Oui Wowo, je suis ambigu, nous sommes ambigus car comme tu le résumes parfaitement, il y a ce que l'on sait (le parapente comporte certains risques), il y a ce que l'on apprend (le parapente peut être dangereux), il y a ce que l'on dit (la plupart des sources d'accidents viennent d'une erreur humaine au départ, dont l'analyse aérologique) et ce que l'on fait (les conseils sont pour les autres, je suis prudent) et enfin ce que l'on en conclut (ce n'est pas ma faute, c'est la météo, le matériel, la malchance).
On a ces 4 attitudes ambiguës (enfin il y a peut-être plus de schémas) qui fait qu'un pilote confirmé avec des heures d'expérience va au carton (ce que disent les statistiques). C'est rarement un débutant qui va plutôt se faire une cheville ou un genou, parce qu'à un moment donné on a glissé de l'appréhension (notre premier grand vol) à, une habitude croissante du danger et de la réduction des marges de sécurité.
Comme tu le dis, j'en suis peut-être l'exemple le plus frappant (mais nombre de parapentistes m'ont dit qu'ils avaient fait pire / vécu pire mais qu'ils ne le disaient jamais, encore moins sur un forum - personnellement, cela m'a aidé à me (dé)construire et reconstruire, vous m'avez aidé à me montrer mes limites; si je n'en n'avais pas parlé, je serais resté dans mon coin et aurait cru que cela faisait partie de l'apprentissage normal et je serais peut-être dans une boîte en sapin comme on me l'avait prédit - je ferme la parenthèse).
En regardant ces statistiques effarantes, en sachant que certains amis se sont fait très mal (j'ai encore cité l'exemple de Thomas B hier soir à des plus jeunes parapentistes; Thomas B représente l'archétype du parapentiste prudent qui y va pas à pas, du talent qu'il travaille avec précaution et discernement, qui arrive à un fort honnête niveau de compétences d'analyse et de pilotage et qu'un dust à Saint André mettra à terre.
Thomas si tu me lis, mais oui, c'est toi qui a commencé à déclencher en moi ce travail interne de réflexion sur ma pratique., sur les marges, sur la préciosité de la vie par rapport à une activité que l'on peut rendre dangereuse. Puis les accidents de Sébastien, de Jean-Paul, de Galopin, bref, autant d'éléments négatifs qui ont continué à ancrer en moi cette peur bénéfique pour la réflexion (pas pour le pilotage...) et les disparitions au Criou de deux parapentistes. Tout cela a fini de me mettre du plomb dans la tête au point que j'analyse plus, je renonce plus souvent, je réfléchis plus, je gamberge plus aussi. Tout ce que j'avais vécu auparavant et dont j'avais témoigné sur le forum, n'étaient pas des faits d'armes, n'étaient pas des histoires pour me transformer en zéro / héros, non je pense qu'inconsciemment j'avais besoin d'en parler pour apprendre que je n'étais rien et encore moins invincible. Mais bizarrement, ce n'est pas ma douleur personnelle qui m'a changé c'est ce qui est arrivé à des personnes proches sur des lieux familiers qui font que je suis devenu plus raisonnable.
Il y a aussi cette soif (Wowo disait boulimie) de vols qui ne m'a pas quitté mais qui est devenue plus saine, car je sais désormais ce qu'est un très beau vol et un vol qui peut très mal finir. Maintenant je sais dire "non, ça ne vaut pas le coup" ou "je vais poser, c'est bon, je n'ai rien à (me) prouver" (je viens de la moto).
Si l'on en revient à cette accidentologie et ces disparitions de pilotes plus confirmés que débutants, il me semble à travers le prisme de mes expériences, que l'on acquiert de l'expérience, on vole dans plein d'endroits différents et on change de voile pour des performances plus élevées. Pour plusieurs raisons ps toujours avouées du débutant qui sort d'école au quidam qui veut se faire plaisir.
Hélas on le sait, l'aérologie est essentielle et le placement dans la masse d'air primordiale. J'en discutais également hier soir avec un pote, Jean d'une cinquantaine d'années qui a fait une frontale vers Dormillouse avec son Artik 4 dans une combe où il cherchait un thermique, était passé 10 fois sans rien trouver et à la 11ème, il n'a rien vu venir, c'est l'arbre qui lui a sauvé la vie, sinon c'était la paroi.
On est tous victimes de notre comportement et de notre croyance en la chance ou bonne étoile, talent ou capacités; pour repousser nos limites. Mais à un moment donné les SIV, les conseils, les heureux sketches, les nombreuses heures peuvent ne plus suffire et ça tombe au mauvais endroit, au mauvais moment. Alors on parle de malchance sachant que l'on a pu rehausser inconsciemment la prise de risque et glisser, Paul dit "dériver" vers un comportement accidentogène.
