L'Europe dans laquelle nous vivons est à peine plus évoluée que celle qu'on pouvait espérer des accords de Locarno entre Aristide Briand et Gustav Stresemann, et ce ne sont pas les tenants de l'esperanto qui diront le contraire.
Ce n'est pas MON EUROPE et je serai dans le trou depuis des lustres quand elle se fera, je n'y crois plus.
L'Europe actuelle est issue du Benelux, auquel se rattachèrent la France, l'Allemagne et l'Italie pour former la
CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier). Cette structure évolua en
Marché Commun avec le traité de Rome, à l'époque nous étions 6 et le système était déjà vicié : ce n'était pas une grande Nation qui avait été fondée, ce n'était qu'une association d'intérêts économiques.
Le principal ver dans le fruit s'appelait DeGaulle et tous les échecs actuels dérivent de sa connerie épaisse de nationaliste franchouillard, en commençant par son torpillage de la CED (Communauté Européenne de Défense).
DeGaulle voulait jouer dans la cour des grands et construire la bombe atomique, les recherches ayant été impulsées bien avant qu'il ne revînt au pouvoir en 1958, en 1954 durant le bref gouvernement de Pierre Mendes-France.
La CED fut torpillée de l'intérieur de la France par le RPF de DeGaulle, allié là aussi au PCF. La France ne pouvait pas fonctionner avec des dinosaures comme ça, et sans la France l'Europe ne pouvait pas avancer.
Elle avança donc quand même, mais dans le sens qui lui était imposé par son boulet.
Une "Europe" comme ça, conglomérat à desseins économiques, intéressait beaucoup les Anglais, cheval de Troie de l'Amérique.
Vous vous rappelez le "Kennedy round" ?
Ce fut une négociation internationale, impulsée par le gouvernement Kennedy, qui jeta les bases de la mondialisation, en clair de la prise de contrôle de l'économie mondiale par les financiers, notamment américains.
On y retrouva évidemment les "Chicago boys" en fer de lance idéologique.
Pour en savoir plus, reportez-vous au formidable bouquin de Naomi Klein "La stratégie du choc" / montée d'un capitalisme du désastre.
L'époque était à la guerre froide et l'URSS de Brejnev déstabilisait divers pays, avec d'un côté une vieille tradition de la Russie tsariste pleine de fantasmes qui louchait sur l'Afghanistan et l'Ethiopie, de l'autre un expansionnisme impérialiste qui utilisa la Révolution cubaine et ses conséquences en Amérique centrale.
L'Europe était verrouillée par un rideau de fer qui la traversait de la Baltique à la Méditerranée, un héritage lourd de la paranoïa criminelle de Staline.
A l'Ouest, les partis "communistes" tiraient à boulets rouges contre toute structure supranationale, non parce que cela aurait nui à leurs pays mais parce que cela nuisait au "grand frère".
Avec d'un côté les nationalistes de la droite classique dite "bonapartiste" et de l'autre les souverainistes hypocrites d'une fausse gauche qui tapinait sur le trottoir de droite, cela faisait un peu partout des oppositions "souverainistes" à la grande idée européenne.
Les cadavres de Briand et de Stresemann ne bougeaient plus et leurs os étaient bien secs, Jean Monnet et Robert Schuman avaient devant eux un mur infranchissable.
Le Marché Commun tenta de contourner ce mur nationaliste en suscitant des accords économiques et donc une structure aussi peu polotique que possible.
DeGaulle connaissait bien la mentalité des Anglais mais il connaissait surtout celle qu'il avait rencontrée à Londres en 1940-1942, il savait quand même que les Anglais sont bien plus imprégnés de tradition et d'immobilisme que les Français ou les Allemands et donc qu'il ne fallait surtout pas leur permettre d'entrer dans le Marché Commun, qu'ils allaient immanquablement pourrir de l'intérieur après l'avoir constamment et sournoisement attaqué de l'extérieur.
Le Vieux rendit son tablier, poussé vers la sortie (et vers la tombe) par le formidable élan de Mai-68 à gauche, et par les affairistes à droite qui voulaient donner du jeu au carcan qui les étranglait. C'est le gros facho infect qui lui succéda qui fit entrer les Anglais dans l'Europe de l'époque.
Cela alla à peu près bien au début, puis arriva une autre grosse facho infecte, Thatcher, que j'ai surnommée "la Dame au coeur de fer", en référence à Heydrich, "l'homme au coeur de fer" comme l'appelèrent ses collègues après son élimination en mai 42 par les résistants Jan Kubis et Jozef Gabcik.
L'époque était différente, le contexte était différent, mais Thatcher appliqua stricto senso les idées économiques de Friedrich Hayek, qu'elle appréciait beaucoup, qui avaient été réfutées dans les années 30 par Hjalmar Schacht (qui n'était pas nazi et avait quitté le gouvernement en 37).
Schacht était un homme moderne et un Européen de culture, Hayek allait trop loin en prônant une économie politique plus dévastatrice qu'une guerre.
Emigré aux USA, Hayek enseigna à Chicago et forma un certain Milton Friedman à ses vues, lequel forma à son tour toute une école de "pensée" économique, très en phase avec les mentalités américaines les plus réactionnaires.
Aucun fait n'est isolé en Histoire, tout se tient, et on ne peut pas comprendre la politique - qui est l'Histoire en train de se faire - si on ne connaît pas l'Histoire telle qu'elle s'est faite au fil des siècles.
