On est en mai 1997, une belle journée ensoleillée à La Belle Idée, un ciel d'azur au-dessus de la Brie...
Je dois en être (de mémoire) à mon 10ème vol au treuil, soit un peu moins de 15 vols en tout depuis mon tout premier plouf au Poupet et quelques vols de durée à La Côte ou en fin de journée quand on se partage le mont avec les deltistes et les planeurs...soit à mon niveau des vols n'excédant pas une demie heure et des gains de folie (20-25 mètres au-dessus du déco le temps de quelques aller-retours le long du relief, c'est dire).
Bon, j'ai bien senti déjà des trucs dans l'air qui te font jouer au yoyo quand tu passes dedans mais impossible de les exploiter (pourraient pas les peindre en rose, ces cons là, ce serait tout de même plus facile). Exit le Poupet donc, et retour dans le bassin parisien et les joies de la banlieue, une fois les vacances terminées...ça va être long d'attendre l'année prochaine.
Et puis un copain que j'ai rencontré au stage me parle de chez "Tramber", m'explique que ça vole pratiquement tout le temps, tout ça...bref, à une grosse heure de route de chez moi, autant aller voir.
Ce que je fais dès le début de la "saison" (quand mon boulot me laisse une journée entière de congé).
Bertrand me présente le stage, les spécificités du treuil, les tarifs... Bingo ! Je prends ! Et puis faute de grives...(les "montagnards" ne connaissent pas leur bonheur)
Donc me voilà partie pour une initiation au treuil, un peu impressionnant la première fois à cause du vertige qui se réveille pour ce bête câble à la noix qui me relie au bazar, sensation qui disparaît une fois le câble largué. Ouf ! Là aussi pendant l'ascension je "sens" bien des trucs qui se passent dans les commandes mais on verra ça plus tard, pour l'instant le but du jeu c'est de se concentrer sur le risque de verrouillage et grosso modo ça paraît plutôt facile à comprendre.
Bon, on se fait quelques "vols" en matinée, et comme je suis douée je repose à chaque fois au déco, ce qui m'évite d'avoir à remonter à pieds en trimballant tout le matériel...ah ben non, c'est vrai, ici le déco et l'atterro c'est pareil (pratique).
Bertrand me fait faire quelques manœuvres le temps des ploufs (oreilles, virages, etc.)...il est sympa et me prête même une Paratech P41 jaune qui répond bien et que promis, dès que je gagne au loto je lui en prends une, mais pour l'instant je garde la Storm 201 que mon copain vient de me vendre. J'aime bien l'ambiance qui règne au déco, l'impression d'être ailleurs, tout le monde a l'air cool, comme une seconde famille. Tiens, en parlant de truc jaune, je m'offre enfin le Renschler SOL 3 qui est livré dans sa housse jaune, on va voir ce qu'on va voir pour les prochains vols, que je me vais te le rentabiliser le truc, et le coût du treuillé aussi.
Encore deux "vols" pour rien, qu'à peine posée je refais la queue pour pouvoir m'attacher à ce maudit câble qui me file toujours autant mal au cœur, et puis arrive ce fameux jour de mai après des jours de grisaille. J'ai téléphoné à Bertrand avant de partir, qui me dit que ça vole et que je peux être au terrain dès 14h. Je débarque une petite heure après (heureuse époque, où les radars n'étaient encore qu'anecdotiques). Il fait super beau et il y a du monde, du beau monde même, si j'en juge par leur équipement, des "pros" avec des ailes de pros, équipés comme des bio-mans, avec le casque Icaro profilé, les cartes de la région sur la cuisse de la combi qui va bien, les lunettes de soleil irisées assorties...beaux comme des camions...ça promet de belles conditions. J'attends mon tour en rongeant mon frein, un premier "fusible" s'envole, virage à gauche et...plouf, bientôt suivi par un second, un troisième...une petite dizaine de "velus" qui font la même chose et qui battent des records de non durée, à part celui qui me précède et se fait trois "gratouilles" pour aller poser au bout de 10 minutes.
Compris, c'est pas encore aujourd'hui que je percerai le secret des oiseaux.
Décollage, l'air est doux, le vario chante (forcément), je grimpe à 400 mètres, largage, et virage à droite (pour changer). Ca vole un brin, et puis le "beuuuuhh" se fait entendre. J'ai encore un peu de gaz sous les pieds et je me rappelle que dans un monde idéal, le champ jaune à droite de l'atterro serait susceptible de prolonger mon vol de 30 secondes, et là, le miracle (en anglais the miracle) : je regarde l'écran du vario qui affiche 0,1 m/s et qui recommence à biper légèrement. Je grenouille quelques secondes dans cette zone, je "zérote" sans trop savoir où aller, je me paye le luxe d'un grand virage à plat et pouf, ça passe à du 0,5 m/s avec des pointes à 0,9. Je regarde l'altitude, je suis revenue à mon point de largage et ça grimpe encore...trop génial, alors j'enroule et j'enroule encore...450 mètres, 500 mètres, 600 mètres...
Dis, c'est top, première fois que je monte aussi haut (que je monte tout court en fait)...hihihi, j'en vois un autre décoller. Ah non hein, c'est "ma" bulle, c'est moi qui l'ai trouvée, ils vont tous se pointer, venez pas squatter mon marais barométrique. Tiens, avec ces conneries j'ai pas trop surveillé la zone et mon "pilotage" et ça se remet à descendre. Bon, où j'étais la dernière fois ? Coup d'œil au sol, ah oui, à la verticale de la touffe d'herbe et bim ! Faut croire que je n'ai pas le compas dans l'œil vu que je suis dans du 1,5 m/s maintenant. M'en fous, ça m'arrange même, et c'est reparti pour les tours de manège ("Béjor Aigrid, est-ce que tu aimes t'envoyer en l'air ?").
