Aux motards :
Moi aussi j'ai débuté la moto au début des années 70 (avec une 450 Honda, un piège très sympa) mais je n'ai jamais vu, au bord des circuits, de machins susceptibles de tuer les motards, sauf les ignobles glissières à bagnoles.
L'accident de Christian Ravel à Spa en 72 (haché par un montant de rail) me fit réfléchir, puis ce fut André-Luc Appietto à Bourg en Bresse, sur un circuit routier presque aussi dangereux que l'ile de Man. Bill Ivy et Santiago Herrero avaient été eux aussi victimes de "circuits" inadaptés et quand je me suis retrouvée à Cognac en 86, sur un circuit improvisé utilisant d'anciennes pistes de l'aéroport militaire, construites par les Allemands, j'ai dit NON.
En mon "patron" n'a pas apprécié. Comme c'était moi qui avais construit la moto, il se retrouvait comme un con. Un tour du circuit à pied m'avait suffi, ma peau avait plus de valeur que le reste.
Même à 20ans, j'avais déjà refusé d'exposer mon intégrité physique dans des descentes dingues à skis. La perception de l'environnement est essentielle en moto, c'est pour ça que je n'attaquais vraiment que sur des VRAIS circuits avec abords dégagés et herbe en bord de piste (sans trottoirs ni bordures évidemment).
Le circuit de l'ile de Man, je ne l'aurais même pas fait en mobylette, juste en vélo pour le plaisir des paysages. La fin de ce circuit dans le Continental Circus suivit la mort de Gilberto Parlotti.
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J'ai connu aussi les bottes de paille... quand j'ai couru en pocket (le mien est toujours à vendre, il est de 88, la première série importée). Je faisais au moins deux chutes par sortie, une aux essais et une en course, mais on ne tombe pas d'un pocket vu qu'on a les fesses à 30cm du sol, et même si on roule à 100 on glisse et on arrive à la paille en douceur... quand on y arrive.
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Aux alpinistes :
Ces dernières années, les séracs de la face du Mont Blanc du Tacul ont vraiment une sale gueule et je laisse les copains y aller. Un couple de mes amis échappèrent il y a quelques années à une avalanche de séracs qui tua tout le monde sauf eux, ils avaient eu le temps de sauter dans la rimaye. Bilan : une énorme frayeur et quelques fractures.
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En juillet 2015, j'avais décollé à Planpraz avec deux copains, l'idée étant de tenter le Mont Blanc. Un énorme vrac à l'Aiguillette des Houches m'avait fait comprendre que le vent était passé au secteur ouest et qu'il faudrait lever les pieds très haut pour passer le col de Miage, j'avais lâché l'affaire. Les copains avaient buté au col de Miage, sous le vent, et ils avaient vu un pilote faire un sketch et dégringoler, aucune chance de survie dans un environnement aussi pourri. L'un était passé pour aller se poser à Entrèves, l'autre avait repassé le col de Tricot pour rentrer à Chamonix.
Après cette journée tragique (un autre accident mortel) les Italiens décidèrent de fermer le massif et on n'y vole plus en été.
Mon but me fit bien prendre conscience que le Mont Blanc se mérite et qu'il est plus élégant d'y monter à pied. Comme avait dit Walter Bonatti après avoir décidé de redescendre de la face N de l'Eiger : "
aucune montagne ne vaut ma vie".
Bonatti fut un des alpinistes les plus audacieux et les plus brillants de l'après-guerre mais c'était aussi un sage, à niveau tout aussi exceptionnel il n'avait rien d'une tête brûlée comme Lachenal ou Hermann Bühl.
Ainsi fit Marc Batard à 50m du sommet du monde : y aller aurait été la certitude d'y rester, ce qu'auraient fait des gars comme Mallory ou Bühl... Malgré l'énorme fatigue dont il mettrait du temps à récupérer, il marqua son but et redescendit. Son pari de faire l'aller-retour du camp de base en moins de 24h, il le réussit au 3ème essai en puisant dans ses dernières réserves, aidé au retour par son sherpa qui l'attendait au col sud.
