! On ne peut choisir de vivre uniquement les bons moments et les réussites. Il faut pouvoir accueillir les échecs cuisants comme celui-ci, ce qui je vous l'accorde n'est pas le plus facile, après avoir encaissé 4600m de D+ supplémentaire pour finalement avancer trop peu à notre goût. La route qui descend doucement vers Flumet est une petite bénédiction, alors que Pierre et Vincent se relayent à mes côtés. J'accepte deux ou trois gorgées de bières, pour le mental ! Avant de monter notre campement si proche de la maison, après un repas en compagnie d'Eric et Jean-paul." |
airsinge: Ah ! Jeunesse oisive, civilisation des loisirs... Et toujours cette devise reine que wowo nous a par trop serinée : "vol-plaisir, vol-plaisir, vol-plaisir...". D'ailleurs, un petit débriefing sécu du seigneur wowo serait bienvenu pour qu'on sache mieux que penser de ces irrésistibles tentations de "voler-trempé"... :ange: |
blabair: Se serait dommage airsinge. Merci Maxime pour ce récit. |
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