Un débutant s'il se prend un cisaillement sur une A va se faire peur, mais une fois au sol, et une fois qu'on lui aura expliqué va parler de cet "exploit". Un peu plus tard, ce même jeune pilote va passer à une B, va peut-être faire un SIV (ou pas) croyant qu'il aura les réflexes adéquats. Une fermeture, un petit sketch, résorbés et hop, il continue à croire que son talent y est pour quelque chose dans ses sauvetages, puis il passe en C, fait des cross respectables, a des sketches ou pas d'ailleurs et finalement se construit cette affirmation de soi comme "bon pilote" jusqu'au jour où. Si on ajoute à cela Fraclo et Rangifer, à savoir les avertissements sans frais ou les vidéos internet et la cfd et l'inconscience collective, on peut par dérive effectivement arriver au drame irrémédiable. A nous de savoir décoder ces avertissements, ne pas les reproduire mais voler dans ce que l'on aurait accepté. Savoir qui l'on est vraiment et pourquoi on vole.
On a tous en tête ce jeune piou-piou de 30 vols qui a posé au Mont Blanc en août 2012, en compagnie de 150 autres PILOTES, on a tous en tête ces merveilleuses vidéos de Stéphane Boulenger décortiquant le tour du Mont Blanc ou de Chrigel Maurer décollant à la X-Pyr en 2015 en reculant twisté etc etc...
Cette proximité d'exploits retentissants nous rend plus sûrs de nous-mêmes. Le cerveau plus notre imaginaire fabrique cette capacité à vouloir reproduire / imiter et à rendre banal ces hauts faits. Si en plus on en rêve...
Quand en plus les essais magazines, les déclarations commerciales des marques nous vendent LA voile encore plus sûre et encore plus performante,assorties de "notre pilote a fait 250 km avec une B", comment ne pas céder à la tentation collective, à l'imaginaire délirant de croire que oui NOUS en sommes capables. Sur la papier, car reste la grande inconnue : l'aérologie. Face à notre "niveau" (celui qu'on croit avoir).
Je reviens sur l'accident du jeune crosseur au Criou, oui il a bouclé avec 4 de ses potes sur 7, les 3 autres ayant vaché. Euphorie, croyance d'avoir passé une étape un "level" (nous l'avons tous eu cette croyance en bouclant notre premier cross, seul ou pas). Il meurt car il a oublié l'essentiel ce qu'il savait (ne pas se mettre sous le vent). Pourquoi oublié ? Parce qu'il me semble qu'à un moment donné quand on franchit des étapes, quand on franchit des distances de plus en plus grandes, ce n'est pas que grâce à notre talent, ou notre bonne voile, c'est grâce à la conjonction de facteurs favorables comme une aérologie saine, des conditions et placement optimum trouvées par le moniteur (dans ce cas précis) il n'y a qu'à suivre. Mais si en fin de journée, les thermiques sont plus faibles ou la masse d'air moins généreuse et si on veut absolument boucler, passer ce col pour le glide final, aller à sa voiture, on prend des risques inutiles que l'on croit calculés, on réduit les marges et on en vient à faire des choses qu'il ne faut pas faire par manque d'analyse, de lucidité.
Je suppose que dans tous les accidents mortels il y a à un moment donné une erreur d'appréciation fatale mais qui est la conséquence de tout ce dont on croit être capable; parce que c'est passé 10 fois, parce que quelqu'un y est passé 10 secondes avant, parce qu'on a déjà vécu ce genre de possibilités. On essaie de donner à cette masse d'air invisible, à cette voile des caractéristiques humaines (elle est saine, douce, elle est gentille...) sur une statistique personnelle. Or en statistique, il y a toujours le 1% qu'on ne pourra jamais maîtriser.
Ainsi, notre infortuné pilote (voyez on parle de fortune / infortune, chance/ malchance) ne survivra pas car il a une image globale presque exacte de son pilotage, capacités, sachant qu'il y a toujours une part extrême d'incertitude sur ce que la masse d'air ignore. On essaie de transformer l'aléatoire en donné domptée.
Les acrobates le savent bien; ils peuvent passer 9 tumblings, il vont foirer le dixième sauf qu'ils sont haut au-dessus du relief. les crosseurs eux vont s'en approcher de ce foutu relief et de ce sol dur dont parle Laurent, pour des raisons qui leur appartiennent mais qui un jour leur seront fatales.
Je ne crois pas que le matériel puisse nous garantir quoi que ce soit. Certes les progrès sauveront des vies mais en perdront car on se sentir plus invulnérables et on se mettra dans des situations encore plus moisies ("mon aile ne ferme jamais" ou mieux "je n'ai jamais fermé une seule fois". Finalement, vaut mieux fermer de temps en temps pour se remettre dans le bon état d'esprit... celle de l'humilité face à la nature imprévisible).
Personne ne peut prévoir la nature et ses phénomènes sinon on serait quoi, des aigles ? et encore une récente vidéo a montré qu'un aigle pouvait aussi subir des petites fermetures...
Oui la devise d'un forumiste est devenu mienne "
voler n'est pas anodin" et j'ajouterais qu' "
un bon pilote doit se préparer à l'imprévisible"