En lisant ce qui suit sur un autre fil (gilets jaunes) j'ai eu envie de vous faire part de mon point de vue sur les "banlieues" ayant grandi dans l'une d'elles.
"On" évoque parfois des ghettos... mais quand ces cités furent construites, les communes y logèrent toutes sortes de gens et c'était souvent très convivial... puis arrivèrent des gens pas comme les autres qui mirent une sale ambiance et dégradèrent les locaux, cassèrent ce qu'ils pouvaient casser et ceux qui avaient le choix partirent ailleurs... remplacés par d'autres gens aussi nuisibles, et de fil en aiguille se formèrent les "ghettos" en question.
Je ne connais pas la banlieue que tu décris, en revanche je connais très bien celle de la Villeneuve de Grenoble (depuis tristement célèbre) que j'ai vu naître et je nuancerais assez nettement les propos ci dessus quand à la responsabilité de la "ghettoïsation".
La villeneuve dans les années 70 c'est au final, un quartier de pas loin de 30000 habitants (à l'époque la taille de la préfecture de Valence) dont 80% d'origine étrangère, concentrés dans un ensemble d'immeubles, et imaginée à l'image d'une ville piétonne avec, commerces, marchés, snack de quartier (qui accueille aussi bien les collégiens que les retraités et le public lambda et à des prix abordables par tous), centre culturel (médiathèque/ludothèque), 2 salles de spectacles, 2 gymnases très bien équipés (avec plusieurs salles chacun et proposant une palette de sport étonnante), 7 écoles primaires et un collège (rasé et reconstruit depuis), la première TV câblée de france, des studios de montage vidéo et son, des labos photos, des atelier de tissages, de poteries (le tout équipé pro), une piscine, et surtout une volonté sociale très forte avec une cohorte d'animateurs sociaux, d'éducateurs de rue et d'assistantes sociales.
Petite précision mais de taille,
tous les équipements décrits plus haut étaient à l'entière disposition des habitants, de mon pote Salah à moi en passant par les vieux du quartier, bref une vraie tv du peuple (au sens noble du mot).
Chacun avait démocratiquement accès à tous ces équipements, et pour les activités payantes, toutes étaient indexées sur le quotient familial afin d'être accessible, non pas au plus grand nombre, mais à tous.
Mais la Villeneuve ne fût pas construite comme tant d'autres complexes pour loger en urgence des gens comme dans bien des lieux, c'était un vrai projet de société différente, et une expérience réelle et très innovante.
La mixité sociale "pour de vrai", grandeur nature, avec une volonté dès l'école maternelle (les écoles étaient toutes expérimentales au sein de l'éducation nationale avec des enseignants volontaires et désireux de changer en profondeur la pédagogie en vigueur à l'époque) de former des citoyens solidaires et respectueux les uns des autres.
La distribution des logements mélangeait volontairement ceux qui achetaient leur appartement (une minorité) et ceux qui bénéficiaient de logement sociaux avec des appartements tous aussi bien équipés.
Je ne tomberais pas dans l'angélisme béat en disant que tous se passait super bien, on ne concentre pas autant d'humains sans que cela ne suscite des problèmes, mais comparé à la situation de bien des quartiers de l'époque et à fortiori, à l'état actuel des banlieues, nous baignions dans des rapports ouverts, partagés, responsables et très conviviaux et ce malgré (ou à cause?) d'un niveau social global plutôt très bas.
Le niveau scolaire en entrée de 6ème (grâce à des méthodes scolaires d'où, entre autres, la compétition et les notes avaient disparues et où on promulguait l'entraide entre élèves plutôt que la compétition, et oui déjà à l'époque) ferait pâlir toutes les statistiques de taux de réussite, et rares ceux qui décrochaient, y compris parmi ceux qui ne parlaient pas la même langue que leur parents à la maison.
Et pour les rares qui peinaient à suivre il y avait, au sein du collège, une section qui leur étaient spécialement dédiée avec des effectifs plus réduits pour leur permettre souvent avec succès de raccrocher les wagons.
Les valeurs que l'on nous communiquait étaient : solidarité, partage, respect des autres, responsabilité, libre arbitre, et pour partie collectivité.
Il y avait également des cours d'arabe au collège, pour permettre à certains de recoller le puzzle familial en parlant la même langue que leur parents à la maison, et ça marchait plutôt pas mal.
Coté religion, il n'y avait ni église, ni mosquée ni temple, mais une salle commune, partagée (avec un planning bien sûr) mais qui pouvait tout aussi bien servir pour les meetings politiques, ou pour des campagnes d'informations sanitaires, et cela se passait très très bien. Encore et toujours cette idée du partage et de la convivialité (au sens "vivre ensemble"). Il ne s'agissait aucunement de nier les différences ou d'ostraciser tel ou tel, mais bien de faire en sorte que tout cela puisse partager le même territoire quotidien, quelque soient sa religion ou ses opinions politiques.
