Hé bien voilà, je suis de retour dans l'Aube (10) pour le boulot. 10 heures de trajet par Gap et Grenoble, histoire de profiter encore un peu des magnifiques paysages. Le ciel n'était pas bleu mais gris hier donc pas trop de regrets mais le blues quand même...
Mes deux derniers vols furent brefs mais riches en émotions et enseignements.
Le premier au Granon, vent d'ouest calme sauf au déco (situé juste en-dessous des baraques militaires) : mes 4 compagnons étaient 4 deltas rencontrés la veille à Ceillac. On discute aérologie locale; ils attendent des conditions forcissantes. Moi non...
Sur le promontoire, à 7 mètres du bord du déco pas de vent et à 3 mètres c'est du 20-25.
Je m'installe après prévol, je m'avance dos voile, la voile monte bien et là une grosse bourrasque, la voile part sur la droite, j'arrête tout.
Devant mes 4 spectateurs attentifs et coopératifs, je n'en mène pas large...
Deuxième prévol, je m'avance avec plus de précautions, la voile gonfle bien, je lâche les avants, je commence à courir et là je suis éjecté à 3 mètres en arrière, la voile a soudainement pris tout le vent et m'a totalement arraché. Je suis passé sur la tête d'un delta et ai eu peur en essayant de me recentrer sur la voile, car je n'avais plus pied...
Ils m'aident à me réinstaller, une fille (toujours gentilles les filles
) me dit que ce n'est pas grave si je ne vole pas. Je lui dit :"encore une fois sinon j'arrête". Ils m'aident à me réinstaller et j'attends le calme. Je souffle bien, me concentre encore plus. J'aurais du faire du face voile mais je ne le maîtrise que sur la pente école (je sais quoi faire cet hiver... du gonflage face). Là vaut mieux faire ce que à quoi je suis habitué. Concentration extrême, je marche doucement, la voile se gonfle, je regarde la voile, temporise et la freine beaucoup plus fort que la fois précédente au cas où, je sens la portance et je cours et hop 3 mètres de course (après c'est le vide) et me voilà parti. Bien plus calme en l'air. Je ne prendrai pas assez d'altitude, mais planerai pendant 15 minutes, pas assez de hauteur pour rejoindre Serre Chevallier - ou trop d'émotions au déco - je décide d'atterrir près du petit lac pour ceux qui connaissent. Un peu plus qu'un plouf mais j'ai perdu beaucoup trop d'énergie et d'influx au décollage pour tenter l'atterro dans la vallée près de la route et des maisons, d'autant plus que va se poser le problème de remonter en faisant du stop...Je pose nickel sans indication de
et plie. Une gentille dame et sa fille me prennent en stop pour remonter ! On discute randonnée et parapente, boulot et vacances.
Je rejoins mes amis deltas qui attendent encore un peu qu'il y ait plus de vent. Ils ont vu que ça ne tenait pas dans la direction de la bergerie et changent leur plan de vol. J'en regarde deux partir et décide de finir mon été et mon 41° vol sera à Ceillac - dans une atmosphère plus tranquille. J'arrive vers 15h30. J'y découvre des gens qui viennent de poser, Sophie, Franck. Les conditions sont délicates et bizarres, ça dégueule et ça ne tient pas. Seuls 3 sont très hauts après avoir profité d'un beau cum.
Un parapentiste ferme près d'une combe et termine dans les arbres sans dommage. Je me dis que ce sera le dernier plouf tranquille pour finir en beauté. Je monte à pied (que c'est lourd un sac de parapente...). 25 minutes d'effort en compagnie de Pierre, co-pilote à Air France. 250 vols parapente à son actif mais il n'a jamais fait de cross. Arrivé au déco, je transpire, profite des rayons du soleil pour me mettre torse nu, faire sécher mon t-shirt trempé et discuter avec le parapentiste redescendu de l'arbre.
On observe le vent. La manche à air est bizarre : ils m'expliquent que c'est dû à un thermique juste devant le déco. On observe : c'est cyclique : rien, puis ça grossit, puis très fort et puis de nouveau calme. C'est impressionnant (et magiquement rigolo). Je décide d'observer et de comprendre, de minuter les passages. En plus il y a le vent météo au-dessus qui est du nord calme mais bien présente et la brise habituelle qui vient de la vallée, présente mais pas aussi régulière avec des fois rien du tout ! Ensuite le vent fait tourner la manche de 270°, selon Pierre cela semblerait être le vent qui rebondit sur la colline de droite et qui aurait provoqué la fermeture, le parapentiste étant sous le vent des arbres à gauche du déco vers la combe. Le malheureux parapentiste regarde et acquiesce en disant que c'est vrai, il n'a pas assez analysé l'aérologie de la journée et est allé trop loin sur la gauche du déco. Je m'aperçois qu'il y a les balises FFVL, les trois ou quatre sites météo et la météo hypra-locale que même les locaux ont parfois du mal à déchiffrer pour tirer partie des conditions du jour. Monter, descendre, plouf, cross, tout dépend d'un bout de brise, de vent, de thermique et d'une analyse hyper précise de ce qui peut se passer à l'instant T. AU bout d'une trentaine de minutes, Pierre range sa voile. Trop compliqué pour lui, il préfère rentrer d'autant plus que le parapentiste qui a fermé vient de décoller, monter de 5 mètres puis encore de 20 mètres en quelques secondes devant nous. L'ascenseur est bien là !
