Voici le récit d'un de mes vols les plus intense.
Nous sommes en décembre 2010, je viens de passer 6 mois auparavant le concours de l'internat de médecine avec ma copine. Notre classement, bien qu'honorable, nous permet d'accéder chacun à la spécialité voulue, en revanche pas vraiment dans la subdivision que l'on voudrait (pas assez bien classés pour Grenoble, snif!
).
Après élimination de pas mal de régions restantes, et devant l'absence de poste crées cette année dans nos spécialités à la Réunion
, nous nous rabattons sur un internat aux Antilles/Guyane. Nous sommes les premiers à choisir cette subdivision dans l'amphi de garnison, ce qui ne manque pas, étant dans les 1500 premiers, de créer la surprise provoquant un brouhaha colossale, les Antilles étant classiquement choisies en dernier par les internes. Nous quittons donc l'Auvergne et ses beaux décos herbeux du St-Sandoux, Puy de Corent et Puy St-Romain, mon alpha 3 en soute.
Nous partons fin Octobre aux Antilles, autant dire au bon moment pour les bougnats que nous sommes. Très vite je me renseigne sur les sites en Martinique. Un a particulièrement retenu mon attention, celui d' Anse Grosse Roche. Je n'ai pas beaucoup d'infos, juste une photo d'une grande plage de sable blanc bordée d'une immense cocoteraie avec lagon turquoise et une aile rose faisant du soaring que je daterais, par sa morphologie du milieu des années 90.
Ni une ni deux, je repère le site sur Google Earth, et localise immédiatement par une petite zone plus claire en arrière de la plage ce qui semble bien être un déco orienté NE. Sur place, je repère la clairière en question, au sommet d'un morne de 60 mètres de haut. Seulement voila, où est le sentier qui y mène?
La cocoteraie se terminant en arrière par un vaste sous-bois débouchant vite sur une espèce de maquis antillais impraticable.
Par 3 reprises, je reviens sur cette plage magnifique, voile sur le dos (ce qui avec la sup'air de base de l'époque devait peser en tout 14kg), armé d'un coutelas essayant de retrouver ce satané sentier. Je ressors chaque fois de la cocoteraie griffé de toute part et fini par faire des heures de gonflage sur la plage dans du 15km/h laminaire. Je décide finalement de passer le week-end sur le plage, ayant convaincu ma copine afin de retenter le coup (malgré les réserves de nos connaissances antillaises, qui nous expliquent qu'y passer la nuit est déconseillé, cette plage étant un lieu connu de débarquements possibles de go-fasts en provenance de Vénézuela de nuit, la plage étant particulièrement isolée).
Finalement, le soir du bivouac, après 2 heures d'errance dans les kékés et autres buissons, je parviens à une petite clairière à mi-pente laissant découvrir la ''suite'' d'un sentier qui s'était visiblement refermé à son commencement. Je galope jusqu'au déco, excité comme un poux, glissant deux fois dans les éboulis en pente forte, la voile sur le dos, très essoufflé. Le déco est bien la, en pente forte, couvert d'herbes hautes, pas bien grand, juste de quoi y mettre une aile et entourés de cactus de parfois 2 mètres de haut. J'étais alors content d'avoir allègrement pratiqué le déco Nord de St-Sandoux qui avait presque la même configuration, les cactus et l'herbe haute en moins!
Seulement voila, le temps de retrouver ce sentier, 18h déjà, le soleil s'était couché. Le vent orienté pil-poil dans l'axe, 15-20km/h, et l'océan surmonté de quelques petits cumulus épars, flottant à 300 mètres. La lumière faiblissant, je me dépêchais de préparer mon aile. Seulement ici la nuit tombe vite, trop vite et en pré gonflant, je n'arrivais déjà plus à distinguer la couleurs de mes élévateurs. La frustration était à son comble, et ce ciel magnifique qui m'appelait!
Ça m'a rappelé sur le coup l'histoire du mec qui ramène chez lui une fille sublime et entreprenante et qui une fois déshabillé se rend compte qu'il n'a pas de capote. La mort dans l'âme, je ramenais mon aile en boule pour la plier quand il s'est produit une chose extraordinaire.
