Après quelques "petits boulots" plus ou moins bien payés, notamment quand je travaillais aux Arcs lors de la construction de la station, j'ai eu un poste de prof à la rentrée 1972.
Au début, ce fut un vrai bonheur, avec des enfants adorables et bien élevés, des parents sympas et une administration qui me foutait la paix.
Avec le temps, cela se dégrada peu à peu : les enfants n'étaient plus les mêmes, ils n'étaient plus correctement socialisés et certains étaient carrément de futurs gangsters, mais je faisais avec et le boulot restait sympa...
Cela changea brutalement à la rentrée 1992 quand l'équipe de direction partit en retraite, ceux qui lui succédèrent s'avérèrent rapidement (je les connaissais déjà) complètement incompétents, et ce fut le bordel.
Je partais de chez moi à reculons et je quittais le bahut en cavalant, assurer dans des conditions aussi moisies un service public de qualité me bouffait complètement mais je n'ai jamais cédé et jamais séché une seule heure de cours.
Le Service Public, c'est aussi ça.
Avec le temps et l'usure, je finis par demander une mutation pour Paris intra-muros, après avoir passé 18ans dans le même bahut "ZEP / sensible" et je retrouvai le bonheur de travailler correctement avec un public agréable, bien que dans un des deux lycées les plus "difficiles" de Paris, ceux dans lesquels il y avait toujours 100% de grévistes quand il fallait dire NON.
On me mit au placard à la rentrée 2004 d'une façon tout à fait illégale et discriminatoire mais cela me protégea de quantités de tracas pendant les 4 années qui me séparaient de la retraite.
Avec le recul, la DRH du rectorat eut raison de me mettre au placard, officiellement "en mission".
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Paradoxalement, mes souvenirs les plus forts furent liés au conflit ouvert avec ma direction dans les années 1992-97. Après une phase conciliatrice - ce n'était pas trop dans mon caractère, je pris le dessus en exploitant les fautes de l'adversaire et en le poussant à commettre d'autres fautes, la plus grave fut de me faire convoquer par le Recteur en personne... que je mis sans mal dans ma poche parce que je n'avais jamais commis la moindre erreur qui pût m'être reprochée.
Quelle rigolade avec le Recteur ! Dialogue :
- Bon, on ne vous mutera pas. En quels termes êtes-vous avec votre direction ?
- Exécrables.
- Je l'avais compris. Vous pouvez préciser ?
- Quand son incompétence - que vous connaissez - s'est heurtée à mon sens du Service Public (que vous avez sans doute senti) cela a fait des étincelles et elle a mis le pavillon rouge au mât d'artimon.
- Ce qui signifie ?
- Au temps de la flibuste, cela signifiait "combat à mort, pas de prisonniers".
Là il se marra, j'avais gagné. Nous bavardâmes ensuite de choses et d'autres, très loin d'une relation hiérarchique que ma direction imaginait pour me châtier de lui tenir tête.
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Je me suis aussi bagarrée plusieurs fois avec des inspecteurs qui m'emmerdaient, c'était mauvais pour mon avancement mais je m'en foutais. D'autres inspecteurs furent enthousiasmés par mon travail, c'était sympa mais je m'en foutais aussi : je ne bossais pas comme ça spécialement pour eux mais pour mes élèves.
Je n'ai JAMAIS adhéré à un syndicat ni à un parti politique. Brassens chantait "bande à part sacrebleu c'est ma règle et j'y tiens".
Cela aurait sans doute été différent dans une entreprise face à des "petits chefs" cons et sournois.
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Aucun inspecteur ne put jamais me prendre en défaut ni me faire flipper : j'avais fait mes armes à l'armée face à des officiers qui pouvaient me causer pas mal d'ennuis mais j'avais toujours su ne pas courber la tête. Après tout ces mecs-là, avec tous leurs galons, se grattaient les couilles le matin en allant pisser, ils chiaient comme tout le monde, leurs bonnes femmes les engueulaient, il n'y avait aucune raison de flipper devant eux.
Ce fut ainsi dès mon incorporation, dans le bureau du pitaine :
- Vous avez 25ans, je vous affecte au PEG (peloton d'élèves gradés)
- NON, refus catégorique.
- Quoi ? (étonné qu'un bleu ose le contrarier)
- Simple, mon capitaine. J'ai refusé de faire les EOR (écoles d'officiers de réserve) et de finir sous-lieutenant, ce n'est pas pour finir caporal. Je n'ai jamais été capable d'obéir à un ordre et ma mère me tapait dessus, au lycée je passais mes samedis en colle, à l'armée on me mettra au trou. Ne sachant pas obéir, je serais incapable de commander.
- Oui, évidemment... vous avez un souhait ?
- Les éclaireurs, si possible, le reste ne m'intéresse pas.
- Vous avez des dispositions ?
- Retournez-vous mon capitaine : vous voyez cette magnifique photo des Grandes Jorasses derrière vous, et le puissant éperon qui descend du sommet... je l'ai fait l'été dernier, dans la journée. A part ça, je skie à un très bon niveau en toutes neiges, je suis increvable et je me présenterai à l'ENSA en revenant à la vie civile.
C'était un mec intelligent, je lui avais parlé franchement comme à un mec intelligent et il m'affecta à la section d'éclaireurs.
Plus tard, encore bleu, je fis connaissance avec l'adjoint du chef de corps (dans sa jeep, en tant que radio-bataillon). C'est long en convoi de Grenoble à Canjuers par la route Napoléon, et entre deux messages radio nous avions discuté de tas de choses, le bonhomme était cultivé et nous avions vraiment sympathisé.
Cela me fut très utile plus tard, quand je passai devant lui pour prendre du trou : non seulement j'eus le minimum mais il me muta dans ma compagnie d'origine, qu'on m'avait fait quitter pour des raisons disciplinaires. Au-delà des paroles réglementaires, l'échange de regards avait été essentiel.
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Ce que je pus faire à l'armée, parce que je ne risquais rien, ou face à la direction de mon bahut parce que j'étais intouchable, aurait été beaucoup plus difficile voire impossible dans une entreprise privée. Si je n'avais pas obtenu un poste de prof à la rentrées 1972, je serais partie au Canada pour travailler sur les chantiers de la baie James, très avantagée par mon endurance au froid... et au lieu de grimper dans les Alpes j'aurais grimpé dans les Rocheuses.
Et je n'emmerderais pas les gens qui ne savent pas écrire en leur infligeant ma prose.
et
mon Pierrot