Puis il a eu de la peine à redescendre, se faisant secouer à une dizaine de mètres de l'atterro en ratant le champ et en traversant la route entre deux voitures qui heureusement ne roulaient pas vite et l'avaient vu. Pour ma part, je me dis que mon dernier vol sera juste un plouf et me prépare tranquillement, pensant que le temps jouait en ma faveur. Passé 17h, ce sera plus calme. J'ai le temps. Je suis seul sur le déco. Je savoure ces derniers instants de mon dernier plouf qui doit conclure une tranche de vie entamée début août avec un stage init à Haut les Mains, deux stages perfs, l'achat (non prévu) d'un ensemble voile, sellette, secours, mon premier vol en autonomie, mes premières frayeurs, mon premier vachage, premier arbre, les posts sur ce forum qui m'ont valu des commentaires allant de très sympas à franchement désagréables voire hostiles et déplaisants
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Les conseils de prudence légitimes des plus expérimentés, les gens rencontrés en vrai si cools et si passionnés, admiratifs de ce que je pouvais produire et faire, au bout de 30-40 vols, partir sur des décos et atterros inconnus à des dizaines de kms, seul, avec ma petite voile, mes espoirs, ma maigre expérience (mais grandissante à chaque vol car jamais identiques), ma foi et ma confiance, mon mental peu altéré par les différentes discussions, critiques, expériences vues et vécues. Je sais que la vie est fragile et celle d'un parapentiste au bout de ses suspentes encore plus fragile. On ne joue pas avec la Nature, on ne défie pas les vents, on ne tire pas sur la corde raide, tous ces adages et conseils rappelés par Carole
(je te suis infiniment reconnaissant de me transmettre ta passion et tes conseils de prudence patiemment distillés et... intégrés
) tu es un ange !
Me voici seul vers 17h30, l'esprit traversé par tous ce moment forts. Je ne connaissais pas le parapente début août et me voilà là la voile étalée, la prévol effectué 3 fois pour plus de prudence, je veux que le dernier vol de septembre soit beau, bon et tranquille (enfin pas trop quand même) en tout cas je veux atterrir en toute sécurité. L'ombre s'étend sur l'atterro, la manche à air continue de valser doucement à 270 degrés. j'ai intégré ses changements d'humeur. Je regarde le ciel si accueillant, des nuages qui s'étirent au milieu du bleu du sud, les montagnes majestueuses avec quelques plaques de neige, les sapins - mes amis. Je ne reverrai pas ces paysages avant un bon mois. Il faut que ce dernier vol ait lieu, je ne reculerai pas, dussé-je attendre la douce brise du soir et la longue accalmie des vents qui vont nécessairement se coucher. Je sais que je vais atterrir à l'ombre mais que va-t-il se passer durant le vol ? Je regarde les limites que je me suis fixé : rester entre l'arête de droite et ne pas aller sous le vent des arbres à gauche, profiter du thermique devant et voir ce que cela va donner, faire attention en redescendant à la possible inversion de brise. Le ciel est calme, je souffle profondément, je remercie Dieu de me donner ces moments si incroyables : le ciel pour moi tout seul face à ce que je dois faire. Le village en bas s'allume avec la nuit qui tombe. Je branche la GoPro, l'ati-vario, la radio, je vérifie une dernière fois les suspentes, les possibles clés, mes attaches. C'est bon, je pars. Je me rappelle ce qui m'est arrivé ce matin au Granon. Différent ce soir mais c'est après que je verrai...La voile monte lentement, je la stabilise tranquillement, la regarde avec tendresse, 3 secondes au-dessus de ma tête, aucune clé, aucune cravate, tout est en place. C'est la première fois que je stabilise la voile au-dessus de ma tête aussi longtemps, elle semble me dire qu'elle est prête à voler, je suis prêt aussi, je cours et m'envole. Le thermique est toujours là devant, je monte instantanément. Thermique ou pas car cela cesse au bout de 15 mètres, je prends néanmoins de l'altitude et je commence mes essuie-glaces en restant sur mon plan de vol, je ne retrouve pas le thermique au-dessus du déco, c'était peut-être juste du dynamique. Je suis vite à plus de 100m au-dessus et là commence un combat intense entre les dégueulantes, les remontées, le vent météo, la brise. ce n'est pas un rodéo comme j'ai pu le ressentir il y a quelques jours avec la sellette qui se cabre, non des turbulences sans arrêt genre rodéo sur une vache énervée et non un cheval fougueux, mais un rodéo qui ne laisse pas de répit. Que c'est bon de se battre, de monter, de descendre, des sensations devenues familières. Un coup à 120m, un coup à 80. Je savais ce qui allait m'attendre. Pas de gros pic mais des ondulations incessantes comme une barque sur une mer agitée mais jamais dangereuse.