Pendant des années sous la gouvernance de Hubert Dubedout, et même si le rectorat avait déjà décidé de saboter l'expérience éducative en instillant des enseignants non volontaires, qui se détachèrent totalement de tout le travail pédagogique mis en place au fil des années par leur prédécesseurs, la Villeneuve malgré les difficultés inhérentes à cette concentration d'humains était un endroit où il faisait bon vivre et un paradis pour les enfants que nous étions toutes origines confondues.
Certes il y avait déjà de la violence par moments et quelques individus à éviter, mais pas plus que dans n'importe quel autre groupe de 30000 personnes.
Globalement le climat social était plutôt détendu et convivial (au sens propre du terme).
Puis la gauche grenobloise aux municipales de 83, désireuse de mettre Dubedout en ballotage a préféré aller skier qu'aller voter... Du coup l'immonde et malhonnête Carignon fût élu dès le 1er tour.
Du jour au lendemain il supprima nombre de subventions, quasi tous les postes d'éducateurs et d'animateurs.
Les équipements culturels et sportifs, furent réservé à certains et non plus en "libre service" bref l'expérience sociale en passe de réussir fût tout simplement sabordée.
La Villeneuve créait des gens à qui on avait expliqué qu'ils devaient être des acteurs responsables à part entière avec leur libre arbitre, mais beaucoup s'appelant Mohamed ou José ou Boubakar, bref n'étant pas de "souche" ou d'extraction sociale qui d'ordinaire autorise ce genre de comportement, cela devint vite génant et il devint urgent de tuer dans l'oeuf ce début de vie en mixité sociale plutôt réussie.
Dès lors la Villeneuve devint assez rapidement le ghetto qu'on connait aujourd'hui jusqu'à atteindre des paroxysmes dans la violence et la délinquance et pour devenir une zone de non droit.
Cette même Villeneuve où enfant nous jouissions d'une totale liberté dans les espaces verts jour et nuit, sans auto (le quartier était globalement piéton) avec des potes de pleins de nationalité différentes est devenu un infâme coupe gorge où il vaut mieux être prudent la nuit.
Tout ça pour dire qu'en l'occurrence ce ne sont pas de "nouveaux arrivant qui n'étaient pas comme les autres" qui ont pourri cette expérience extraordinairement moderne et réussie et qui sonnèrent l'hallali de ce quartier mais bien des volontés politiques de créer un ghetto et d'y maintenir dans un état d'exclusion sociale des milliers de personnes. La mixité sociale (et ethnique) c'est bien, mais pas chez nous!
Manquerait plus que les prolos et les immigrés ouvrent leur gueule! Et puis quoi encore ?!
Alors bien sûr ça coutait un "max de pognon" mais la paix sociale et ces fameuses Égalité et Fraternité qui ornent nos fronton ne sont elles pas à ce prix?
C'est précisément à ça que doivent servir les impôts, développer une société ou la valeur principale devrait être le vivre ensemble et où chacun, qu'il s'appelle Patrick ou Mouloud, a les mêmes chances de "réussir", et non une société qui creuse toujours plus les inégalités et les clivages qui en découlent.
Les politiques ont volontairement "ghettoïsé" pendant des décennies toute une partie de la France et de ses citoyens, ils l'ont fait en toute connaissance de cause, tant sur les conditions que sur les conséquences.
Les violences urbaines, les nuits d'émeutes et le climat insurrectionnel que l'on peut connaitre aujourd'hui, tout cela était non seulement prévisible mais annoncé par pas mal de gens (dont je fais partie) depuis des décennies .
Quand on crée sciemment des inégalités on peut se douter qu'à un moment ou un autre les laissés pour compte vont réagir, c'est humain, ça s'appelle l'instinct de survie.
J'ai eu du bol, je suis blanc avec un prénom bien français, et j'ai pu devenir adulte sans passer par la case vol d'auto-radio ou traffic de shit, mais pas mal de mes potes, disons plus basanés que moi, n'ont pas eu ce choix.
J'entends déjà le sempiternel argument : "moi je connais un Mohamed qu'est devenu cadre, comme quoi quand on veut, etc...", mais pour 1 qui arrive à s'en sortir, combien sont restés (et restent encore) sur le bas coté de la société?
En conclusion, pas mal de solutions existent pour vivre dans une société plus juste et plus "intelligente", et certaines furent testées avec succès et abandonnées sciemment par les différents pouvoirs en place au fil des décennies.
De là à penser qu'une certaine caste pétrie de cynisme protège son pré carré de crainte de voir les gueux se mêler de ce qui ne les regardent pas et occuper une place sociale trop élevée (du moins selon eux), il y a un pas que je franchi allègrement.
Il serait temps que notre devise commune Liberté, Égalité, Fraternité, retrouve son sens et ne reste pas des pieux principes, mais notre société s'en éloigne de plus en plus, actuellement c'est plutôt Contraintes, Inégalités et Individualisme forcené.
Quand je lis ici ou là que certains enseignants (plutôt nantis au regard des la majorité) en appellent à l'intervention de l'armée pour rétablir "l'ordre" ou prônent (et pratiquent) la délation à l'encontre des fumeurs de shit, je me dis que, coté éducation, ben on est pas sorti le cul des ronces et que d'entendre les mêmes parler de solidarité, ben comment dire, ça me fait marrer... jaune!