Dos à l'océan je distinguais à nouveau la couleur bleu de mes avants, comme si quelqu'un derrière moi m'éclairais avec une lampe de poche. En me retournant, face à l'Est, une lune pleine orangée énorme était en train de naitre de l'océan à l'horizon.
Le chemin de Saint-Pierre qu'elle venait de faire naître était un des plus éclatant que j'ai vu de ma vie, tout un pan de la mer était argentée, presque éblouissante. Je distinguais maintenant nettement l'attéro qu'étais la large plage en contrebas, avec son kilomètre de long, blanche fluorescente à l'arrière de laquelle se dessinais parfaitement les cocotiers. Je voyais maintenant chaque détail comme en plein jour, toutes les ombres des arbres comme si on avait éclairé la zone d'un immense projecteur, les quelques nuages d'un blanc éclatant. Pardonnez moi car je vais pêcher! Le dernier vol que j'avais fait remontais à deux mois, à la coupe Icare, affublé d'un déguisement de phoenix acclamé par les spectateurs et les fameux ''regardez-ça, regardez-ça!'' vibrant de PP Menegoz. Je n'avais plus volé depuis.
Le face-voile est une formalité dans ces conditions laminaires, un minimum d'impulsion au gonflage s'imposait compte tenu de la forte pente et me voila juste après mon retournement en l'air pour 40 minutes de bonheur. A 50 mètres au dessus du déco, à faire des 8 face à ce décor irréel, magique! La lune maintenant plus haute avait légèrement rétrécie, prenant sa couleur blanche, mais éclairant encore davantage ce petit coin de paradis. Je suis en décembre, en train de voler de nuit par pleine lune en tee-shirt dans une atmosphère à 24°C, au-dessus d'une des plus belle plage de la Martinique, d'une blancheur qui éclairait à elle seule tout mon champ de vision.
Après 30 minutes passées en l'air, je me rappelais soudainement que j'avais une compagne, laissée toute seule dans la cocoteraie a qui j'avais promis de revenir avant la nuit pour installer les hamacs. Je me dirige donc vers la plage et remarque un feu au début de celle-ci, enivré par l'euphorie de ce vol, j'essaie d'enrouler à bonne hauteur un hypothétique thermique au-dessus du foyer sans succès. J’atterris près de la famille martiniquaise responsable de ce campement, très surprise de me voir arrondir. Un type vient vers moi avec ses enfants et me tends une coco que je bois d'un trait.
En le remerciant il me réponds qu'il n'est pas prudent de camper sur cette plage, sauf...quand la lune est pleine car les go-fasts ne débarquent jamais la pleine lune, étant alors parfaitement visibles.
La nuit fut brève dans mon hamac, trop excité par mon vol et surtout par l'envie de recommencer. A 4h30, les premières lueurs du jours, j'abandonne à nouveau ma compagne dans son hamac et remonte au déco, non sans avoir enfilé un pull car il fait maintenant 20°C mais plutôt 16 ressentis avec les alizés. Je redécolle, les conditions n'ont pas changé et un soleil rouge énorme émerge de l'horizon sur l'océan. Et c'est repartit pour 1h de bonheur. A l'atterro, ma moitié me prends en photo.
''Qu'est ce qu'il ya pour le petit dej?''
- Plus rien, les crabes ont tout mangés
''
Puis un troisième vol après un bon bain, avec cette fois moins de vent mais de généreux thermiques dès 9h me permettant de faire quelques petits plafonds honorables!
3 ans ont passés, et ma thèse en poche je suis revenu vivre en Martinique. A mon arrivée, le sentier s'était à nouveau partiellement refermé et le déco impraticable. Alors je suis revenu avec une scie et j'ai débroussaillé tout le déco deux après-midi entières ainsi que le sentier, me limitant scrupuleusement aux ancienne marques de scies afin de ne pas abîmer le site, propriété du conservatoire du littoral. J'ai remplacé mon alpha 3 par une Ion 2, aux perfs bleuffantes. Et j'invite tous ceux qui viennent ou vivent en Martinique à redécouvrir ce site. N'oubliez juste pas votre hamac et un coutelas pour les cocos
.
Vincent