Buck Danny
Invité
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« le: 23 Décembre 2020 - 09:56:32 » |
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La radio lui donne les nouvelles pendant qu'il se rase. Attention se dit-il, « faut pas oublier le petit creux entre le menton et la lèvre ». Opération réussie, sans coupure. « Et hop », passage à la douche. Il n'entend pas très bien les actus alors que l'eau chaude le masse délicieusement. Ce matin il essaie un nouveau shampoing qu'il a trouvé sur l'étagère « parfums » du petit bazar oriental qui vient d'ouvrir en bas de chez lui. Le flacon n'est pas en vulgaire plastique. C'est une élégante bouteille en verre fumé, ou est-ce plutôt le produit à l'intérieur qui lui donne cette jolie couleur ambrée ?; la forme n'est pas commune ; le bouchon ressemble à un faucon très stylisé. Le bulletin météo lui arrive par bribes, mais il n'écoute plus ; il ouvre ce qui maintenant lui fait penser à une amphore en modèle réduit, et verse quelques gouttes dans le creux de la main. Un délicat parfum qu'il tente d'analyser lui procure un bien être immédiat. « Cèdre, Santal, et quoi d'autre ?» se dit-il pendant qu'il se frotte l'épaule. Des étincelles s'échappent sous ses doigts. Ce ne sont pas de petites flammes, ce serait plutôt un nuage diffus de minuscules gouttes multicolores qui dansent autour de lui. Il n'entend plus la radio, mais une mélodie aux accords inconnus envahit son esprit, et il se met à chanter. L'ensemble des danseuses arc en ciel qui l'environne tire le rideau qui le coupait du monde, et lui ouvre les yeux.
Il voit tellement loin, et de tellement haut. Ses ailes sont déployées, le ciel est clair. Les rues de la ville défilent sous son regard alors que le vent l'entraîne vers l'ouest. Là bas, de vastes dunes forment un océan doré qui ne finit pas. Il plane, et son chant l'accompagne. Soudain un écho lui parvient faiblement, comme une vibration de ses plumes sensibles au moindre souffle de l'air, et son chœur bat plus fort. Il tourne alors la tête en direction de ce qui n'est encore qu'un faible murmure, et sans effort, il amorce une glissade qui dessine un arc parfait au dessus du fleuve qui traverse la cité immense. Son virage l'a mené plus bas. Il perçoit le bruit des quartiers animés, des rythmes qu'il ne connaît pas, mais il se dirige vers ce qui résonne en lui comme un appel. Au dessus de la colline et des nombreux palmiers qui se dessinent à son approche, il voit très distinctement celle qu'il attend depuis toujours. « Quelle silhouette harmonieuse, quelles merveilleuses arabesques dessine-t-elle dans cet air si doux ; c'est bien elle qui joint sa voix à la mienne ». Comment pourrait-il résister ? Leurs ailes se referment et dans un piqué vertigineux, ils amorcent tous deux le début d'une danse que seuls les anciens du désert savent interpréter. Les figures s'enchaînent alors que le soleil commence à décliner. Ils se frôlent, puis s'éloignent soudain, et se rapprochent à nouveau, plume contre plume. Malgré la vitesse, il a tout le temps de se noyer dans ses beaux yeux mauves. Elle lui sourit, et il ne sent plus rien d'autre que l'harmattan qui les porte tous deux dans la douceur du soir. Ils s'abandonnent enfin en un paisible final, glissé le long du dernier rayon de lumière.
Dans la nuit profonde et sans lune, le bédouin ne voit plus devant lui que le feu qui crépite. Les flammes, le parfum du bois brûlé et les quelques braises qui craquent en dispersant leurs éclats lumineux lui rappellent un lointain souvenir, qu'il n'arrive pas à définir. Il porte à ces lèvres une tasse de thé chaud. Il ferme les yeux, la menthe et le sucre le réconfortent puissamment. La journée n'a pas été facile. Son faucon n'est pas revenu. il l'aime comme s'il était un fils, et le traite bien. Son âme est en peine, mais c'est le jour du prophète : il sait que si l'Harmattan se lève sans amener de poussières, alors la légende raconte que le faucon peut disparaître, voyageant si loin que ni le temps ni l'espace ne peuvent le contraindre. Il espère que son faucon reviendra, et pour l'aider dans sa prière, il occupe ses mains à remplir de sable un petit vase qu'il ferme avec un capuchon sculpté.
A des milliers de lieues de l'oasis et de cette époque lointaine, une radio s'essouffle dans la salle de bains. Un homme sort de la douche, les yeux encore fatigués, mais souriant. Il fredonne maladroitement « Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent, Il attends qu'elle se réveille et qu'elle se lève enfin. Il veut lui permettre de déjeuner en paix, déjeuner en paix ». Il la rejoint et son incroyable regard mauve l'invite à lever les yeux vers les montagnes toutes proches. Leurs sacs sont bouclés. La journée sera belle.
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