Thatcher fit plonger le Royaume Uni dans une épouvantable débâcle économique, un vrai "capitalisme du désastre", et les Anglais par millions sous le seuil de pauvreté. L'Angleterre fut sauvée par le pétrole de la mer du Nord et Thatcher par la guerre des Malouines, qui souda provisoirement toute la nation autour du gouvernement.
Quant à l'Europe, elle était dans la merde.
Giscard et Schmidt s'étaient bien entendu pour faire avancer le schmilblick (DeGaulle aurait dit "le machin" comme il disait de l'ONU), ils initièrent l'axe franco-allemand et l'ECU (Unité de Compte Européenne), ancêtre de l'euro. Après eux, Mitterrand et Kohl continuèrent dans cette voie et aboutirent au traité de Maastricht qui fondait l'euro et allait déboucher sue les accords de Schengen.
C'est pour dire OUI lors de ce referendum que je m'inscrivis sur la liste électorale, jusque-là mon tempérament fondamentalement anarchiste refusait de participer à ces mascarades qu'on appelle des élections.
La même vota évidemment NON au referendum qui repoussa en 2005 l'ignoble texte se disant "constitutionnel" et qui n'était qu'un ramassis de considérations économiques plus ou moins liberticides.
Une constitution, ce n'est pas ça.
Un traité refusé par referendum et qui a été modifié par quelques détails, dont son nom (traité de Lisbenne) ne peut être approuvé ou rejeté que par un referendum, mais Sarko le fit "passer" subrepticement par la voie parlementaire. On ne pouvait pas espérer mieux d'un lascar de ce calibre ni de députés "godillots" aux ordres comme dans toutes les dictatures.
La démocratie ce n'est pas ça.
Mon éveil au sentiment européen m'a été insufflé en 1964 par mon prof d'allemand, un type fabuleux qui savait faire passer ses élèves au-delà des rancunes liées aux 3 guerres franco-allemandes, qui savait faire aimer cette langue magnifique, cette littérature somptueuse et qui nous faisait aimer des poètes comme Heine, Novalis et Rilke.
Lors de mon premier séjour en Allemagne, l'été 1964, je découvris avec bonheur que de l'autre côté du Rhin les gens étaient comme mon prof les présentait, bien plus ouverts et fraternels que chez nous, et je quittai à regret ce pays que je commençais à aimer à peine l'avais-je découvert. Pour mon année de terminale, il n'y avait qu'une seule langue. Je fis des pieds et des mains pour inverser et continuer à étudier l'allemand avec ce prof merveilleux, tout en suivant en parallèle des cours d'anglais pour rester dans le coup.
Le bac fut une formalité et l'été 1965 me revit en Allemagne pour 3 semaines.
Tous les jeunes rencontrés Outre-Rhin à cette époque avaient été bien plus meurtris que nous par les conséquences de la guerre, par la misère épouvantable des survivants dans un pays dévasté, il n'était pas surprenant que leur sentiment européen fût bien plus fort que le nôtre.
Il était en tout cas aussi fort que le mien.
J'ai beaucoup séjourné en Allemagne, j'y ai des amis depuis des années à qui je rends visite régulièrement, j'ai couché avec je ne sais combien de filles et bu des bières avec je ne sais combien de garçons, je suis à peu près convaincue que si deux pays aussi proches culturellement que la France et l'Allemagne décidaient de fusionner en un seul, cela donnerait un formidable élan à l'Europe des peuples, qui est presque faite dans les mentalités mais qui est dévoyée par les politiciens et les financiers... et en arrière plan par les Anglais.
J'entendais hier à la radio (je n'ai pas de télé) un jeune de 25 ans, président des Jeunes Socialistes. Je n'ai pas retenu son nom mais j'ai été frappée par la ressemblance très étroite de ses propos avec mes idées sur l'Europe, que je partage avec quasiment tous les gens avec qui j'ai échangé de Londres (en dehors des Anglais) à Prague et de Stockholm à Seville.
Il y a 50ans les jeunes - dont j'étais - tenaient déjà ce discours, plein d'enthousiasme et ouvert sur l'avenir. Dans 50 ans mes os seront bien secs et ce jeune sera un vieux débris droitisé par le Temps.
Je ne suis plus du tout optimiste, tant est pertinent le proverbe russe qui dit qu'un optimiste est un pessimiste mal informé.
Je ne crois plus à rien et cela ne s'arrangera pas avec l'âge.
J'espère quand même que le referendum anglais au sujet du Brexit nous libérera du chancre anglais, je n'y crois pas non plus et si cela se produit ce sera une "divine surprise".
L'Europe entre guillemets dans laquelle nous vivons n'a pas de gueule, je ne lui vois pas d'autre avenir qu'une implosion, et je compte sur le Brexit pour initialiser le cataclysme. L'Europe des peuples par contre est bien vivante et le sentiment européen est fort mais pour qu'il s'impose enfin il faudrait une implosion - révolution - reconstruction.
Ce n'est pas demain que nos passeports porteront la mention "nationalité européenne".
Merci de m'avoir lue.
Il est 5h du matin et je n'ai pas le courage de tout relire en détail pour corriger ici ou là une éventuelle faute de frappe.
(la bière, c'est l'huile dans la mécanique des peuples)