J'essaie de retrouver les ascendances des jours précédents mais elles n'y sont pas, elles sont ailleurs, je les trouve mais je redescends aussi brusquement, je resserre les virages pour tenter le coeur de l'ascendance, le vario m'indique des pics à +3 fréquemment, je le sens, c'est là mais je n'arrive pas à y rester. Je reste stable en moyenne à 120 mètres, je cherche mais ne trouve plus, je repars dans le combat mais sans grimper. je regarde le chrono, 20 minutes. Finalement, cela aura été plus qu'un gentil plouf, un beau vol agité, qui génère des sensations nouvelles et qui accroît mon expérience. Je suis plus que satisfait, je décide d'abandonner les armes, car je ne monterai pas plus haut et me battre encore pendant des minutes pour pas grand chose ne me dit rien, je préfère rester intact émotionnellement, et lucide pour le dernier atterrissage de septembre car je sais que cela ne sera pas si facile. Donc je sors du ring et prends mes branches de lunettes entre les dents car la pénombre est trop grande. Je n'ose pas lâcher une commande car ça bouge trop. Ca fera un défi supplémentaire : ne pas desserrer les dents !!
Je peine contre la brise d'ouest, je tangue, ça secoue; cisaillements ou pas, je mobilise tout mon esprit pour rester au contact et essayer de stabiliser la voile quand elle fait des siennes, j'essaie de me détendre, de souffler profondément, de me caler sur la sellette et sentir les appuis dorsaux pour stabiliser l'ensemble. Je surveille mon point d'aboutissement, je voie ma voiture qui m'attend dans la pénombre. PTU ou S, tout est bon pour perdre de l'altitude, ne pas se laisser dériver, rester dans le cône d'approche. Je me fais encore secouer à une dizaine de mètres puis face au vent, le calme plat, je descends face au vent, vitesse max, puis je commence à freiner, super, je freine tout et touche le sol des pieds, je cours, je veux aller vers la voiture comme les bons avec la voile sur la tête, je relève trop les bras et là paf, la vile passe devant moi dans un grand bruit; tant pis. Je saurai la prochaine fois !!
Mais quel bon dernier vol, le 41° dans le sud.
J'ai encore appris, j'ai encore ressenti, je sais que j'aime me battre, je sais que je suis fait pour ces combats où ça bouge sans arrêt. Que c'est bon le parapente. Je sais que tout ce que j'ai vécu intensément, y compris mes incidents n'avaient qu'un but : me faire aimer le parapente dans ses formes les plus diverses, l'aventure, me mettre du plomb dans la tête. Je suis fait pour aller de l'avant, foncer avec précaution, apprendre avec avidité. Je sais que je suis doué pour ce sport et les incidents m'ont appris à respecter les limites (distance avec les obstacles) et dame Nature. Tout en repliant très soigneusement la voile (je ne sais pas combien de temps elle restera enfermée dans son sac) et en y mettant tout l'amour que j'ai pour ce sport, je me suis encore retourné sur le soleil qui laissait son empreinte sur les montagnes, le vent qui était dans mes oreilles quelques minutes auparavant. Merci mon Dieu de m'avoir fait découvrir ce sport, ses dangers et sa beauté. l'an prochain, c'est sûr un CIV (avec toi Carole !), et mes premières ascensions au-dessus des sommets, pour faire mes premiers cross. J'ai tout l'hiver pour faire du gonflage, voler dans l'est de la France dans les rares journées avec le bon vent et sans pluie...Ma confiance et mon mental sont au plus hauts, sachant que le plus grand danger vient de moi. Sachant cela je sais que ma progression sera encore meilleure. Moi qui avait peur début août de me lancer dans le vide en me demandant ce qui allait pouvoir me tenir en l'air, deux mois plus tard, j'ai tellement appris, tellement vécu que j'attends avec impatience de découvrir d'autres joies, d'autres sommets, d'autres intensités.