Je n'ai jamais eu l'idée d'engager un guidos pour faire une voie ou un sommet et... j'en ai fait un certain nombre en solo mais je n'aimais pas ça : pour moi, faire une ascension est une entreprise conviviale, j'aimais faire découvrir des paysages, des sensations et des passages techniques à des alpinistes parfois très novices, j'ai fait beaucoup d'encadrement.
Bref le guide c'était moi.
Je composais les cordées en tenant compte du niveau de chacun et je définissais les courses à effectuer en fonction des dedirs de mes stagiaires et... de mes moniteurs.
Je n'ai jamais laissé une cordée en rideau et je n'ai jamais eu à déplorer d'accident mais j'ai participé plusieurs fois à des sauvetages et il m'est arrivé de "sortir" une "cordée volante" de l'UCPA dont le premier
perdait ses godasses était à la rue et en pleine panique. Ce jour-là, j'étais en solo mais j'avais une corde dans le sac, le guide qui conduisait la caravane était un copain, cela se fit tout seul.
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Mes dernières sortie en haute montagne eurent toutes pour cadre le massif du Mont Blanc, que je connais comme ma poche, avec bien entendu la voile dans le sac.
Juin 2009 : un but annoncé aux Dômes de Miage parce que Corinne ne voulait pas passer par les Conscrits pour y dormir, son idée était que nous marchions très vite et que les 4h de la montée pouvaient bien être faites en partant 4h plus tôt des Contamines. C'était absurde mais nous avions la frite... et au pied de la ferrata, gros caca nerveux : mademoiselle ne voulait pas s'engager là-dedans, elle exigea de monter par le glacier.
Moi je m'en foutais, le but était déjà marqué, j'allais lui donner une petite leçon sur un terrain haute montagne qu'ellene connaissait pas et sur lequel je me baladais.
Ce fut une belle journée, par un temps magnifique, dans des paysages superbes, avec quand même 18h30 de marche dans la journée.
Pour de l'entraînement, c'était de l'entraînement. Après cette équipée absurde, Corinne n'a plus jamais mis en doute mes compétences.
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En septembre 2009, toujours avec Corinne, nous sommes montées au refuge de Tête Rousse, objectif le Mont Blanc. J'étais passée par là un certain nombre de fois dans ma jeunesse et je voulais enchaîner sur la montée au Goûter mais Mlle refusa tout net.
Cela sentait déjà le but.
Le lendemain, montée au Goûter dès potron-minet, sortie au refuge en début de matinée, temps splendide avec très peu de vent, il n'y avait plus qu'à marcher 3h avec les crampons mais nous avions réservé au refuge... moi je voulais continuer et faire le sommet, tant pis pour la réservation, rien ne disait que ce serait aussi bon le lendemain. Si j'avais été avec un pote compétent, je l'aurais laissé là et j'aurais fait le sommet, mais Corinne débutait et je ne pouvais pas la laisser. L'ascension s'arrêta au Dôme du Goûter, il restait 1h à marcher et j'avais les boules.
Nuit au refuge.
Au tout petit matin, départ à la frontale avec déjà un vent glacial, il était évident qu'à supposer que le sommet serait atteint on ne pourrait pas voler. Nous étions avec deux autres cordées et je décidai très vite de redescendre.
Corinne marcha encore une petite heure avant de faire demi-tour.
Voilà comment on met un but stupide.
En fin d'après-midi, le vent avait faibli et Corinne décolla dans le rouleau sous le vent de l'arête, ce fut presque un miracle si elle ne dégringola pas sur le glacier de Taconnaz. Quelle trouille !
Restée seule, je redescendis sur Tête Rousse et dans la descente je rattrapai une codée assez âgée, je fis connaissance avec le guide et ô surprise : c'était Jean-Louis Bernezat. J'avais parcouru pas mal de voies qu'il avait ouvertes, j'avais failli faire un stage de formation avec lui, ce fut une formidable soirée à Tête Rousse.
Au matin, décoller dans le catabatique pour descendre au Fayet, avec la pente très douce du glacier, ce n'était pas une bonne idée, un truc à se casser la gueule. Descendue à pied jusqu'au Nid d'Aigle, j'ai vu où Corinne avait décollé l'année précédente, Brrrrr !
Autant attendre le TMB.
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Le but au Mont Blanc fut lavé deux semaines plus tard, cette fois au départ des Cosmiques. Au sommet, nous fûmes accueillies par un sympathique drapeau tibétain et un beaucoup moins sympathique grondement de tonnerre sur Aoste. Pas question de glander, de faire des photos ou de prendre des poses, ils fallait décaniller rapidos. Je pouvais éventuellement redescendre en cavalant sur le Goûter, c'était donc à Corinne de décoller la première.
Je ne vous dis pas la sensation quand on se retrouve là-haut totalement seule, avec un léger vent de cul et l'orage qui arrive.
Ja finis quand même par décoller, aidée par une cordée qui sortait de la Sentinelle Rouge : ils tinrent le bord d'attaque de ma voile en position haute et hop !
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Je suis retournée sur le Mont Blanc en septembre 2014 et au petit matin le vent était déjà si fort que décoller du sommet serait impossible. En arrivant à Vallot, nous étions dans un nuage et j'étais certaine que c'était "l'Âne" (l'altocumulus lenticulaire classique). Halte à Vallot pour attendre le jour puis je pris une décision convaincante, mon compagnon étant aussi alpiniste mais ne connaissant pas aussi bien le Mont Blanc. Tant qu'on y voyait, il fallait cavaler vers le bas parce que sur le Dôme, quand le vent a effacé les traces, il est impossible de s'orienter dans le brouillard. Vincent avait repéré un "déco" en montant, il ne valait rien (trop venté) mais il en trouva un autre tout près, bien abrité, et hop ! Déco vers 4300m à 7h du matin, il faisait encore nuit à Chamonix, ce ft un vol glacial mais magnifique.
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Si j'arrive à retrouver une petite forme, j'ai dans l'idée d'aller faire l'Aiguille Verte en juin. Comme je serai lente dans la montée, aucun copain ne voudra faire équipe et je devrai probablement engager un guide.
J'en connais encore quelques uns à Chamonix mais ils ont mon âge, je pense par exemple à Jean-Franck Charlet avec qui je fis la 2de de la directe Deck-Jouty aux Droites... en 1973.
Sinon il y a bien l'arête Mettrier aux Dômes de Miage, que je peux éventuellement aller faire en solo vu qu'il n'y a pas de marche sur glacier enneigé.
L'Aiguille Verte serait quand même une belle façon de terminer ma carrière d'alpiniste.
Et tant pis s'il faut engager un guide.
Je suis trop âgée pour pouvoir espérer me raccrocher à une cordée jusqu'à la rimaye du Whymper.
J'aurai 72ans l'été prochain (dans pile 6 mois) et Paul Beylier fit la Walker à 72ans (avec des guides, il avait les moyens). Le Whymper est incomparablement plus facile, donc avec un peu d'entraînement ce sera possible pour l'Ancienne.
Et puis quel vol ! J'y pense depuis mes tout débuts en 2007.