La volonté permet d'aller au-delà de nos limites normales, dans une zone où il n'y a plus d'autre sécurité que l'instinct de vie.
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Aux parapentistes :
Je fais partie des "sages" qui se nourrissent aussi de l'expérience des autres, c'est sans doute ce qui me limita en tant qu'alpiniste et ce qui me limite maintenant dans le parapente, en plus de l'âge qui induit aussi de la sagesse.
J'ai une copine qui a débuté en 16 et qui s'est cassé la gueule en faisant n'importe quoi, elle est passée très près de la tétraplégie. Les longs mois de souffrance l'ont fait réfléchir et elle a refait un stage init en juin 17, avec Caro. C'est un peu plus tard, quand je la faisais voler à haute dose, que j'observai Caro lui parler d'un rituel de la prévol.
Les Grands Espaces assurent un suivi de leurs "poussins", cela fait partie de l'éthique de cette école (avec laquelle j'ai débuté).
Les aviateurs ont toujours un plan de vol à étudier et avant de décoller une liste de contrôles à effectuer (check list en anglais). Nous aussi, nous effectuons un certain nombre de contrôles avant de décoller, qui doivent être méthodiques et de préférence toujours dans le même ordre, étant entendu qu'on apprend mieux un texte en vers qu'un texte en prose.
Cet ordre méthodique des opérations à effectuer doivent devenir non pas une routine mais un véritable rituel, selon Caro et je souscris à son enseignement. Ce rituel libère l'esprit de tout un tas de facteurs de stress et permet d'engager la manoeuvre de décollage avec une meilleure concentration, en toute sérénité.
Je procède ainsi quand j'assiste des pilotes novices qui font leurs premiers vols en autonomie, ou d'autres plus expérimentés qui se posent des questions quant aux conditions.
L'idée est toujours de libérer l'esprit de toute espèce de stress, un éentuel coup de rigolade au passage n'est jamais négatif.
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Mon rituel (immuable) :
- voile en position, suspentes en ordre (je n'ai JAMAIS d'emmêlement), secours bien en place (sauf en rando), je monte la sellette en serrant bien les maillons à vis (en rando).
J'enfile alors la sellette et c'est à ce moment qu'apparaît un début de stress.
- contrôle de la longueur des bretelles (trop serrées, on ne peut pas s'asseoir).
- bouclage des cuissardes (droite puis gauche) et contrôle du jeu entre sangle et cuisse.
- bouclage de la ventrale et contrôle de son écartement.
- vérification des sangles de tension du cocon et bouclage (gauche puis droite).
- bouclage de la petite sangle de confort.
Il va falloir que je change de rituel parce qu'il m'arrive parfois d'oublier cette petite sangle et de devoir y remédier en vol.
- quand j'embarque une radio, j'installe alors le micro.
- mise en place du tuyau de la poche à eau.
- mise en route du vario.
- j'enfile les gants.
Il n'y a alors plus qu'à décoller et... plus le moindre stress : sérénité, rythme cardiaque lent, concentration, observation des cycles du vent et au bon moment j'y vais... en fait je gonfle la voile, je me retourne et je la pilote en n'engageant le décollage que si elle est parfaitement en place. Je ne décolle jamais en bourrinant ni à l'arrache.
L'explication est simple : à mes débuts j'ai failli me tuer en merdant un décollage et j'ai eu le temps d'apprendre en passant en revue toutes mes erreurs, puis d'apprendre encore et encore en travaillant beaucoup au sol et en observant les autres.
Et à l'automne 2017, en route vers les 70ans avec plus de 2000 vols dans la musette, j'ai appris de Caro la pertinence d'un rituel.
Ce qui me fera le plus de peine en passant l'arme à gauche, ce sera de ne plus pouvoir apprendre.