Quand j'ai écrit que Marc et moi sommes d'une génération qui a eu des instituteurs
compétents, je ne jette pas l'opprobre sur les instituteurs actuels, pompeusement et stupidement rebaptisés "professeurs des écoles"... pas plus que je ne déprise les actuels profs de collège, à peu près aussi peu lettrés que leurs collègues du primaire.
Et réciproquement.
Il fut une époque où des correcteurs du bac étaient capables de noter zéro une copie de maths recélant 20 fautes d'orthographe. Même si cela semble facho voire simplement exagéré, ce n'était pas aberrant : quand le bac avait du sens et donnait accès aux études universitaires, cela concernait à peu près le quart d'une tranche d'âge et les impétrants étaient destinés à occuper des postes de responsabilité... ce qui ne laissait pas de place pour des illettrés.
A notre époque, une épouvantable démagogie a fait croire à la population que 80% d'une tranche d'âge doit avoir le bac... alors que même pas 60% obtiennent le Brevet, lui aussi bidouillé avec "harmonisation des notes", en clair il s'agit là d'une mise en conformité des résultats avec ce que demande le ministère.
Etonnez-vous que tant de jeunes tombent de haut en se rendant compte que leur niveau est beaucoup trop bas pour espérer tenir le coup dans une quelconque filière de l'enseignement supérieur !
L'orientation des jeunes, au niveau de la 3ème, est déjà faite en dépit du bon sens, le plus souvent par des profs de Lettres d'une inculture crasse et qui ont une totale méconnaissance du monde en dehors de leur petit microcosme bien douillet de petits profs frileux.
Désastres humains à la clé, et quand on abîme ainsi des jeunes je ne crains pas de hurler au scandale.
C'est pour ça que mes chefs d'établissement ne me confiaient plus la charge de "prof principal" en 3ème : je n'étais pas dans la ligne des instructions officielles, je me bagarrais contre l'imbécillité de certaines collègues, bref je me faisais des ennemies.
Des ennemis intelligents, c'est gérable avec la diplomatie. Des ennemis idiots c'est toujours vicelard.
Il m'arriva plusieurs fois de claquer la porte d'un conseil de classe, tant j'étais révoltée par la bêtise et l'irresponsabilité de mes collègues. Plutôt que leur mettre le nez dans leur caca, devant les délégués de parents et d'élèves, je préférais sortir.
Le plus débile que j'aie vu fut le fait d'une prof d'anglais, agrégée et imbue de son diplôme de jeunesse, qui osa déclarer qu'avec 16 en sport et 4 en maths cela faisait 10 de moyenne, donc qu'on pouvait faire passer l'élève en 2de.
Le pauvre môme se traînait depuis toujours entre 5 et 8, avec au mieux 4 en maths quand le prof était généreux... l'envoyer en 2de à 16ans passés le condamnait ipso facto à une galère en fond de classe avec déscolarisation, puis à un redoublement impossible, donc à une réorientation très difficile qui serait évidemment mal vécue.
Il ne faut pas s'étonner que tant de jeunes "sortent" du système scolaire sans formation et - bien pire mais on ne le dit pas - sans espoir d'accéder à une formation digne de ce nom.
En même temps, l'enseignement technique / professionnel manque de candidats et ce qui reste de notre industrie peine à trouver des jeunes capables d'occuper des postes qualifiés et intéressants.
Les artisans ne trouvent pas non plus de compagnons qualifiés, ils embauchent donc souvent des gugusses, payés des queues de cerises, qui salopent le boulot qu'ils ne sont pas capables d'effectuer correctement.
Et pourtant, si on se fie aux statistiques, le niveau culturel de la population augmente !
Cherchez l'erreur.
Je situe l'origine de ce désastre dans la "formation" des instituteurs.
Quand j'étais en 3ème, il y avait dans mon collège une classe spéciale destinée à préparer le concours de l'Ecole Normale, qui drainait évidemment les meilleurs élèves (j'en étais) mais tous n'intégraient pas l'Ecole, la plupart passaient en 2de dans un lycée lambda. Au moins les jeunes qui entraient à l'Ecole Normale étaient issus des têtes de classes, bons dans toutes les matières.
Plus tard, on supprima ces écoles - qui n'étaient pas des impasses, loin de là - et on déclara que pour devenir instit' il suffisait d'avoir le bac.
Mais quel bac ?
La plupart des nouveaux instits furent issus des recalés à l'Université pour cause de niveau trop faible... Dans les disciplines littéraires cela se traduisit par un niveau en grammaire et en orthographe désespérément bas, une terrible inculture en histoire et géographie, et un niveau voisin de la nullité dans les matières scientifiques, niveau qui avait toujours été nul tout au long de leur cursus secondaire.
Comme le ministère finit par comprendre son erreur, après bien des années, il fut décidé de recruter les instits à bac+2... toujours sans distinction de filière, évidemment, mais bac+2 ne signifiait pas grand chose, à cet aune j'ai bac+51 vu que j'ai passé le bac en 65 !
Foutaises.
Le niveau restant lamentablement bas, avec plus de la moitié des enfants entrant en 6ème sans savoir lire ni écrire et en ignorant la table de multiplication, il fut décidé de recruter à bac+4.
Cela ne me fit pas rigoler.
Dans les années 80, alarmée par le niveau de lecture terriblement déficient de nos élèves de 6ème, je m'investis à fond dans des ateliers lecture, avec toutes les classes du bahut, destinés à améliorer leurs performances. Ceux qui savaient déjà lire firent des progrès intéressants, ceux qui ne savaient pas ne firent aucun progrès. J'en avais gros sur la patate en présentant mes statistiques au Principal et il eut le bon goût d'ironiser sur les illusions que je m'étais faites, péché de jeunesse selon lui.
Le temps lui donna raison et je me repliai dans le jardin de Candide.
Râââhhh... j'ai envie de voler !