Punaise, j'y crois pas : 800 mètres !
Et ça se renforce encore...3 m/s...5 m/s. J'ose pas rêver trop fort, ça laisse des traces...bientôt le mythique 1000 mètres, c'est mon mur du son à moi, en plus avec le vario qui grimpe dans les aigus et moi dans les tours, c'est grisant. Hein, quoi, déjà 1200 mètres ? Rhooo, c'est trop, merci Père Noël...si j'osais...allez, on va progresser par paliers. A 1500 (!) j'arrête, plus de 1000 mètres de gain pour une première, c'est inespéré...et tout ça en commençant par du zéro, que sans mon nouveau jouet je n'aurais même pas senti en plus. Tiens, c'est vrai que ça tire pas mal au fait...des pointes à 7 m/s pour une moyenne de 5 m/s, ça décoiffe, je comprends l'utilité du casque, même si la tenue de mon brushing est totalement absente de mes pensées dans ce moment magique. Ah ben du coup j'ai laissé passer les 1500 mètres.
A 2000 mètres, je suis dans le Grand Bleu, la Terre est bien ronde, comme me le confirme l'horizon. Je regarde en bas : personne dans mon sillage, c'est rigolo toutes ces fourmis, je suis seule, et ça monte toujours. Un bref instant d'angoisse dû à cette sensation d'isolement, de vulnérabilité, le sentiment d'être juste un fétu de paille...je crois que j'ai compris pourquoi ça grimpe, sûrement le gros truc noir au-dessus de moi, enfin au-dessus, façon de parler, parce que pour l'instant il est encore loin. A vue de nez je dirais environ à 5 ou 10 km à ma droite et en gros encore à 2000 mètres au-dessus, mais vu que c'est le seul dans le ciel bleu...tiens c'est vrai ça, tout le temps de ma grimpette il s'est pointé à la sournoise, tellement grisée que j'étais que je ne le remarque que maintenant, mais bon, j'ai encore le temps, il avance paresseusement. 2100...2150...2200...mon pote va être fou et moi je suis aux an...PAF !
Hein ? Qui m'a mis une baffe ? Et c'est quoi ce gros chiffon qui vient de me passer devant ? Mais...mais...mais C'EST MON AILE !!!
Keski s'passe ? Mais au secours, quoi ! Je tombe en avant, en arrière, ça tourne, maman j'ai peur ! Mon parachute se met en torche... connerie oui, quel parachute ? J'en n'ai pas, pauvre andouille, tu parles d'un mauvais choix, il me sert à quoi mon vario là ? Tout ça pour avoir voulu économiser 2000 balles. Quelle conne ! Ca claque de partout, ça tabasse, le vario dégueule, je tombe, je vais atterrir dans mon aile et dans 30 secondes ma vie s'arrête...putain, c'est trop con ! Et rien à quoi me raccrocher...et elle me nargue en plus, à passer et repasser devant moi, derrière, sur les côtés, au-dessus. Tiens, elle reprend vie...ah non, elle repart en vrac, je m'en balance (dans tous les sens du terme), je veux me sortir de ce merdier au plus vite, alors je tire, sur les freins, sur les élévateurs, sur le pianiste, sur tout ce qui passe à ma portée et l'essoreuse finit par se calmer un peu. Rapide coup d'œil à mon aile, pas franchement en bonne forme et encore un peu fripée mais je m'en fous (et puis j'ai pas mon fer à repasser sous la main) alors je file tout droit, loin du gros chou-fleur qui a encore grossi, je traverse des turbulences, ça flapouille, ça pendouille, j'ai du mal à voler droit, et puis le "beuuuuuhhh" du vario qui vrille mes oreilles...j'imagine aisément le stress supplémentaire que cause l'alarme qui gueule "stall...stall...stall" dans un cockpit quand tous les voyants sont au rouge et que les commandes ne répondent plus...
Encore 200 mètres environ de vol perturbé et à 1500 ça se calme enfin. Je compte mes suspentes, qui ne seront jamais aussi tendues que moi à cet instant, mon aile a retrouvé son joli profil, je descends à du -1 m/s, je laisse le vilain gros machin dans mon dos, et je commence à entamer une prise de terrain en O majuscule (oui, je viens d'inventer la PTO, tellement je flippe à l'idée de devoir faire des S ou des U ou tout ce que tu voudras à proximité du mastodonte).
Un dernier virage biiiieeeennnn large pour trouver l'entrée du terrain et finaliser l'atterro, que je dois négocier en plein travers, vu que le vent a totalement changé (merci la
), et je me pose comme une fleur dans l'herbe tandis que mon aile s'affale et moi aussi (qui a piqué mes jambes ?) et que je vois mon copain se précipiter vers moi et me dire "PUTAIN, LA FERMETURE !!!" Merci, c'est gentil, mais tu peux juste m'appeler Caro.
Je retrouve mes jambes et j'arrache Bertrand à son treuillage. Un petit tour à sa boutique et en une minute je suis l'heureuse propriétaire d'un magnifique secours ventral, que je retourne installer aussitôt sur ma sellette, avant de replier...j'ai encore une heure de route et il est tard, et puis faut pas abuser des bonnes choses.
N'empêche, quel pied avant le sketch...